Journal de lecture - 2024
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2017 ...
100 livres
créée il y a 11 mois · modifiée il y a 4 joursLa Rose et autres poèmes
Sortie : octobre 2008 (France). Poésie
livre de William Butler Yeats
Clément Nosferalis a mis 10/10.
Annotation :
Terminé le 1er janvier.
Ce fut ma lecture de réveillon de nouvel an. L'anthologie ici présente va dans l'ordre chronologique et, si j'étais un peu circonspect au début, la poésie de Yeats gagne en splendeur tout au long de sa vie, pour atteindre les cimes qui ont fait sa célébrité. Marchant, en ce matin de la Saint Sylvestre, dans les chemins de mon village pour me rendre sur la tombe d'un oncle mort l'année dernière, je songeais au fait que cette poésie avait -momentanément au moins- réveillé ma sensibilité. Sans doute Yeats est-il un grand versificateur, mais c'est un certain ethos qui nous touche chez lui, sa position de poète romantique perdu dans le premier XXe siècle. Son attention à l'aube et aux légendes nous le rend d'une certaine manière lointain, nous qui arrivons bien plus tard dans une modernité qu'il détestait. Mais ses visions et contemplations n'ont finalement pas grand-chose de naïf, elles gardent ampleur et amplitude.
Exode et métamorphose
Sortie : 4 septembre 2002 (France). Poésie
livre de Nelly Sachs
Clément Nosferalis a mis 9/10.
Annotation :
Terminé le 2 janvier.
Je n'étais pas parvenu à arriver au bout d'"Éclipse d'étoiles". C'était trop dur. Pourtant, j'ai lu beaucoup de livres sur la Shoah, mais là, cette poésie douloureuse allait trop au coeur de la violence. J'en restais donc à sa correspondance avec Paul Celan, et connaissais peu Nelly Sachs. On relie souvent Sachs à Celan, puisqu'ils se sont tous les deux inscrits dans un renouveau syntaxique, une culture juive retravaillée à l'ombre de l'Holocauste, et ce dans la langue allemande. Dans "Exode et métamorphose", et surtout dans "Et personne n'en sait davantage" (qui le précède dans l'édition Verdier), c'est plutôt a Hilda Doolittle que je pense : la même nécessite de retravailler un héritage. Chez H. D., c'était l'héritage grec et les mythes égyptiens ; chez Nelly Sachs, c'est la bible hébraïque. Les figures bibliques y deviennent des symboles avançant dans l'obscur. Le tour se déroule dans une ambiance de dévastation : Dieu s'est absenté, les étoiles tombent, la nuit s'étend. Tout s'enfuit, l'exode se poursuit, semble-t-il de toute éternité. Le titre indique une métamorphose, mais celle-ci reste en cours, indéfinie ; elle n'est pas plus conclue que l'exode.
Lavis (2023)
Sortie : 1 mars 2023. Poésie
livre de Yves di Manno
Clément Nosferalis a mis 9/10.
Annotation :
Terminé le 3 janvier.
Ceux qui me lisent savent la place centrale qu'occupe Yves di Manno dans ma perception de la poésie contemporaine. Tout d'abord parce que c'est avec ses traductions que j'ai abordé le continent de la poésie moderniste américaine, qui est la clef fondamentale pour entrer dans la poésie française actuelle. Ensuite parce que j'ai apprécié sa prose sur la poésie contemporaine, dans ses livres qui mélangent essais, notes, poèmes. Enfin je l'ai apprécié comme poète : "Champs" est un recueil essentiel de ces dernières décennies. "Lavis", plus que le "terme" annoncé par la quatrième de couverture, me paraît une sorte d'apostille. Le thème de la mort y est central : d'abord la méditation sur les morts des autres, dans les premières parties, puis la nuit qui s'étend dans "terre sienne", partie qui fait le coeur du livre. La forme est plus ouverte que dans "Champs", où la composition extrêmement ferme était marquante. Les textes, comme l'indique la note finale, sont issus d'oeuvres contingentes. Cette plus grande liberté nous rend l'ethos de l'auteur plus proche ; d'une certaine manière, c'est plus intime (je ne dirai pas : lyrique, vu la position antilyrique qui a été celle de di Manno). On y retrouve certains de ses traits caractéristiques : les rythmes brisés, les jeux de symétrie, les parenthèses ouvertes et jamais fermées, les signes de ponctuation commençant le vers, et cette concentration des images, à la fois en bloc et dispersées. Cela fait toujours plaisir de le lire.
