64 livres
créee il y a 11 mois · modifiée il y a 4 jours22/11/63 (2011)
11/22/63
Sortie : 28 février 2013 (France). Roman
livre de Stephen King / Richard Bachman
Alexandre G a mis 7/10.
Annotation :
Quel meilleur livre pour commencer ma 30e année que le pavé de Stephen King, plein de fausses pistes et de faux semblants. Car contrairement à ce qu'il annonce, ce roman n'est pas nécessairement un livre sur l'assassinat de Kennedy : c'est un roman de voyage dans le temps. Certes, Jake Epping cherche à empêcher le meurtre du président en 1963, mais durant les 5 ans qu'il passe dans cette période, hormis suivre les détails rédigés par son ami Al Templeton qui a déjà vécu cette remontée dans le temps et qui a pisté Lee Harvey Oswald et ses peut-être complices, Jake Epping vit des histoires, et notamment une histoire d'amour avec Sadie Dunhill, d'une rare beauté dans la littérature américaine. A travers la culture du sud des Etats-Unis de la fin des années 1950, on redécouvre le lindy-hop, la vie sans portable, et on ne peut s'empêcher de soupçonner Stephen King de nourrir une certaine nostalgie de cette époque qui semblait plus simple (enfin, si vous étiez Blanc). Evidemment, c'est du King dans le texte : il faut se farcir des dizaines de pages de sous-intrigues et de personnages secondaires pour espérer avoir un cliffhanger digne de ce nom (et les cliffhangers sont formidables !), de même que cette histoire de mec fou au carton jaune à la sortie du terrier de lapin vous restera dans la tête sur 90% du livre avant d'être finalement élucidée...
Ce n'est pas un roman parfait, ni même le meilleur livre de voyage dans le temps, mais c'est un récit détaillé de la vie de Lee Harvey Oswald à Dallas, et aussi de la journée du 22 novembre 1963 à Dallas, évidemment le moment fort du roman. En cela, on est satisfait d'avoir franchi ces 950 pages.
Sur les épaules de Darwin, 1
Les battements du temps
Sortie : 13 octobre 2012 (France). Essai
livre de Jean-Claude Ameisen
Alexandre G a mis 8/10.
Annotation :
Un ouvrage retranscrivant des volets de l'émission "Sur les épaules de Darwin" que je n'avais pas la chance de connaître à l'époque où cela passait sur France Inter. C'est une succession de petites histoires, toujours narrées sur un ton très poétique, mais qui s'appuient sur des études scientifiques, que ce soit sur la lumière des étoiles, le passé géologique, le comportement des oiseaux, etc. Et Jean-Jacques Ameisen de nous faire réfléchir sur la mémoire, le passé, la filiation, l'apprentissage, mêlant philosophie, poésie et sciences. C'est très facile à lire et pourtant on apprend plein de choses.
Martin Eden (1909)
(traduction Francis Kerline)
Sortie : 2010 (France). Roman
livre de Jack London
Alexandre G a mis 9/10.
Annotation :
En voilà un livre qui m'en a procuré des émotions ! Structuré autour de trois parties assez distinctes, 'Martin Eden' est un roman d'apprentissage, et dans la lignée des romans balzaciens, un roman de la désillusion : amoureux de la bourgeoise Ruth Morse, Martin Eden n'est qu'un marin peu éduqué. Il décide donc de se vouer corps et âme, jour et nuit à la lecture, pour se hisser dans ce milieu bourgeois qu'il admire. Mais une fois qu'il a pris goût à la lecture et la philosophie, il réalise que ce monde ne l'accepte pas non plus : le savoir n'y est qu'un vernis, et ce qui compte reste l'argent et la renommée. Quand ces deux réussites lui tombent dessus par hasard, au gré des manuscrits qu'il envoie ad nauseam aux éditeurs, il n'en a plus envie : rejeté à l'origine par Ruth et par le milieu bourgeois, il est désormais adulé et désiré, mais lui n'a plus goût à rien, et se suicide au fond du Pacifique. J'ai longtemps vu Martin Eden comme une caricature du parvenu : donnez à un homme du peuple de l'éducation, et il deviendra aussi méprisant que ne le sont les bourgeois. Morale ? Personne à sauver, la culture rend mauvais, et une fois qu'on a ouvert les yeux, on n'a plus qu'à se suicider tant rien n'a de valeur. Oui, mais voilà, cela ne colle pas avec cette dernière partie où la renommée enlève le goût de lire et d'écrire à Martin Eden : car Jack London a moins appuyé sur le versant philosophique et poétique de l'intrigue que sur son versant social, et dans la bourgeoisie capitaliste triomphante de Oakland/San Francisco, la naissance ne décide rien, c'est la renommée et l'argent qui font tout. Ce qui était gage de liberté et d'égalité (équité plutôt) après la Révolution française se révèle être un carcan incompatible avec la poésie et les sentiments dont Martin Eden est affublé, son amour pour Ruth. Car toute cette civilisation matérielle concoure à lui disputer sa verve poétique.
Martin Eden est un roman stimulant, proposant une multitude de pistes et d'idées, et qui, en tant que dernière oeuvre de Jack London avant son propre suicide, portraiture le poète en albatros baudelairien du XXe siècle.
Veiller sur elle
Sortie : 17 août 2023 (France). Roman
livre de Jean-Baptiste Andrea
Alexandre G a mis 7/10.
