El Ejercito del Ebro
Ce qui fait de Javier Cercas un des meilleurs chroniqueurs de l'Espagne d'aujourd'hui est sa capacité à peindre une société dont la violence passée irrigue toujours la violence présente. Et...
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le 10 mai 2024
Ce qui fait de Javier Cercas un des meilleurs chroniqueurs de l'Espagne d'aujourd'hui est sa capacité à peindre une société dont la violence passée irrigue toujours la violence présente. Et finalement, quoi de mieux que de délaisser le récit pour s'attaquer au roman, comme il le fait avec Terra Alta ?
Après une multitude de chroniques dont la qualité narrative n'avait d'égale que la puissance de suggestion, l'écrivain espagnol met en scène un enquêteur, Melchor Marin, en Catalogne méridionale, vers Tarragona, plus précisément dans la Terra Alta, lieu de l'emblématique bataille de l'Ebre, la plus sanglante et violente de la guerre civile espagnole. Un couple âgé est retrouvé mort, après avoir été longuement torturé, dépecé, etc. Cette barbarie interroge, dans une région où les vols et délits sont déjà assez peu courants. Pour Cercas, c'est également l'occasion d'approfondir le passé de Melchor, fils de prostituée passé par l'enfer, avant de connaître la rédemption en devenant flic et en s'installant dans la Terra Alta à la suite d'une attaque de terroristes qu'il a déjoué.
Comme toujours, c'est le propos sociohistorique qui fait la force du livre : les cadavres dans le placard sont la gangrène de l'Espagne du XXe siècle, tous ces crimes oubliés de la guerre civile, qu'ils aient émané d'un camp ou de l'autre, n'ont fait que créer des boules de nerfs, des rancœurs qu'on redécouvre à l'occasion d'une flambée de violence. Avant même la révélation finale, on peut les apercevoir dans le parcours de Melchor, que Cercas se fait fort de décrire : né sans père connu, ou en ayant eu une multitude de passage chaque soir, il connaît la rue, les centres de redressement, la prison, et ne trouve de sens à sa vie que dans l'enquête sur les crimes du passé, c'est à dire qui a tué sa mère. Melchor est peut-être le meilleur double des livres de Cercas, l'Espagne incarnée au XXe siècle, lui qui n'aime pourtant que les romans du XIXe.
Mais ce qui donne à ce roman un petit goût d'inachevé, est peut-être surtout l'enrobage : 260p, c'est court, et cela ne permet pas vraiment de créer un enchaînement d'évènements suffisant pour nous immerger dans l'histoire, nous impliquer émotionnellement. Ce qui arrive à Melchor est dommageable, mais nous n'avons eu que trop peu de temps pour le réaliser, et cela n'a finalement que peu de conséquence sur lui-même (la mort d'Olga semble de ce point de vue l'élément le plus anecdotique, paradoxalement). La trame policière est également assez simpliste, et le dénouement un peu trop facile : un personnage inconnu, jamais introduit avant, capture Melchor et lui raconte pourquoi il a tout manigancé. On a vu mieux comme intrigue policière... Agatha Christie l'a compris il y a un siècle déjà : on est d'autant plus captivé par le suspense que l'on voit le coupable sous nos yeux depuis le début.
Bref, passer de l'essai au roman n'est pas toujours facile, et Cercas le réussit assez bien, quand bien même la trame policière y est fragile.
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le 10 mai 2024
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