Le Livre du Bonheur
Sortie : 1996 (France). Roman
livre de Nina Berberova
Clément Nosferalis a mis 7/10.
Annotation :
Terminé le 5 janvier.
Lire Berberova me détend. J'avais lu "L'Accompagnatrice", dont je n'ai gardé aucun souvenir du contenu, mais un certain plaisir à lire ce livre, lié pour moi au bus qui menait de Clamart à Fontenay-les-Roses, et au RER qui me ramenait à Cachan après un cours particulier donné (c'était l'époque de mon master). Celui-ci ne me laisse pas un goût particulier, si ce n'est que j'ai passé un bon moment, face à une oeuvre bien construite, nette et sympathique, au cours de quelques jours de beau temps après la pluie et avant la neige.
Lettrines 1 (1967)
Sortie : 1967 (France). Essai
livre de Julien Gracq
Clément Nosferalis a mis 7/10.
Annotation :
Terminé le 8 janvier.
J'aime beaucoup les aphorismes plus courts, quand Gracq se fait plus incisif, aussi bien quand il évoque le monde littéraire qui lui est contemporain que des anecdotes politiques. J'aime beaucoup moins la fin, avec cette étendue de paysages assez ennuyeux. Alors même qu'il parle de Proust avec une légèreté que j'apprécie (comme lui, je suis émerveillé par Proust mais ne le compte pas parmi mes auteurs favoris), il faut bien reconnaître qu'en matière de description, Gracq est loin en-dessous de Proust, alors qu'il utilise des effets de style assez semblables.
Meadowlands (1996)
Édition bilingue
Sortie : 2022 (France). Poésie
livre de Louise Glück
Clément Nosferalis a mis 8/10.
Annotation :
Terminé le 10 janvier.
Comme "Averno", "Meadowlands" procède à la Hilda Doolittle : reprise d'un mythe antique en mélangeant l'antique et le contemporain, et en multipliant les voix. Chez Glück néanmoins, le propos est beaucoup moins hermétique : l'essentiel des poèmes de ce recueil, de manière plus affirmée que dans les autres, est écrit avec des tournures orales. La reprise des personnages de "L'Odyssée" est resserrée autour du couple et de l'absence d'Ulysse, symbole d'une crise et d'une incompréhension mutuelle.
Méditation sur la technique (1933)
Meditación de la técnica
Sortie : 24 août 2017 (France). Essai, Philosophie
livre de José Ortega Y Gasset
Clément Nosferalis a mis 8/10.
Annotation :
Terminé le 12 janvier.
Les essayistes espagnols ont cet avantage d'être limpides. Ortega Y Gasset présente ici, dans une prose très serrée bien que claire, une partie des éléments qui seront ceux de Gilbert Simondon, mais dans un style mille fois plus agréable. Quelques éléments de technocritique sont présents, bien qu'épars et peu développés (contrairement, à la même période, aux réflexions de Simone Weil). En vérité, je pense que c'est plus une bonne introduction aux questions de la technique qu'autre chose ; mais aussi un essai agréable à lire.
Le Roseau révolté (1958)
Sortie : 1988 (France). Roman
livre de Nina Berberova
Clément Nosferalis a mis 7/10.
Annotation :
Terminé le 13 janvier.
J'ai déjà dit plus haut que l'oeuvre de Nina Berberova me détendait ; je passe un bon moment, sans retenir grand-chose, et voilà tout. Je pourrais épiloguer pendant des pages sur son travail de la "vie minuscule" : les personnages secondaires de la bonne société sont ses personnages principaux. L'Histoire passe au loin, conditionne la vie des personnages, sans qu'ils y interviennent aucunement. Certaines musiques romantiques donnent cet effet : certains scherzos de Schubert et de Robert Schumann, mais surtout les compositions de Clara Schumann et Fanny Mendelssohn. La mélancolie n'y est pas non plus trop profonde, on vogue sur un lac au crépuscule, avec une belle émotion sans profondeur. C'est bien.
