Jim Jarmusch - Commentaires
J’aime beaucoup le ton décalé et nonchalant de cette figure de proue du cinéma indépendant américain. Son regard poétique sur les marginaux, son jeu avec les codes et les genres, son ironie légère et charmeuse distillent un charme tenace – et il a quand même réalisé au moins un film magistral.
11 films
créée il y a plus de 12 ans · modifiée il y a presque 4 ansPermanent Vacation (1981)
1 h 15 min. Sortie : 25 avril 1984 (France). Comédie dramatique
Film de Jim Jarmusch
Thaddeus a mis 5/10.
Annotation :
C’est un univers morbide, hystérique (la visite en hôpital psychiatrique) et sous-prolétarisé que dépeint Jarmusch dans ce premier long-métrage. Quelque chose comme l’enfer domestique glauque et absurde du "Eraserhead" lynchien revu et corrigé par une esthétique européenne à la Chantal Akerman. Le New York dans lequel déambule le héros est une ville déserte, fantôme, morte, hantée par des habitants zombiesques. Scène après scène se dessine le tableau sinistre et démoralisant de l’envers fragile du décor américain à l’aube des années Reagan. La composition austère des plans, le rythme languide de leur montage, le grain flou de l’image, la musique toute en syncopes participent d’une même impression de morsure froide. La chaleur et la tendresse des films suivants feront beaucoup de bien à ce cinéma.
Stranger Than Paradise (1984)
1 h 29 min. Sortie : 9 janvier 1985 (France). Comédie dramatique
Film de Jim Jarmusch
Thaddeus a mis 8/10.
Annotation :
C’est d’emblée aux marginaux du rêve américain, vagabonds volontaires et orphelins de leurs illusions, que s’intéresse ici Jarmusch. Ses deux héros à la recherche d’un soleil hypothétique ne quittent jamais leurs galurins, sifflent bières et plateaux-repas devant les matchs de foot, parient aux courses comme de vrais américains. La petite cousine qui débarque de Budapest découvre avec d’autres yeux ce nouveau pays, la cité dortoir de Cleveland enfouie sous la neige et la résignation, la Floride vendue comme un paradis mais balayée par un vent hivernal. Pourtant nulle sinistrose n’est à l’œuvre, seulement des liens fragiles qui se tissent entre ces trois attachants candidats à l’intégration, une drôlerie pince-sans-rire, un goût de l’errance très personnels. Beaux débuts et complète réussite.
Down by Law - Sous le coup de la loi (1986)
Down by Law
1 h 46 min. Sortie : 12 novembre 1986 (France). Comédie, Policier, Drame
Film de Jim Jarmusch
Thaddeus a mis 7/10.
Annotation :
C’est un blues, bien épais, bien poisseux, mais un blues qui nous colle la peau, avec le sourire en plus. Devant la caméra, la dégaine indolente et la voix rocailleuse de Tom Waits et John Lurie, bientôt rejoints par le naïf et fantasque Roberto Benigni. Jarmusch filme leur cavale avec une sympathie grinçante et le style contemporain et très particulier qui est le sien, fait de désœuvrement, de vagabondage et de dérision, établissant un pont entre une sensibilité américaine hétéroclite (une sorte de neo-beat-noir-comedy, comme il la qualifie) et la culture européenne (on pense à Wenders, dont le chef-op’ Robby Müller cisèle d’ailleurs une belle esthétique en noir et blanc). Par son humour à froid, sa poésie nonchalante qui recèle une tendresse pudique, le film délivre un charme persistant.
Mystery Train (1989)
1 h 50 min. Sortie : 6 septembre 1989 (France). Comédie, Policier, Drame
Film de Jim Jarmusch
Thaddeus a mis 8/10.
