En 1821 était créée en France la Société de Géographie (la plus ancienne aujourd'hui), avec pour objectif la conduite de travaux géographiques divers, parmi lesquels figure notamment l'accompagnement d'expéditions, dans le but de contribuer au rayonnement de la géographie française. Anatole France, Élisée Reclus ou encore Jules Verne, à titre d'exemple, ont été membres de cette société.
Au milieu du 19ème siècle, la photographie en est a ses balbutiements : le procédé de fixation d'une image sur une plaque de cuivre est mis au point par Louis Daguerre en 1839. La technique évoluera rapidement jusqu'à la fin du siècle, à tel point que le transport de ces dispositifs relativement contraignants et fragiles (cyanotypes, plaques de verre, premières polychromies, etc.) devient envisageable au cours des missions d'exploration aux quatre coins de la planète, pour documenter les découvertes ethnologiques, les régions les plus éloignées des empires coloniaux, ou encore les révolutions industrielles en cours.
La conjonction de ces deux aspects est à l'origine et au centre de ce recueil, combinant les images d'explorateurs, de voyageurs et d'ingénieurs à travers le monde, de toutes nationalités, armés de dispositifs très diversifiés. Leur but : montrer des horizons jusqu'alors inconnus, dans le cadre de missions scientifiques ou militaires. L'ensemble des photographies, prises entre 1850 et 1914, portent autant sur la découvertes d'ethnies qui étaient alors inconnues du monde occidental que sur de simples prouesses techniques (un pont, une voie ferrée) constitutives de la modernisation industrielle. Regroupées par grandes régions géographiques (Afrique, Amérique, Europe, Asie et Océanie), les clichés sont parfois des témoins historiques, parfois des marqueurs géopolitiques. Ici la domination coloniale mise en scène dans sa plus simple caractéristique (le colon fier, droit comme un i, debout à côté de femmes africaines à genoux), et là le simple émerveillement devant des paysages grandioses capturés pour la première fois sur un support physique.
La découverte en Égypte des pyramides et du sphinx (à l'époque pas encore désensablé) ou encore de vestiges romains en Algérie, les missions coloniales de délimitation entre plusieurs pays africains au plus près des tribus concernées, la traversée de l'Amazonie, le creusement du canal de Panama, les canyons du Colorado, la conquête du grand Nord par-delà le Groenland, un inventaire des monuments de l'Inde du Sud, les rivages hostiles des îles australes, la végétation luxuriante de l'Asie du Sud-Est, ou encore des épreuves colorisées de scènes quotidiennes au Japon à la fin du 19ème siècle : c'est autant une histoire de la photographie qu'un tour du monde, assurément. On peut regretter la très faible quantité d'informations concernant les différents acteurs, explorateurs, voyageurs, photographes, ou même sur les missions dans lesquelles s'inscrivent tous ces clichés. Sur certaines thématiques, la parcimonie des clichés à proprement parler, aussi, peut frustrer (même s'il ne s'agit sans doute pas d'un choix éditorial mais plutôt d'une contrainte matérielle). Mais l'ensemble reste captivant de bout en bout, dans ces fragments d'histoire ressuscitée, dans cette technique qui balbutie, et dans cette sensation grisante de découverte qu'il parvient à faire toucher du doigt.
http://www.je-mattarde.com/index.php?post/Les-Premiers-voyageurs-photographes-1850-1914-de-Gilles-Fumey-et-Olivier-Loiseaux-2018