Lettres de Mistriss Henley
Roman
livre de Isabelle de Charrière
Clément Nosferalis a mis 6/10.
Annotation :
Terminé le 19 janvier.
Quelque peu déçu par le peu d'ampleur du livre, qui n'est compensé par aucune incision. La dernière lettre fait un peu remonter la charge émotionnellle, mais sans profondeur.
La Fraternité de l'Anneau (1954)
Le Seigneur des anneaux, tome 1 (traduction : Daniel Lauzon)
The Lord of the Rings : The Fellowship of the Ring
Sortie : 2014 (France). Roman, Fantasy
livre de J.R.R. Tolkien
Clément Nosferalis a mis 9/10.
Annotation :
Terminé le 24 janvier.
Quand je lisais beaucoup de Fantasy, entre mes douze et mes quinze ans, Le Seigneur des anneaux était un sommet trop haut pour moi : trop de complexité, trop de descriptions. Quand, à quinze ans, je suis entré dans la littérature classique, j'ai mis de côté pour un long moment ce genre-là, à part quelques incursions sporadiques. J'avais pris la décision d'acheter l'intégrale dans l'édition Pocket quand il serait présent dans ma librairie de quartier ; au bout de trois ans dans cette rue, il est enfin arrivé. Je m'y mets donc avec plaisir. Il y a dans ce tome-ci une forme de gratuité qui n'est pas pour me déplaire : on parle souvent de l'inutilité narrative du passage avec Tom Bombadil (supprimé dans l'adaptation de Peter Jackson), mais le passage avec Galadriel l'est en fait tout autant. La notion même d'utilité narrative me semble inopérante pour ce tome : les personnages passent d'une société à un autre, avec force descriptions, dialogues et chansons ; l'intérêt réside dans la pure découverte de ces civilisations inventées. Les premières pages, consacrées aux moeurs des Hobbits, que d'aucuns trouvent interminables, je les ai lues comme du Borgès.
Anéantis (1995)
Blasted
Sortie : 21 octobre 1999 (France). Théâtre
livre de Sarah Kane
Clément Nosferalis a mis 6/10.
Annotation :
Terminé le 27 janvier.
Je lis les trois livres de Sarah Kane à la chaîne, car ma sœur me les prête pendant le weekend.
Certes c'était nouveau : premier fois qu'il y avait une violence physique et sexuelle sur scène. L'atmosphère de fin du monde, l'horreur liée à l'inceste, au viol et à la guerre. Mais je n'en retiens finalement que cela ; la crudité des dialogues ne trouve pas d'exutoire, le désespoir demeure pur, donc peu abouti. Il me manque quelque chose.
4.48 Psychose (2000)
4.48 Psychosis
Sortie : 30 mai 2001 (France). Théâtre
livre de Sarah Kane
Clément Nosferalis a mis 10/10.
Annotation :
Terminé le 28 janvier.
Ceci est un chef-d'œuvre. Peu de livres témoignent aussi puissamment du désir de suicide, de la dépression profonde et sans échapattoire. C'est un rare exemple, car la plupart des suicidés frappent par leur silence, l'impossibilité de dire clairement ce qui mène au suicide. C'est chose faite ici, même s'il manque clairement le pourquoi du "mon père a foutu ma vie en l'air" (peut-être était-ce l'époque, qui voulait qu'on jette un voile sur ce type de violence, voile levé par nos années à nous). L'aspect fragmentaire lui sied, à mon avis, beaucoup plus que la forme théâtrale.
L'Amour de Phèdre (1996)
Phaedra's love
Sortie : 20 juin 2002 (France). Théâtre
livre de Sarah Kane
Clément Nosferalis a mis 6/10.
Annotation :
Terminé le 28 janvier.
Je reviens aux mêmes reproches que deux livres plus haut. Le début était prometteur, avec le transfert dans le monde contemporain. Le viol commis par Thésée vers la fin m'a paru complètement surnuméraire et gratuit. C'était peut-être l'intention, mais cela m'a heurté.
Roméo et Juliette (1597)
(traduction Yves Bonnefoy)
Romeo and Juliet
Sortie : 1623 (France). Théâtre
livre de William Shakespeare
Clément Nosferalis a mis 8/10.