Annotation :
Clairement pas le Goncourt que j'espérais, mais eh, ce n'est pas non plus un mauvais roman. Peut-être façonné selon une multitude de récits canoniques dont il reprend l'intertextualité, 'Veiller sur elle' est le récit de la vie de Michelangelo Vitaliani, plus communément appelé Mimo par ses amis, un nain italien qui s'installe à Pietra d'Alba, un village du Piémont italien, au début du XXe siècle. Elevé par son oncle Zio, sculpteur, il devient sculpteur de renom dans l'Italie fasciste, et est accueilli dans la famille aristocratique du village, les Orsini, et se fait ami avec leur fille, Viola. Un peu à la façon du 'Guépard', on voit ainsi l'évolution de l'Italie dans la première moitié du XXe siècle sous le prisme de cette famille d'un autre âge, dont les fils épousent les carrières si diverses qu'offre la modernité : Francesco est secrétaire d'un cardinal et futur pape, Stefano est un fasciste influent, et le troisième fils est mort à la guerre en 1917. Viola est un peu le vilain petit canard, s'explosant au sol après une tentative de voler dans son adolescence, et passant le restant de sa vie à échouer dans ses projets. Avec Mimo, ils forment une paire bien particulière, puisque jamais le bonheur ne les côtoie lorsqu'ils sont séparés, alors même que lui connait un succès fulgurant et elle est cloîtrée avec un mari qui ne l'aime pas. Il n'y a qu'ensemble qu'ils vivent heureux, mais ils semblent tout faire pour ne jamais le rester bien longtemps.
Au centre de ce récit est une Pietà que réalise Mimo, on ne sait quand puisque c'est par le biais de flash forward, au moment de sa mort dans les années 1980, que certains chapitres nous disent que cette Pietà a détrôné celle de Michel-Ange, et qu'elle aurait des pouvoirs mystiques. Ce n'est qu'au dénouement, après 570p, qu'on saura de quoi il en retourne, montrant l'intertextualité biblique qui a parcouru une bonne partie de l'oeuvre.
C'est un roman riche, probablement bien plus étoffé qu'il n'y paraît, qui emprunte à de multiples genres, depuis la farce tragique jusqu'à la romance impossible, et dont on aime voir les péripéties.
Ecotopia (1975)
Sortie : juin 2007 (France). Roman
livre de Ernest Callenbach
Alexandre G a mis 6/10.
Annotation :
Je suis un peu gêné par ce livre. Autant je vois l'effort d'anticipation, présenté sous la forme de lettres persanes, d'un journaliste des Etats-Unis qui se rend dans ces trois Etats sécessionnistes de l'Ouest qui ont développé une société viable, écologique et respectueuse de l'environnement, qui a retrouvé son animalité, etc. Autant je ne peux m'empêcher d'y voir une espèce de délire caricatural (ce qui est probablement le but puisque c'est du point de vue d'un journaliste sceptique qui finit par se faire convaincre), où les solutions à la course contre le mur dans laquelle nous entraîne le capitalisme (qui n'est jamais nommé) sont globalement de revenir au mode de vie Amish. Alors non, le bouquin n'est pas aussi caricatural, mais beaucoup trop des éléments anthropologiques présentés par Callenbach font penser au cliché des Indiens d'Amérique, ou des hippies (bouquin des années 1970 rappelons-le) : le fait de les présenter comme viables relève tantôt de la naïveté, tantôt d'une admiration béate que je trouve discutable. Pour le reste, il y a quantité de bonnes idées ou juste d'idées déjà réalisées depuis en Europe (eh oui c'est tout de même un Américain qui écrit), ce qui en fait un bon bouquin à proposer pour convertir ses amis sceptiques.
Guerre et Paix (1867)
(traduction Elisabeth Guertik)
Война и мир (Voyna i mir)
Sortie : 1953 (France). Roman, Aventures, Histoire
livre de Léon Tolstoï
Alexandre G a mis 8/10.
Annotation :
Ouf ! Enfin venu à bout, et encore c'était la version "romancée", celle de 1250p qui nous épargne les considérations philosophiques et historiques de l'auteur. Peut-être un choix discutable pour un historien comme moi... Mais quelques passages ont été conservés pour nous résumer tout de même sa pensée.
C'est un pavé canonique dans la littérature, et comme toutes les fresques historiques, on ne voit pas les pages défiler par centaines. A travers trois familles, les Bolkonsky, les Rostov et les Bezoukhov, on suit les méandres de l'aristocratie russe durant les guerres napoléoniennes. Cela permet à Tolstoï de dérouler ce qui fait la masculinité chez cette classe sociale au début du XIXe siècle : s'illustrer à la guerre, dire qu'on y était, avoir approché l'empereur, puis rentrer courtiser sa cousine ou telle jeune femme à marier du tout Moscou. D'un autre côté, cela illustre la féminité attendue des filles de la noblesse : ne penser qu'à se marier, hésiter entre tel ou tel prétendant, ne pas décevoir sa famille. Monde violent.
Les phases de guerre sont probablement les plus intéressantes au point de vue de l'action : Austerlitz en est le climax, durant près de 150p, et c'est une franche réussite, à savourer avec une carte de la bataille sous les yeux. Bon point en particulier pour la description de ce qu'est une chevauchée, cette rutilante locomotive dont les cavaliers perdent eux-mêmes le contrôle et qui vient annihiler toute résistance. La campagne de Russie de 1812, qui clôture l'intrigue, est moins passionnante : peu de bataille, et Borodino est évacuée, mais on voit davantage l'envers, celui des prisonniers, de la misère, de la contingence des choses. Et la théorie de Tolstoï sur la guerre est passionnante : personne n'y comprend rien, pas plus le simple soldat que le commandant en chef, et pourtant l'on suit les ordres. Les victoires ne se jouent pas par le génie, mais bien souvent par un enchaînement d'évènements si nombreux qu'on serait bien incapable de les connecter entre eux. Il faudra peut-être que je me penche sur la version longue...
Un barrage contre le Pacifique (1950)
Sortie : 1950 (France). Roman
livre de Marguerite Duras
Alexandre G a mis 8/10.