Annotation :
Memphis, ville-fantôme où presque rien ne circule, espace déchu superbement photographié, parcouru par quatre étrangers (un couple craquant de jeunes Japonais, une Italienne rapatriant son défunt mari, un Anglais en rupture amoureuse) qui dressent un diagnostic de l’imagerie américaine. Faux film à sketchs, l’œuvre est une miniature à trois étages constamment permutés entre eux, dont l’architecture d’horloger et les chevauchement spatio-temporels annoncent quelques pulpeuses fictions à venir. Opérant sur les registres de la douceur amoureuse, du mystère puis de la cocasserie, elle génère une tendresse désinvolte, une mélancolie charmeuse, une drôlerie exquise personnifiée par le gardien de nuit philosophe et le groom apprenti, Laurel et Hardy des temps modernes. On s’y sent follement bien.
Night on Earth (1991)
2 h 03 min. Sortie : 18 décembre 1991 (France). Comédie, Drame, Sketches
Film de Jim Jarmusch
Thaddeus a mis 5/10.
Annotation :
La nuit sur Terre, c’est celle qui recouvre les courses de cinq taxis entre Los Angeles et Helsinki, en passant par New York, Paris et Rome. Le postulat est tentant : vagabonder sur la planète, au même moment, et décrire l’intimité provisoire qui unit chauffeur et passager. Parce que le cinéaste adore raconter des historiettes peuplées de paumés, de dériveurs et de glandus, parce qu’il ne cesse de répéter qu’on est toujours l’étranger de quelqu’un d’autre, un tel programme était fait pour lui. Mais la construction du film à sketches se double ici d’un procédé répétitif aboutissant à une sorte de pléonasme stylistique. D’où la platitude de l’ensemble, qui accumule dialogues poussifs de café-théâtre et confessions vaguement ennuyeuses pour s’achever dans le blues des aubes blêmes et des bitures existentielles.
Dead Man (1995)
2 h 01 min. Sortie : 3 janvier 1996 (France). Aventure, Drame, Fantastique
Film de Jim Jarmusch
Thaddeus a mis 9/10 et a écrit une critique.
Annotation :
Périple étrange, mystérieux, magique, peuplé d’Indiens férus de poésie anglaise et de silhouettes qui tournent en rond, vers le grand fleuve qui emportera à jamais le héros ahuri. Iconisé par des décennies de western, l’Ouest américain est transformé en vaste cimetière dans cette chanson de geste envoûtante qui dessine au son de la guitare hypnotique de Neil Young une spectrale élégie, une errance hallucinée et déréalisante, une promenade lancinante avec la mort. Pris d’une inspiration spirituelle tenant à la fois de l’animisme et du bouddhisme, Jarmusch fait le grand écart entre Mizoguchi et Keaton, et élabore un poème vaporeux, à la temporalité ralentie, autour de l’ironie de l’existence et du passage dans l’autre monde, dont l’onirisme rimbaldien se drape d’un humour noir et désenchanté. Une œuvre unique.
Top 10 Année 1995 : http://lc.cx/UPg
Ghost Dog - La Voie du samouraï (1999)
Ghost Dog: The Way of the Samurai
1 h 56 min. Sortie : 6 octobre 1999 (France). Drame, Thriller, Policier
Film de Jim Jarmusch
Thaddeus a mis 6/10.
Annotation :
Même principe de déplacement des stéréotypes appliqué cette fois au film noir melvillien – terrains vagues, caïds racés, mafieux cacochymes et bedonnants, immeubles lépreux. Se faisant le chantre des tribus condamnées, le cinéaste suit les traces d’un autre mort en sursis, qui a la silhouette lourde et gracieuse à la fois de Forest Whitaker, ange exterminateur et tueur à gages zen nourri de philosophie orientale. Une fois de plus, Jarmusch joue des genres et des contrastes, s’impose comme un virtuose créateur d’atmosphère (hip-hop et gangsta rap jumelé à l’esprit samouraï, sur le pouls sensuel et tranchant de RZA), inscrivant l’itinéraire du héros dans un mélange de drôlerie pince-sans-rire, de mélancolie rêveuse, de violence ouatée, presque dérisoire, et de calme serein.