Annotation :
Terminé le 28 janvier.
Relu pour ma séquence avec mes 4e.
No et moi (2007)
Sortie : 22 août 2007. Roman
livre de Delphine de Vigan
Clément Nosferalis a mis 7/10.
Annotation :
Terminé le 2 février.
"No et moi" est d'ores et déjà un classique scolaire (souvent fait en 4e dans le cadre du réalisme, généralement en lecture cursive à côté d'un travail en classe fait sur l'indéboulonnable Maupassant), pour des raisons qui me semblent méritées. Un lecteur adulte peut à bon droit y regretter les ficelles narratives et stylistiques qui en font une œuvre entièrement dans le canon de notre époque, mais c'est justement, aussi, ce qui fait son efficacité. Aussi bien, d'ailleurs, un écrivain comme Maupassant était-il également un auteur ancré dans les ficelles narratives et stylistiques de son époque, sans grande invention. Les mettre en regard dans une séquence de 4e me semble donc très pertinent. A titre personnel, même si j'ai peu aimé les deux autres Vigan que j'ai lus ("Rien ne s'oppose à la nuit" et "D'après une histoire vraie"), je dois dire que je suis touché par la tristesse d'ensemble, constitutive de son œuvre. Elle me touche autant que celle de Stefan Zweig, avec qui j'étais entré en littérature au début de mes 15 ans. Peut-être Vigan est-elle aussi une bonne autrice pour "entrer en littérature", un pont pour aller vers des œuvres meilleurs ensuite ; c'est en tout cas le pari que nous sommes nombreux à faire avec nos élèves ; et, il faut le dire, ils apprécient généralement beaucoup ce livre.
Le Français va très bien, merci (2023)
Sortie : 24 mai 2023. Littérature & linguistique
livre de Les linguistes atterrées
Clément Nosferalis a mis 7/10.
Annotation :
Terminé le 5 février.
Les tracts Gallimard sont souvent vivifiants. Celui-ci n'échappe pas à la règle, il est même meilleur que d'autres que j'ai pu lire jusqu'ici. Il a l'avantage de présenter le travail des linguistes de manière assez claire ; l'habillage polémique semble parfois plus là pour justifier le propos et la diffusion dans ce genre d'ouvrage à grande diffusion. Je crois néanmoins que, si les grandes plaintes sur le déclin de la langue sont bel et bien risibles dès qu'elles prétendent à un habillage scientifique, la polémiques entre ces linguistes-ci et les déclinistes reposent sur un malentendu. Les linguistes ont abandonné depuis bien longtemps le concept de "beauté", qui est résolument non-scientifique. Parfois, ils utilisent celui de "valeur", avec une analyse socio-linguistique complexe, mais le terme est absent de cet opuscule. Or, les déclinistes se situent bel et bien dans ce champ non-scientifique de la beauté. Ce n'est pas parce que le terme n'est pas scientifique qu'il n'est pas légitime. En somme, les linguistes atterrées mènent une réflexion où il est sans cesse sous-entendu que les questions esthétiques n'ont aucune espèce d'importance. Ce n'est pas leur sujet, je l'entends bien, et quand des esthètes proclamés (souvent risibles : que Le Figaro considère Alain Finkelkraut ou Sylvain Tesson comme des écrivains de valeur prouve assez le naufrage résolu du conservatisme français) parlent de la langue avec un langage pseudo-scientifique, c'est évidemment navrant, mais de là à abandonner toute réflexion esthétique sur la langue qu'on parle et qu'on écrit, au prétexte sous-jacent que toutes les valeurs données le seraient en fonction de notre position sociale, me paraît très léger.
Aux jeunes gens sur la manière de tirer profit des lettres helléniques
(traduction Fernand Boulenger)
Sortie : 2002 (France). Essai, Littérature & linguistique
livre de Basile de Césarée
Clément Nosferalis a mis 8/10.
Annotation :
Terminé le 7 février.