Annotation :
Le roman de ce qui est vain, de l'impossibilité de se détacher de sa famille, quand bien même ce qui nous lie à eux nous fait du mal : Suzanne et Joseph vivent avec leur mère en Indochine. Celle-ci a travaillé longuement à la mort de son mari pour acheter une concession, qu'il lui est impossible de cultiver : la mer y détruit les sols 2 fois par jour. Elle a essayé d'y construire un barrage, mais l'océan finit toujours pas reprendre ses droits. Et le trio ne fait que faire face à ces semi-réussites, semi-échecs : on ne sait vraiment si la mère et Joseph veulent marier Suzanne, tant tous les partis qui s'approchent, parfois de grandes fortunes comme M. Jo, repartent la queue entre les jambes, insultés ou humiliés. Et pourtant, Joseph n'a de cesse de dire que si tu veux coucher avec sa soeur, tu dois la marier. Alors pourquoi refuser tous les prétendants ? Idem pour les éternels faux départs de M. Jo : combien de chapitres finissent par le départ définitif du personnage, et commencent par son retour anodin ? Suzanne devient peu à peu le personnage principal du roman, à mesure qu'il se transforme en roman d'apprentissage, où la jeune fille se persuade de plus en plus qu'elle doit quitter sa mère. Il faut cependant attendre la mort de celle-ci pour qu'elle se décide... et pourtant qu'elle refuse à Jean Agosti de partir avec lui. Finalement, elle rejoint son frère Joseph : qu'on l'aime ou non, on finit toujours par revenir auprès de sa famille.
Disgrâce
Sortie : 1999 (France). Roman
livre de J. M. Coetzee
Alexandre G a mis 8/10.
Annotation :
Coetzee est un maître dans l'art de croquer la réalité d'un pays en quelques épisodes seulement. L'Afrique du Sud, à peine sortie de l'horreur sans nom qu'a été le système de l'apartheid, s'incarne dans ces personnages que sont David Lurie, universitaire blanc du Capforcé de rejoindre sa fille dans le veld à la suite d'une agression sexuelle sur une de ses étudiantes, ou encore Petrus, le métayer noir, probablement ancien esclave, qui prend peu à peu le dessus sur l'exploitation maraîchère de la fille de David, Lucy. La période post-apartheid est marquée par le bouleversement généralisé des relations sociales, de la stratification sociale, et les rancoeurs accumulées pendant des décennies trouvent à s'exprimer dans une violence permanente, des non-dits et des acceptations tacites qui créent une atmosphère terriblement oppressante. les femmes sont particulièrement victimes de ce système : Mélanie, la jeune étudiante complètement perdue et passive, forcée par David dans une relation qu'elle ne veut pas, est mise en regard avec le viol de Lucy par trois cambrioleurs : leur passivité et leur acceptation tacite de la situation (à la différence de la commission universitaire contre David, mais qui semble organisée par le copain de Mélanie plus que par elle) montrent cette violence qui découle de l'apartheid et qui irrigue la "nation arc-en-ciel" qui n'a de tel que le nom. Les repères sentimentaux, familiaux sont brouillés, on tombe amoureux d'une étudiante qui ne vous aime pas, et on s'éloigne de son père qui veut vous protéger pour se marier avec son bourreau. Le roman est puissant et dérangeant.
L'Espoir (1937)
Sortie : 1937 (France). Roman
livre de André Malraux
Alexandre G a mis 6/10.
Annotation :
Malraux est toujours aussi hermétique à lire : on sent que personne ne lui arrive à la cheville en tant que reporter et créateur de fiction dans un environnement confus et récent (il écrit au beau milieu de la guerre d'Espagne), mais il est impossible de suivre toutes les intrigues, tous les personnages qu'il propose. Arrivé à la p. 400, j'ai encore du mal à déterminer qui sont les personnages principaux, ou encore comment les uns se démarquent des autres. Certains passages sont impressionnants, d'autres sont pénibles à suivre. Je n'ai pas envie de le finir : je sais que ce n'est pas un livre à histoire, et j'ai du mal à me sentir captivé.
Neige (2002)
Kar
Sortie : avril 2007 (France). Roman
livre de Orhan Pamuk
Alexandre G a mis 6/10.
Annotation :
Un peu laborieux à lire sans être inintéressant, "Neige" est considéré comme le livre ayant déterminé l'attribution de son prix Nobel de littérature à Orhan Pamuk en 2006. La plume tragicomique et quasi-épique de l'écrivain turc est reconnaissable assez rapidement, faite d'une atmosphère de gravité surprenante pour des sujets peut-être triviaux pour la Turquie : nous sommes à Kars, ville-frontière de l'est de l'Anatolie, coincée entre l'Arménie et Erzurum, et isolée par la neige pendant ces 4 jours où le poète Ka est envoyé de Francfort pour y chroniquer le suicide de jeunes filles voilées pour un journal allemand. Le pivot du roman est le "coup d'Etat militaire local" perpétré par les kémalistes durant une représentation théâtrale de la même idéologie au cours de laquelle des islamistes sont raflés pendant toute la nuit. En cela, 'Neige' est d'abord un portrait de la Turquie des années 1990, coincée entre les factions laïques kémalistes et militaires, et la montée de l'islam politique au sein de la population. C'est cela que le suicide des jeunes filles voilées vient mettre en évidence : qu'est-ce qui pousse des femmes pieuses à enfreindre le commandement sacré de ne pas se tuer ? Au-delà de ces aspects sociologiques, le roman est en fait un récit raconté par Pamuk lui-même sur la vie du poète Ka, et la rédaction d'une vingtaine de poèmes perdus (dans le roman) durant ses 4 jours à Kars. On n'aura jamais que quelques vers d'un de ces 20 poèmes, mais on le voit traverser plusieurs épisodes importants de sa vie qui le conduisent à les rédiger : les incidents au théâtre, son amour avec la belle Ipek, le meurtre de son ami Necip par les kémalistes, etc. Encore une fois, ce n'est pas inintéressant mais on a aussi du mal à s'y attacher sérieusement : le roman est long, étrangement rythmé, et veut peut-être trop en faire, trop en dire.
Proust, roman familial (2023)
Sortie : 24 août 2023 (France). Autobiographie & mémoires
livre de Laure Murat
Alexandre G a mis 8/10.