Coffee and Cigarettes (2003)
1 h 35 min. Sortie : 7 avril 2004 (France). Comédie dramatique, Sketches
Film de Jim Jarmusch
Thaddeus a mis 6/10.
Annotation :
Case blanche, case noire : motif du damier reconduit tout au long d’une série de sketches en forme de vignettes loufoques, drôles et mélancoliques, où une flopée de stars et d’habitués de l’univers jarmushien viennent défiler, deviser et s’amuser, en rappelant que la cigarette et le café sont deux plaisirs indissociables. Le ton est assez anecdotique, visant une légèreté de bon aloi qui dispense une certaine séduction. L’unité de l’ensemble est l’unique souci de l’auteur, l’humour distant sa qualité majeure. Et si les prétextes sont variés, on peut se réjouir d’une cohérence assurée par un regard toujours original, par une capacité tranquille à dénicher la poésie dans le quotidien et la banalité des conversations, avec toujours la même ironie détachée dans le propos.
Broken Flowers (2005)
1 h 46 min. Sortie : 7 septembre 2005 (France). Comédie dramatique, Road movie
Film de Jim Jarmusch
Thaddeus a mis 8/10.
Annotation :
Jarmusch a toujours affiché une prédilection pour la segmentation, les films à épisodes, les structures ludiques. Avec ce voyage dans l’intimité obscure d’un homme sans qualités, Don Juan fatigué de tout et confronté à l’heure du bilan à une paternité qu’il n’avait jamais soupçonné, il atteint la belle plénitude d’un style qui fait de lui un idéal Ozu américain, et charge chaque scène d’une émotion ténue, sans en rajouter dans l’effet, sans la moindre scorie. Servi par l’économie de jeu assez stupéfiante de Bill Murray et son air de clown triste, il signe un portrait mélancolique mais jamais dépressif, doublé d’un voyage dans l’Amérique profonde, qui médite sur le temps passé, le poids des actes accomplis et le regret qui en découle, et sur la prise de conscience tardive de l’image laissée aux autres.
Only Lovers Left Alive (2013)
2 h 03 min. Sortie : 19 février 2014 (France). Drame, Romance
Film de Jim Jarmusch
Thaddeus a mis 7/10.
Annotation :
Les vampires de Jarmusch sont de tels dandys aristocratiques qu’on se demande bien pourquoi il ne s’y est pas confronté plus tôt. Son cinéma a toujours secrété quelque chose de sorcellaire, et sa puissance d’envoûtement opère ici sans donner la moindre impression de performance. Cette balade nocturne agit comme une installation lounge qui interroge le passage du temps, la transformation des choses, l’inactualité obstinée d’un état au monde. Son ironique lucidité convertit ce qui pourrait n’être qu’une geignardise passéiste en éloge du renouvellement, ses images fauves et somnambuliques donnent envie de déménager fissa à Detroit ou Tanger, et l’agréable torpeur dans laquelle on en émerge rappelle que s’il est un poète désabusé, le cinéaste est avant tout un styliste de première classe.
Paterson (2016)
1 h 58 min. Sortie : 21 décembre 2016 (France). Comédie dramatique
Film de Jim Jarmusch
Thaddeus a mis 6/10.
Annotation :
Plus essai que fiction hantée, pièce d’orfèvrerie que rêverie baudelairienne, cette chronique de l’ordinaire constitue l’un des films les plus théoriques de l’auteur qui, en sérialisant le train-train routinier des jours, cherche à y déceler des répétitions, des rimes, des variations, des saillies riches ou pauvres. Son inframonde duveteux et multiethnique, sans heurt ni dispute, est comme un univers réduit à une liste de courses culturelles dans un notebook, un inventaire de petits machins, petits objets, petites anecdotes, petits clins d’œil déposés comme autant de cailloux charmants sur un chemin parfaitement linéaire, et dont la réaction chimique procède d’un mélange lancinant de sérénité et d’étrangeté inquiète. Reste qu’à toujours flirter avec la ténuité, on verse un peu dans l’inconsistance désincarnée.