Comme chaque année, je "prépare Carême", alors qu'en vérité je ne tiendrai aucune résolution de Carême, que je ne suis même pas véritablement chrétien (du moins pas plus d'un jour sur deux), et qu'en matière théologique je préfère me définir comme entièrement hérétique (aussi bien pour les chrétiens que pour les athées), et donc, je tente cette année un nouveau Père de l'Eglise, comme on dit, l'année dernière j'avais plutôt tenté Jean de La Croix et Grégoire de Narek, en écoutant Hildegarde de Bingen, et cette année je me tourne, au hasard de Wikisource, vers Basile de Césarée, et je dois dire que j'ai été immédiatement saisi par ses homélies, plus particulièrement par "Observe-toi toi-même", une des plus belles choses chrétiennes que j'ai pu lire, puis celle-ci, sur la lecture des auteurs profanes, qui m'a plu de manière moins théologique, mais plus culturelle, car saint Basile y expose ce rapport aux auteurs profanes d'une manière qui me semble beaucoup plus limpide que saint Augustin ; je vois dans les commentaires sur SensCritique que beaucoup lui reproche, sur la fin de l'homélie, le "mépris du corps", mais cela me semble un contresens, car ces passages se comprennent très bien comme une critique des excès, comme l'idée qu'une réduction de la consommation et de l'attrait pour son propre corps permet de faire de la place pour la méditation et la contemplation, certes le bonheur personnel est vu comme un but sans intérêt, on est donc loin de l'épicurisme, mais on n'est pas si loin du stoïcisme, et on est au contraire loin d'une forme de masochisme lié au sens qui caractérise certains discours chrétiens caricaturaux, et d'ailleurs plus souvent caricaturés que réellement prononcés.
L'Herbe des nuits (2012)
Sortie : 4 octobre 2012. Roman
livre de Patrick Modiano
Clément Nosferalis a mis 8/10.
Annotation :
Terminé le 10 février.
Il y a des auteurs avec lesquels on persévère, et ça paye. Tous les premiers Modiano que j'ai lus m'ont déplu (Dora Bruder, Du plus loin de l'oubli, De si braves garçons...). Quelques autres m'ont semblé moyens (Villa triste, Encre sympathique). Finalement j'en ai trouvé un superbe, La Ronde de nuit, et ces jours-ci L'Herbe des nuits, qui est également très bon.
Une âme en incandescence
Sortie : 1998 (France). Poésie
livre de Emily Dickinson
Clément Nosferalis a mis 10/10.
Annotation :
Terminé le 14 février.
L'œuvre de Dickinson est une millefeuille. Son millier de poèmes a d'abord posé des questions d'édition, puisque rien ne fut publié en livre de son vivant. Il y a aussi, bien sûr, la forêt de symboles dans laquelle elle place ses lecteurs, et elle-même, son "âme en incandescence", qui se développe, se rétracte, disparaît et réapparaît, réapparaît en disparaissant et inversement, au-milieu d'allégories, métaphores, hypallages, scènes sans contexte. On y plonge comme dans l'œuvre mallarméenne, mais sans le fil conducteur du Livre. Quand on lit le texte original à haute voix, comme chez Mallarmé, on se rend compte que cela sonne limpide ; seul le sens bloque. Les poètes à énigmes sont sans doute les plus profonds ; on aime peut-être même la poésie parce qu'on aime les énigmes ; la poésie elle-même est l'énigme ultime : pourquoi ? pourquoi la poésie ? pourquoi le concept d'âme ? pourquoi l'allégorie ? la métaphore ? l'hypallage ? la solitude existentielle ? pourquoi la rendre en vers plutôt qu'en prose rhétorique ? C'est l'art poétique, de faire éclater à la fois les réponses et les questions.
Vie du poème (2021)
Sortie : 25 août 2021. Essai, Poésie, Autobiographie & mémoires
livre de Pierre Vinclair
Clément Nosferalis a mis 10/10.
Annotation :
Terminé le 17 février.