Annotation :
Un récit avec une ambition si admirable : associer sa lecture de Proust avec sa propre expérience du monde aristocratique français. Laure Murat fait ce que tout le monde rêve de faire, démontrer que Proust parle à tout le monde, a écrit la vie de tout le monde, connait le passé de tout le monde. Bon, ça c'est surtout dans la première partie de l'ouvrage, car l'autrice s'éloigne progressivement de ce projet pour développer ses propres pensées sur la Recherche, mais cela reste un plaisir à lire. En montrant à quel point les Murat, noblesse d'Empire, et les Luynes, noblesse d'Ancien Régime, liés à l'occasion du mariage de ses parents, sont au coeur des évolutions de l'aristocratie au XXe siècle, comment ils ont connu Proust et comment Proust les a connus, Laure Murat rédige aussi un plaidoyer pour la thèse principale du romancier : la désillusion vis à vis d'un monde qui n'est qu'apparence, culte de l'apparence et du faux-semblant, une coquille vide qui ne peut que susciter des illusions. Citations de la Recherche mais aussi des plus réputés critiques de son oeuvre, 'Proust, roman familial' se lit d'une traite à mesure qu'on découvre ce que Laure Murat en a pensé et comment elle a relu sa vie à travers les yeux de Proust.
Triste tigre (2023)
Sortie : 17 août 2023 (France). Autobiographie & mémoires, Récit
livre de Neige Sinno
Alexandre G a mis 8/10.
Annotation :
Récit à la première personne du viol répété commis par son beau-père lors de son enfance, 'Triste tigre' est une oeuvre éprouvante et touchante, celle d'une femme qui raconte un peu en stream of consciousness ce que ça fait à un être humain que d'être humilié, trahi, quand on est une enfant de 10 ans. Ce que ça lui fait dans sa vie future, dans sa vie présente. Et d'aborder les sujets les plus concrets : doit-on cesser pour toujours d'être heureuse ? Peut-on regarder à nouveau des hommes et leur faire confiance ? Peut-on avouer qu'on n'a pas que vécu un enfer dans cette enfance ? Neige Sinno a écrit le témoignage de sa vie, alors que son beau-père avait été jugé et reconnu coupable des décennies auparavant : il ne s'agissait donc pas de le dénoncer à la face du monde, comme ont pu le faire d'autres récits médiatisés, mais d'exprimer le point de vue de celle qui a souffert, qui souffre encore de cette épreuve monumentale, et qui concerne pourtant tellement d'enfants.
Les Deux Étendards (1951)
Sortie : 1951 (France). Roman
livre de Lucien Rebatet
Alexandre G a mis 10/10.
Annotation :
Comme tout roman amené à changer votre regard sur les choses, votre expérience de lecteur ou votre passion pour l'art, "Les Deux étendards" a autant été une lecture qu'un moment passé dans ma vie. Durant les 24h de lecture (merci la liseuse) qu'il m'a fallu pour achever cette somme, j'ai découvert la plume incisive et rageuse d'un écrivain. Ordure fasciste et antisémite, condamné à mort (mais gracié) à la Libération, propagandiste de 'Je Suis partout' et considérant que Vichy était trop pro-Britanniques, Rebatet a tout pour finir dans les limbes de l'histoire. Mais que dire face à une oeuvre aussi complète, une écriture si fine, alternant entre des envolés littéraires uniques et la manipulation d'un langage populaire comme Renaud n'en pourra que rougir ? Pas plus d'intrigue ici que chez Proust, que Rebatet cite un millier de fois, nommément ou à travers des épisodes évidemment très ciblés : un triangle amoureux, Régis/Anne-Marie/Michel, mais c'est le point de vue de ce dernier qui nous intéresse, puisque pour séduire Anne-Marie, il se laisse entraîner dans un chemin de foi par Régis, destiné à prendre le noir des Jésuites. Les deux étendards sont ceux-là : celui de Jésus, la lumière de la religion; celui de Lucifer, les ténèbres du stupre et de la damnation. Evidemment, Michel ne prend pas, et malgré quelques pages de tentative de conversion, il bascule irrémédiablement après avoir été "confessé" par un père jésuite, un des grands moments de farce du roman, tant la violence anticléricale se déchaîne de façon tonitruante. La multitude des thèmes abordés, l'art n'en étant pas un des moindres, en fait un roman dans lequel on se plonge pour avoir un regard sur la vie, sur tous ses aspects, sur les années 1920 aussi, coincées entre Lyon et Paris, mais dont la fin du livre, comme un voyage de Croix, tend à nous ramener au christianisme originel : d'abord à Rome, où les noces sont heureuses, puis à Constantinople, où le couple se détruit. Il y aurait tant à dire, et pourtant, on n'a qu'une seule envie : se taire et relire ce chef d'oeuvre, qui devrait figurer aux côtés de la Recherche comme la plus grande fresque littéraire française du XXe siècle.
14 juillet (2016)
Sortie : 17 août 2016. Roman
livre de Éric Vuillard
Alexandre G a mis 7/10.
Annotation :
En 2016, Eric Vuillard nous invitait à vivre la journée du 14 juillet 1789 à Paris, cette fois-ci à travers le regard de ces innombrables gens du peuple qui avaient décidé de faire une sauterie dans l'Est de la ville, en rive droite, là où trônait la forteresse menaçante de la Bastille. Par un travail documenté, agrémenté de la liberté du romancier de broder à partir de sources fragmentaires ou manquantes, Vuillard énonce ce qui fait tout le sel d'un moment d'Histoire : la contingence, l'improvisation, le chaos. Les gens qui sont là-bas n'ont pas de plan prédéterminé, ils sont dans l'évènement sans savoir ce qui s'y passe, ils vivent réellement. Et cela nous rappelle aussi ce qu'est une révolution : un agrégat de destinées individuelles contradictoires, un patchwork de personnalités, avec une proportion plus importante que d'habitude de marginaux, ceux qu'on voit généralement le plus dans ces moments d'accélération du temps. Alors on voit par-ci par-là quelques noms célèbres apparaître, le gouverneur de Launay évidemment, ou encore Desmoulins et sa première harangue publique la veille. Mais Vuillard fait la part belle aux inconnus, ceux qu'on connait par la suite comme les "vainqueurs de la Bastille", mais qui n'étaient alors pour la plupart que des provinciaux venus travailler à Paris dans quelque métier, et qui se trouvaient à la Bastille par le hasard des choses. Cela reste intéressant d'être immergé dans l'exotique de l'évènement crucial, même si la grande densité de noms oubliés sitôt évoqués peut un peu lasser.