Je suis les réflexions de Pierre Vinclair depuis un moment, via son blog et la revue Catastrophes. J'entame son oeuvre livresque par cet opus-ci, car je le connais d'abord comme théoricien, ou plutôt comme essayiste, ou alors faudrait-il dire comme prosateur de la poésie ? C'est un genre que j'apprécie assez, et j'avais entamé de la même manière l'oeuvre d'Yves di Manno par sa prose avant d'aller vers ses poèmes. L'avantage de sa pratique théorique est d'allier l'exigence et l'ouverture perpétuelle. S'il a de nombreuses similitudes avec Yves di Manno (un passage du livre les souligne), ses jugements de valeur prêtent moins à polémique. D'une certaine manière, c'est un livre apaisant. Une ligne d'interprétation est tenue, dans une structure très nette, avec de nombreux passages autobiographiques ; comme chez Yves di Manno dans "Terre ni ciel", la vie du poème se mélange avec la vie de l'auteur, et c'est heureux, car le propos est justement celui d'une intégration du poème dans les choses, le réel, la pensée et le langage. Cela me semble un aimable bréviaire pour entrer dans la poésie contemporaine ou en approfondir sa connaissance.
L'Autre Nom (2019)
Septologie I-II
Det andre namnet - Septologien I-II
Sortie : 30 septembre 2021 (France). Roman
livre de Jon Fosse
Clément Nosferalis a mis 7/10.
Annotation :
Terminé le 21 février.
Le livre était dans la librairie de ma rue, phénomène surprenant. Je l'ai donc acheté. De Fosse, j'avais assisté à une représentation de "Quelqu'un va venir", qui m'avait ennuyé à mourir. Comme je savais que ces romans étaient réputés difficiles et proches de la vague "postmoderne", si ce mot a une quelconque signification, je me suis lancé gaiement. Comme il n'y a pas le moindre point et que cela s'amorce comme une longue méditation, cela me plaisait. Peu à peu, je me suis rendu compte que cela manquait d'enjeu. On n'a pas comme chez Krasznahorkai la déception lié à l'arrivée d'un messie insatisfaisant, comme chez Cartarescu l'obsession de l'horreur cosmique, ou comme chez Woolf la bascule historique de la première guerre mondiale, ou la violence pamphlétaire de Bernhard, ou l'ombre d'Auschwitz chez Kertész. Parmi les écrivains de cette veine moderniste, Fosse me semble faible. Un peintre médite sur la lumière, se rappelle son enfance, retrouve un ami en plein delirium termes, parle avec son voisin, ça se répète sans grande profondeur. Peut-être la suite est-elle meilleure et justifie-t-elle ces longueurs ; c'est à espérer.
Prismes
Critique de la culture et société
Sortie : 12 septembre 2003 (France). Essai
livre de Theodor W. Adorno
Clément Nosferalis a mis 10/10.
Annotation :
Terminé le 28 février.
"Prismes" est une œuvre tout à fait centrale pour l'analyse du premier XXe siècle, dont il propose une traversée. C'est d'abord là où l'on trouve deux des propos les plus fameux d'Adorno, ressassés par la postérité : l'affirmation qu'écrire de la poésie après Auschwitz est un acte barbare, et la violente critique du jazz. Je ne vais pas m'étendre sur ces deux passages, mais noterai simplement que, quand on lit le premier propos au sein du texte dont il est issu, on voit que la lecture traditionnellement faite passe à côté : Adorno ne dit pas qu'il est scandaleux d'écrire de la poésie après ou même sur Auschwitz, mais qu'Auschwitz est un point zéro dans la culture (pour reprendre l'expression de Kertész) : Auschwitz est arrivé au sein de la culture, qui n'a donc pu l'empêcher ; une culture ne peut être simplement restaurée ; mais on ne peut pas non plus abandonner la culture. En somme, on ne commet que des actes barbares, parce que la barbarie est notre état, ce qu'on appelait "civilisation" s'est achevé à Auschwitz. Adorno est le premier à s'être réellement mesuré à cet événement, et toutes ses analyses se font à l'ombre de l'horreur radicale qui a mis fin à toute spéculation antérieure. Concernant le jazz, on comprend bien mieux en lisant l'article sur Schönberg, l'un des plus beaux hommages jamais écrits : pour Adorno, l'histoire de la musique avançait depuis le baroque, puis la mise en place du système tonal par Bach, puis le classicisme de Vienne qui a malheureusement oublié Bach, les innovations de Beethoven dans ses dernières sonates et quatuors, la rivalité entre Brahms et Wagner, puis celle entre Stravinsky et Schönberg ; durant ce temps finalement si court, une pléthore d'inventions exceptionnelles. Là-dessus, il analyse le jazz comme une régression à deux niveaux : esthétique tout d'abord, puisque les compositions reviennent à un état beaucoup moins sophistiqué que ce à quoi arrivait la musique savante ; politique ensuite, puisque le jazz s'adapte très rapidement au rythme des soirées mondaines, puis de la radio, des majors, bref de toute l'industrie culturelle : le jazz serait la musique de fond du capitalisme tardif. Il écrit aussi cela (tournant 1950) à un moment où les classiques du jazz (ceux qu'on trouve par exemple en haut de la liste SensCritique "les meilleurs albums de jazz") n'ont pas encore été créés. Je me suis déjà beaucoup étendu et ne pourrait donc pas détailler pourquoi ce livre est génial (puisque ce n'est
Chants
Canti
Sortie : 1818 (France). Poésie
livre de Giacomo Leopardi
Clément Nosferalis a mis 8/10.
Annotation :
Terminé le 2 mars.
Il est probable que j'en attendais trop, après tant d'années où je me disais qu'il faudrait lire les Chants de Leopardi. Peut-être attendais-je un romantisme à l'anglaise, je ne sais pas. Ses textes d'exhortation épique m'ont laissé froid, même si leur importance historique est certes à l'évidence capitale. Sa poésie amoureuse également. Les passages nihilistes sont un peu plus touchants. (C'est amusant de redécouvrir à quel point les nationalistes ont toujours un fond nihiliste, qu'ils cherchent à surmonter par l'exhortation épique ; -mais sans doute en est-il de même pour les gauchistes.) Le poète dont il est le plus proche semble plutôt André Chénier. C'est seulement à moitié un compliment.
"endquote" (1999)
digressions
Sortie : 1999 (France). Essai
livre de Yves di Manno
Clément Nosferalis a mis 9/10.
Annotation :
Terminé le 11 mars.
Ceux qui suivent ce journal savent que, depuis plus d'un an, Yves di Manno compte parmi mes auteurs favoris. Découvert d'abord par ses traductions, je me suis ensuite intéressé à ses écrits critiques, puis à ses poésies. "endquote" est le premier volume de son triptyque critique, suivi ensuite d'"Objets d'Amérique" et de "Terre ni ciel". Ayant lu les deux autres, je termine par le début. En plus de son introduction, qui a le mérite d'un clair et succinct programme poétique, on compte les belles et brèves études sur Ezra Pound et Paul Nougé. Je le redis donc ici : la traversée de l'œuvre d'Yves di Manno me paraît essentielle à quiconque s'intéresse à la poésie de langue française.
Amour d'hiver
Sortie : 2017 (France). Poésie
livre de Hilda Doolittle
Clément Nosferalis a mis 8/10.
Annotation :
Terminé le 13 mars.
J'ai mis beaucoup de temps à lire ce court recueil. H. D. est une poétesse qui compte pour moi, surtout pour "Trilogie", mais aussi pour "Hélène en Égypte". Ici, ces poèmes de ses dernières années, au moment de son allitement après sa chute, puis de l'approche de la mort, m'ont tout d'abord semblé de moindre ampleur, comme une sorte d'apostille à "Hélène en Égypte", livre auquel ils devaient d'ailleurs être d'abord ajoutés, avant une séparation in extremis. Les poèmes de la fin sont de plus d'intérêt, quand on commence à saisir plus nettement les allusions biographiques.
Traités sur l'éducation
Traités sur l'éducation
Sortie : 15 mai 2000 (France). Essai
livre de Plutarque
Clément Nosferalis a mis 6/10.
Annotation :
Terminé le 20 mars.
J'aime beaucoup Plutarque, mais je dois avouer qu'ici, je suis resté sur ma faim. La question de l'éducation est ici posée uniquement de manière morale, le contenu n'étant qu'approché. On est bien loin d'un traité comme celui de Quintilien. Certes, Plutarque n'a pas choisi de s'occuper strictement d'éducation, il insère ces réflexions dans l'ensemble plus large de sa pensée morale, dans le cadre du stoïcisme. Mais, en conséquence, son propos est d'un intérêt moindre.
Les Termitières de la savane (1988)
Anthills of the savannah
Sortie : 1988. Roman
livre de Chinua Achebe
Clément Nosferalis a mis 8/10 et a écrit une critique.
Annotation :
Terminé le 29 mars.