Méridien de sang (1985)
Blood Meridian
Sortie : 14 avril 1988 (France). Roman
livre de Cormac McCarthy
Alexandre G a mis 7/10.
Annotation :
C'est dommage, 'Blood Meridian' ne m'a pas transcendé comme je pense que l'intention de McCarthy était de transcender son lecteur. A travers une infinité de tableaux, à l'esthétique finement décrite, aperçus d'un pandémonium qui ne peut que modifier à jamais notre perception de l'Ouest américain, le romancier évoque l'histoire d'une Horde hétéroclite, qui pourchasse des Indiens pas moins cruels et sanguinaires, entre le Texas et le Mexique de la 2e partie du XIXe siècle. La mort, la désolation, la souffrance, la luxure règnent dans cet univers désolé, où personne ne peut se faire confiance, où les ennemis d'hier sont les amis d'aujourd'hui, et inversement...
Sans réelle histoire, et pourtant hautement narratif, 'Méridien de sang' dépeint l'envers de la ruée vers l'ouest, cette mythologie qui a fait une épopée d'un assemblage de destinées brisées par la violence et d'opportunismes nauséabonds, où l'argent se fait sur le meurtre, le détroussage des espérances. Les cadavres jonchent ces terres indomptées, et le bien et le mal n'existent pas : seule compte la nécessité de survivre. Très poétique, et assez impressionnant en termes d'esthétique, 'Méridien de sang' reste un ouvrage difficile et dans lequel il doit falloir se replonger pour mieux l'apprécier.
Enfant de salaud (2021)
Sortie : 18 août 2021. Roman
livre de Sorj Chalandon
Alexandre G a mis 8/10.
Annotation :
Les récits romancés de Sorj Chalandon sont vraiment des lectures simples et pourtant fascinantes. Ici, le journaliste met côte à côte son récit du procès de Klaus Barbie à l'été 1987 à Lyon et la découverte des archives liées à son propre père durant l'occupation. Bien qu'on n'apprenne à la fin qu'il n'a pu y avoir accès qu'après la mort de son géniteur, Sorj Chalandon outrepasse cette difficulté en se mettant en scène découvrant toute la vérité sur les mensonges permanents de son père alors que celui-ci serait toujours vivant, ce qui lui permet de crier toute sa haine face à ce personnage qui n'avait pas de raison particulière de mentir à sa femme et à son fils, mais qui l'a tout de même fait. Car le père de Sorj Chalandon incarne toute la complexité de l'expérience de la guerre, celle que Klaus Barbie n'incarne justement pas : au tortionnaire froid et transparent, on préfère ainsi celui qui a été tantôt engagé dans un réseau de résistance dans le Nord et travailleur pour des services de la SS; tantôt membre du PCF et soldat légionnaire de Vichy. C'est en découvrant toutes ces informations que le narrateur subit le vertige de l'Histoire : dans quelle case ranger ce père ? Et pourquoi n'avoir jamais rien dit ? Emprisonné à la libération et dégradé pendant 5 ans, il ne s'est jamais présenté autrement que comme un membre de la division Charlemagne, ayant combattu les Soviétiques sur le front de l'est, alors même que son propre père et tout son village disaient l'avoir vu avec un uniforme allemand. En plus d'être un bel ouvrage sur la relation père-fils, 'Enfant de salaud' est aussi une démonstration impeccable de ce que la mémoire fait au passé : elle le reconstruit, elle le juge, elle le modifie. Et c'est dans l'ordre des choses.
V13 (2022)
Chronique judiciaire
Sortie : 25 août 2022. Articles & chroniques
livre de Emmanuel Carrère
Alexandre G a mis 8/10.
Annotation :
Il y a assez peu d'auteurs qui, comme Carrère, me font systématiquement lire leurs livres quasiment d'une traite, quand bien même l'ouvrage pourrait ne pas répondre du tout à mes intérêts du moment. En mettant bout à bout ses chroniques hebdomadaires pour L'Obs, augmentées de chapitres supplémentaires, Emmanuel Carrère publiait en 2022 'V13', le récit du procès des attentats du 13 novembre 2015 à Paris, qui s'est déroulé de septembre 2021 à juin 2022. Et ce n'est pas grand chose que ce qu'on attend de Carrère en pareilles circonstances : le récit, plus ou moins détaillé, de toute la mise en scène judiciaire que représente un procès exceptionnel, avec des dizaines de victimes, de témoins, des centaines d'avocats, et une poignée seulement d'accusés. Evidemment, cela n'a rien de bien original dans la pratique : les témoignages des victimes sont poignants, ceux des accusés (les rares fois où ils n'ont pas gardé le silence) sont confus et peu engageants. Mais Carrère parvient toujours à apposer sa patte sur ces fragments d'histoire, que ce soit par son implication personnelle comme il le fait depuis l'affaire Jean-Claude Romand (ici, en se rendant personnellement sur le site du "buisson conspiratif" où se sont cachés deux des terroristes, ou encore en côtoyant les rescapés présents au procès), ou encore par son travail personnel qui permet de mettre en lumière des zones qui nous paraîtraient obscures (l'indemnisation des victimes du terrorisme, le parcours des avocats novices...) Cela se lit toujours comme du petit lait, et à la fois par voyeurisme mais aussi en se laissant porter par la plume, j'adore le conteur qu'est Carrère.
Underground (1997)
Sortie : 7 février 2013 (France). Roman
livre de Haruki Murakami
Alexandre G a mis 8/10.
Annotation :
Qu'est-ce que la liminarité dans une société constituée ? A cette question, Murakami répond en trois actes, tous centrés autour de l'attaque terroriste au gaz sarin dans le métro de Tokyo, le 20 mars 1995, perpétré par des adeptes de la secte Aum, au Japon. D'abord, la liminarité s'exprime dans les témoignages des victimes et familles des victimes, durant deux bons tiers du livre : dans un quotidien normal, de jeunes actifs et étudiants tokyoïtes, le banal se retrouve bouleversé par cet épisode ultime, insidieux et pas visible immédiatement, qui peut faire du reste de votre vie un enfer. Le gaz sarin n'agit pas immédiatement, surtout si vous y êtes indirectement en contact, mais les effets sont particulièrement graves, voire mortels pour 12 personnes en l'occurrence. Dans cette expérience extra-habituelle, ces personnes comme tout le monde voient leur vie changer, vivent un hyper-moment. La deuxième partie est davantage une réflexion de l'auteur sur ce que cette catastrophe a à apprendre aux Japonais sur leur façon d'envisager la vie, leur capacité à faire société. Enfin, la 3e partie est peut-être la plus intéressante : Murakami interviewe des adeptes de la secte Aum, non pas les coupables de l'attaque, mais de simples adhérents qui l'ont quitté par la suite. Et ici, la liminarité s'exprime par ce besoin de remettre en question le fonctionnement normal de la société, jugée contradictoire, insuffisante, pour créer un microcosme sécure, déléguer ses responsabilités et avoir un objectif clair dans sa vie. La secte est un cocon de spiritualité (apparenté au bouddhisme tantrique et au yoga) qui contente la plupart des adeptes, de la même façon que tous condamnent les attaques. C'est ce qui en fait vraiment l'intérêt : ces membres d'une secte religieuse autarcique ne sont ni des moutons ni des idiots, ce sont des gens normaux, même plus normaux que la moyenne comme le dit Murakami, qui ont décidé de structurer leur vie dans un cadre prédéfini à l'extrême. Et cette complexité des choses est formidable à lire.
Au régal des vermines (1985)
Sortie : 1985 (France). Essai
livre de Marc-Edouard Nabe
Alexandre G a mis 6/10.
Annotation :
Celui qui se veut l'héritier de Léon Bloy, Céline, Rebatet ou Drieu la Rochelle, pondait dans les années 1980 un pamphlet autobiographique qui pouvait augurer d'une grande carrière dans l'extrême-droite littéraire. Mais bon, ce n'est pas Houellebecq : Nabe est trop violent, trop cru, ouvertement raciste, antisémite, sexiste. Il ne pouvait rien faire d'autre que cheminer seul dans les méandres de l'auto-édition. Dans 'Au régal des vermines', il passe d'un sujet à l'autre sans réelle logique. Et cela va du passionnant (ses considérations sur la littérature française du XXe siècle) au vraiment très anecdotique (le portrait de ses parents...) C'est bien sûr servi par une prose grandiloquente et assez incroyable, parfois un peu trop réductible aux allitérations et aux exclamations péremptoires, mais qui a le mérite d'avoir une vraie identité littéraire, à rapprocher évidemment des contempteurs sus-cités. Pourtant, je n'ai pas eu envie de finir cet ouvrage, qui m'a assez souvent ennuyé : de la même façon qu'on peut reconnaître la plume de Céline ou Rebatet dans leur brûlots antisémites, il est difficile de lire ce concentré de racisme rance et de haine universelle jusqu'au bout. On n'en voit pas l'intérêt: ce n'est pas une vision du monde intéressante, juste un éjaculat de mépris jeté à la face du lecteur.
Zone (2008)
Sortie : août 2008 (France). Roman
livre de Mathias Enard
Alexandre G a mis 9/10.
Annotation :
Avec Boussole, peut-être le roman phare de Mathias Enard, celui qui témoigne le mieux de son identité littéraire : une narration d'un seul souffle, une seule longue phrase de 517 pages, entrecoupée de trois chapitres d'un roman fictif sur Intissar, la jeune Palestinienne au milieu de la guerre civile libanaise en 1982. Mais au-delà, c'est une foultitude d'anecdotes, de courts récits qui s'entrecroisent, depuis l'expérience du narrateur en Bosnie dans les années 1990, comme combattant croate puis comme attaché diplomatique français, jusqu'à des séjours vénitiens avec Marianne, des passages au Caire, à Barcelone, suivant ainsi l'épopée biographique de l'auteur lui-même. Mathias Enard conte à la manière des Persans, à travers des récits véridiques qui, liés entre eux, racontent une vie, la sienne ou celle d'autres, ces acteurs plus ou moins réels qui créent la trame d'une histoire commune, celle de sa Zone, qui peut être certes le monde oriental, mais aussi surtout l'espace vécu par le narrateur/auteur.
Perspective(s) (2023)
Sortie : 16 août 2023. Roman
livre de Laurent Binet
Alexandre G a mis 7/10.
Annotation :
Au coeur d'un certain revival du roman épistolaire, Laurent Binet continue la lancée de son précédent roman, qui se déroulait des deux côtés de l'Atlantique au XVIe siècle, en évoquant cette fois la capitale des Médicis, Florence, entre décembre 1556 et janvier 1558. Pontormo, le peintre/architecte favori du duc Cosimo, est retrouvé mort, la fresque qu'il peignait outrageusement modifiée, et une peinture obscène représentant la fille du duc, Maria, sous les traits d'une Vénus lascive et nue. Cette fois-ci, c'est le peintre et biographie Giorgio Vasari, homme à tout faire du duc, qui est chargé de démêler cette histoire, qui entremêle les destins du vieillard Michel-Ange, bloqué à Rome pour finir la basilique Saint-Pierre, Catherine de Médicis qui complote depuis Paris par l'intermédiaire du Maréchal de France Piero Strozzi, ou encore une multitude d'artistes et/ou apprentis, tous plus ou moins intégrés aux intrigues. Cela reste agréable de lire Binet : sa connaissance de l'histoire est impressionnante, et il utilise le même vocable que celui des sources pour donner vie à ses personnages, faisant par exemple de Vasari un artiste bougon d'être au service du duc mais admiratif au possible de son maître Michel-Ange. Par ailleurs, la forme épistolaire peut être intéressante, puisqu'elle rend la lecture rapide et permet de jouer avec les lieux et les dates, en même temps qu'elle ne s'éparpille pas en descriptions ronflantes (même si un roman sur l'art et l'architecture aurait pu se permettre cet écart...) Je reprocherai peut être surtout la facilité à l'auteur : rien de bien exceptionnel ici, et beaucoup trop d'inspirations calquées (une scène reprend littéralement le saut de l'ange dans Assassin's Creed, cri de l'aigle en prime), qui ne donnent pas une réelle identité à l'ouvrage, comme on pouvait la trouver dans 'La 7e fonction du langage' par exemple.