Voir ma critique : https://www.senscritique.com/livre/les_termitieres_de_la_savane/critique/303654905
Complaintes & Co. (2024)
Sortie : mars 2024. Poésie
livre de Pierre Vinclair
Clément Nosferalis a mis 9/10.
Annotation :
Terminé le 2 avril.
Le livre se présente en trois parties, dédoublées par trois paratextes. La préface de Laurent Albarracin replace le livre dans le contexte du travail contemporain sur la syntaxe, auquel s'adonnent nombre de poètes contemporains de valeur: Albarracin lui-même, Vinclair évidemment, tous ceux réunis autour de l'excellente revue Catastrophes, mais aussi autour de la collection Poésie de Flammarion, cela derrière l'ombre portée par Yves di Manno. Albarracin a aussi le mérite de poser succinctement la question du réalisme en poésie, vaste question qui nécessiterait des milliers de pages. La postface de Pierre Vinclair insère quant à elle le livre dans la question des "grands mots" ("monde", "âme", "éternité", etc.), à savoir: faut-il les abandonner? les remotiver? les mobiliser ironiquement ? Sur ce problème tout aussi vaste, je dois encore avouer camper sur les mêmes positions que l'auteur de ce livre. La notice (auto)biographique replace l'œuvre dans un cheminement intellectuel, plus développé dans "Vie du poème". Cette notice et les photographies de l'auteur au début sont néanmoins significatives: plus l'auteur est absent du contenu du livre (ce sont des personnages qui parlent, se complaignent), plus il est présent partout. Ce paradoxe désormais classique (les khâgneux se souviennent des propos de Flaubert) n'en finit pas de se renouveler.
Parmi les poèmes, première et troisième partie se répondent, constituées de personnages vraisemblables ou réels, qui parlent ou pensent ou sont racontés. Structure polyphonique, donc. Leur position sociale, ou marginale, est fortement marquée par les titres et par le contenu. Nous avons donc un réalisme, mais entrecoupé d'un fort travail sur la syntaxe. Deux inspirations louables sont réunies; c'est donc un livre à lire.
Remarques mêlées (1978)
Vermischte Bemerkungen
Sortie : 1984 (France). Essai, Philosophie
livre de Ludwig Wittgenstein
Clément Nosferalis a mis 9/10.
Annotation :
Terminé le 5 avril.
Wittgenstein est meilleur quand il échappe aux wittgensteiniens, du moins aux lectures de courte vue qui furent celles du positivisme logique et du Cercle de Vienne. On le voit ici se débattre avec la musique, la religion, la psychanalyse, dans des tentatives du clarification et de rejet des concepts inopérants, mais sans présupposer désormais un langage logique qui sous-tendrait le langage courant. La figure dominante est ici celle de Socrate : Wittgenstein se présente lui aussi comme celui qui ne sait rien, et qui peut seulement amener les autres à se rendre compte que leurs savoirs sont de faux savoirs. Les philosophes sceptiques sont les meilleurs ; Wittgenstein s'apprécie mieux quand on le considère comme sceptique.
Les Chants de Maldoror (1869)
Sortie : 1869 (France). Poésie
livre de Comte de Lautréamont (Isidore Ducasse)
Clément Nosferalis a mis 10/10.
Annotation :
Terminé le 12 avril.
Tout m'ennuyait, et comme je réfléchissais sur le poème en prose, je me mis à relire Les Chants de Maldoror, cette oeuvre qui avait tant marqué mes premières réflexions sur la poésie. À vrai dire, et cela surprendra peut-être, le contenu du livre ne m'avait finalement pas tant marqué : le thème de la cruauté, qui a fortement marqué les grands critiques (Bachelard, Blanchot...), m'a semblé secondaire. Deux choses ont compté pour moi : d'abord l'aspect satirique, l'inversion des littératures et pensées classiques, ce grand renversement qui en avait fait l'auteur-phare des surréalistes, et qui s'insère aujourd'hui très bien dans l'idée (chez Yves di Manno par exemple) d'une poésie qui doit travailler, sérieusement ou ludiquement (ou les deux) sur le matériau ancien ; ensuite la manière de convoquer les images, les entrechoquer, les barrer par des adjectifs en hypallage.