Travailler (2020)
La grande affaire de l’humanité
Work. A History of How We Spend Our Time
Sortie : 15 septembre 2021 (France). Essai, Histoire, Culture & société
livre de James Suzman
Alexandre G a mis 6/10.
Annotation :
Loin d'être passionnant sur la durée, cet ouvrage de l'anthropologue britannique James Suzman entendait retracer l'histoire du travail à partir du prisme cher aux anthropologues anarchistes tels que David Graeber ou James Scott (curieusement jamais cité ?), celui de la révolution civilisationnelle qu'a constitué le Néolithique. Pourtant, seuls les premiers chapitres retiennent véritablement l'attention : lorsque Suzman propose des théories, certes toujours discutables mais stimulantes, pour tenter de définir le travail à la lumière de ce qu'en font certains animaux, ou encore pour contextualiser notre propre approche du travail par rapport aux sociétés de chasseurs-cueilleurs telles qu'elles ont pu encore exister au XXe siècle en Namibie et au Kenya. Ces passages-là sont souvent brillants, mais sont vite oubliés lorsqu'on se rapproche de notre époque : les derniers chapitres semblent juste une succession de billets journalistiques, pot pourri de considérations générales sur l'automatisation, le management ou l'IA, et on s'interroge sur ces millénaires entre l'invention de l'agriculture sédentaire et l'industrialisation ? Suzman le reconnait lui-même : un paysan européen du XVIIIe siècle est probablement peu différent d'un agriculteur d'Uruk du Ve millénaire av. J.-C. (!!) Tout de même très contestable pour un historien... On attendait peut-être mieux d'un anthropologue qu'un regard éculé et peu original sur les méfaits du travail moderne.
Histoire d'un Allemand (2000)
Souvenirs (1914–1933)
Geschichte eines Deutschen: Die Erinnerungen 1914–1933
Sortie : 2003 (France). Culture & société
livre de Sebastian Haffner
Alexandre G a mis 7/10.
Annotation :
Un ouvrage autobiographique pas inintéressant, mais qui gagne à ne pas être présenté comme un récit historique. 'Histoire d'un Allemand' semble d'avantage ressortir de la psychosociologie plutôt que d'une source historique de première main : comme tous les témoins, Sebastian Haffner est fautif, lacunaire, fragmentaire. Il ne parle jamais de la crise de 1929 par exemple, alors qu'il passe des dizaines de pages sur l'hyperinflation de 1923. Si cela permet d'aborder des points intéressants, notamment dans la quotidienneté, la contingence des changements qui ont lieu notamment au cours de l'année 1933, on pourrait être piégé par un récit qui se veut véridique, alors qu'il ne s'agit que des impressions, écrites dans l'immédiat, d'un acteur des évènements. Au moins apprendra-t-on comment les nazis ont révolutionné la société du jour au lendemain, au printemps-été 1933, notamment quand les fonctionnaires et magistrats étaient tenus de prêter allégeance au régime, de s'enrôler dans des organisations paramilitaires, et comment cet esprit de corps nouveau a pu séduire une génération qui n'avait vécu que le désordre, le chaos et l'irrégularité.
Terra Alta (2019)
Sortie : 5 mai 2021 (France). Roman
livre de Javier Cercas
Alexandre G a mis 7/10 et a écrit une critique.
Annotation :
Voir ma critique : https://www.senscritique.com/livre/terra_alta/critique/305519533
L'Origine du mal
El origen del mal
Sortie : 6 octobre 2021 (France). Roman
livre de José Carlos Somoza
Alexandre G a mis 5/10.
Annotation :
Complètement tombé des mains.. A la moitié du livre, on a encore l'impression d'être dans une lourde exposition, où tout est nouveau sans arrêt. Somoza ne parvient pas à fixer de réelle intrigue, les évènements sont confus, les liens entre les personnages sont à peine intéressants. Il doit s'agir d'une histoire d'amitié entre deux phalangistes espagnols en poste en Amérique du Nord entre la guerre civile et les années 1950, mais on n'y voit finalement pas l'intérêt.
La Liberté ou la mort
Essai sur la Terreur et le terrorisme
Sortie : 2003 (France). Essai
livre de Sophie Wahnich
Alexandre G a mis 9/10 et a écrit une critique.
Le Mage du Kremlin (2022)
Sortie : 14 avril 2022. Roman
livre de Giuliano da Empoli
Alexandre G a mis 9/10.
Annotation :
Célébré à sa sortie (opportunément 2 mois après l'invasion russe de l'Ukraine, alors qu'il était prévu pour 2020), 'Le Mage du Kremlin' répond en effet aux attentes : un récit fictif, adapté de la vie de Vladislav Sourkov, la tête pensante de Vladimir Poutine, celui qui l'a accompagné au pouvoir depuis la fin des années 1990 jusqu'au milieu des années 2010. Cela explique d'ailleurs pourquoi la question du rattachement des provinces orientales de l'Ukraine de 2014-2015 soit une des dernières du livre, le matériau suivant n'étant plus appuyé sur la réalité. Mais loin d'être des mémoires, ce livre est aussi l'occasion de délivrer, dans une prose élégante et complexe, la nature du pouvoir poutinien, et plus généralement russe : non pas une démocratie à l'occidentale, pleine de faux semblants, d'hypocrisies et de raccourcis, mais un pouvoir fort, brut, qui accompagne les vagues idéologiques populaires plus qu'il ne les combat ou les incite, qui fait ce qui doit être fait sans penser aux conséquences en termes de communication. On ne peut s'empêcher d'admirer le pouvoir poutinien tel qu'il est présenté, quand bien même le livre, pris du point de vue de ce Vadim Baranov sans scrupule, tait la plupart des aspects qu'on pourrait reprocher à cette autocratie violente et impérialiste. Mais pour Baranov, une seule raison : ce n'est pas la manière de fonctionner des Russes. Au-delà, on voit aussi à quel point l'exercice du pouvoir n'est pas une partie de plaisir : solitude, paranoïa, calculs, erreurs, responsabilité, etc. C'est un ouvrage intelligent sur la politique, et qui permet de comprendre mieux que n'importe quelle interview (n'est-ce pas Oliver S. ?) la Russie de Poutine.
Le Problème Spinoza (2012)
The Spinoza Problem
Sortie : 19 avril 2012 (France). Roman
livre de Irvin Yalom
Alexandre G a mis 7/10.
Annotation :
Si Irvin Yalom semble être un auteur intéressant, il ressort de ce 'Problème Spinoza' une certaine artificialité, une inconséquence dommageable tant l'objectif initial était louable. Rapprocher les cheminements psychologiques de Baruch Spinoza, un juif excommunié des Pays-Bas du XVIIe siècle et néanmoins philosophe immortel, et Alfred Rosenberg, tête pensante du nazisme depuis les origines et condamné à la pendaison à Nuremberg en 1946, rapprocher ces biographies si différentes pouvait être intéressant : prenant appui sur le pillage de la Maison Spinoza de Rijnsburg en 1941 par Rosenberg, l'auteur imagine ce qu'aurait pu être les évolutions psychologiques de ces deux personnages : Spinoza dans sa quête d'une conception de la vie moins étriquée par la religion et ses rituels annonés sans intérêt, Rosenberg et ses désirs irrépressibles d'être apprécié d'Hitler et de résoudre la "question juive".
Mais voilà, tout cela fait pschitt. Certes, le livre se lit très bien mais on n'en apprend finalement que très peu, en-dehors des considérations historiques qui restent intéressantes (comme l'est une page Wikipedia). Même, on touche parfois à l'invraisemblable quand on suit la psychanalyse d'un nazi fanatique comme s'il s'agissait de n'importe quel patient... Vu l'aversion qu'avait Rosenberg pour les Juifs (et qui constitue le coeur de ce "Problème Spinoza" : comment apprécier cette philosophie si intriguante, puisqu'elle sort de la tête d'un juif ?), il est fort peu probable qu'il se soit prêté de gaieté de coeur à un processus médical conçu par Freud... De même côté Spinoza : en-dehors de nous rendre sa philosophie un peu moins hermétique, cet ouvrage ne nous apprend finalement pas grand chose, et la comparaison entre les deux vies est assez anecdotique.
L'Homme qui prenait sa femme pour un chapeau
The Man Who Mistook His Wife for a Hat
Sortie : 1985 (France). Essai, Culture & société
livre de Oliver Sacks
Alexandre G a mis 8/10.
Annotation :
Regrettant que ce thème cher au début du XXe siècle, les récits de patients, ait été délaissé par la littérature médicale et de vulgarisation, le neurologue Olive Sacks nous proposait dans les années 1980 une compilation des cas qu'il a rencontrés dans sa carrière et qui méritaient d'être portés à la connaissance du public. Inutile de dire que c'est d'une poésie, d'une délicatesse et d'un intérêt certain. Car cela interroge évidemment toutes nos conceptions de la normalité, de ce que l'on tient pour acquis : et si quelqu'un oubliait tout ce qui relève du concret ? Et si les "déficients" mentaux avaient en réalité d'autres intelligences ? Que se passe-t-il si l'on perd le sens du toucher ? Autant de cas passionnants, élégamment racontés par le médecin, qui associe observations de terrain et références scientifiques sans lourdeur et avec un sens de la littérature agréable.
La Carte postale (2021)
Sortie : 18 août 2021. Roman
livre de Anne Berest
Alexandre G a mis 7/10.
Annotation :
Pas un livre inintéressant, "La Carte postale" est l'enquête menée par la narratrice/autrice sur l'histoire de la famille de sa grand-mère Myriam, juive de l'Empire russe qui a échappé aux rafles de juillet 1942 dans l'Eure, à partir d'une mystérieuse carte postale que sa mère Lélia reçoit en 2003, avec écrit dessus simplement le 4 noms des parents et des frère et soeur déportés de Myriam. Ainsi, c'est l'occasion d'aborder les trajectoires d'une famille juive d'Europe de l'est, au début du XXe siècle d'abord, entre l'exil progressif vers l'ouest ou vers la Palestine, l'antisémitisme récurrent dans ces sociétés ; puis l'expérience de la guerre, du départ vers la campagne à la rafle, et enfin l'expérience de la clandestinité pour Myriam, qui échappe aux nazis en s'installant en Provence. C'est probablement la partie qui m'a perdu : tout le côté dramatique et historique, narratif même, est laissé de côté pour une espèce de réflexion new age sur ces hippies avant l'heure, bourgeois artistes de Paris qui vivent de rien dans la forêt, en triangle amoureux... Bref, c'était largement moins captivant que la première partie qui concernait la famille Rabinovitch, et notamment la fin, terriblement poignante, sur la déportation de Noémie et Jacques, les enfants, depuis Pithiviers jusqu'à Auschwitz.
Quand bien même Anne Berest ne fasse pas preuve d'une originalité ou d'une singularité littéraire particulière, sa puissance narrative reste captivante.