Terra Alta
7
Terra Alta

livre de Javier Cercas (2019)

Ce qui fait de Javier Cercas un des meilleurs chroniqueurs de l'Espagne d'aujourd'hui est sa capacité à peindre une société dont la violence passée irrigue toujours la violence présente. Et finalement, quoi de mieux que de délaisser le récit pour s'attaquer au roman, comme il le fait avec Terra Alta ?


Après une multitude de chroniques dont la qualité narrative n'avait d'égale que la puissance de suggestion, l'écrivain espagnol met en scène un enquêteur, Melchor Marin, en Catalogne méridionale, vers Tarragona, plus précisément dans la Terra Alta, lieu de l'emblématique bataille de l'Ebre, la plus sanglante et violente de la guerre civile espagnole. Un couple âgé est retrouvé mort, après avoir été longuement torturé, dépecé, etc. Cette barbarie interroge, dans une région où les vols et délits sont déjà assez peu courants. Pour Cercas, c'est également l'occasion d'approfondir le passé de Melchor, fils de prostituée passé par l'enfer, avant de connaître la rédemption en devenant flic et en s'installant dans la Terra Alta à la suite d'une attaque de terroristes qu'il a déjoué.


Comme toujours, c'est le propos sociohistorique qui fait la force du livre : les cadavres dans le placard sont la gangrène de l'Espagne du XXe siècle, tous ces crimes oubliés de la guerre civile, qu'ils aient émané d'un camp ou de l'autre, n'ont fait que créer des boules de nerfs, des rancœurs qu'on redécouvre à l'occasion d'une flambée de violence. Avant même la révélation finale, on peut les apercevoir dans le parcours de Melchor, que Cercas se fait fort de décrire : né sans père connu, ou en ayant eu une multitude de passage chaque soir, il connaît la rue, les centres de redressement, la prison, et ne trouve de sens à sa vie que dans l'enquête sur les crimes du passé, c'est à dire qui a tué sa mère. Melchor est peut-être le meilleur double des livres de Cercas, l'Espagne incarnée au XXe siècle, lui qui n'aime pourtant que les romans du XIXe.


Mais ce qui donne à ce roman un petit goût d'inachevé, est peut-être surtout l'enrobage : 260p, c'est court, et cela ne permet pas vraiment de créer un enchaînement d'évènements suffisant pour nous immerger dans l'histoire, nous impliquer émotionnellement. Ce qui arrive à Melchor est dommageable, mais nous n'avons eu que trop peu de temps pour le réaliser, et cela n'a finalement que peu de conséquence sur lui-même (la mort d'Olga semble de ce point de vue l'élément le plus anecdotique, paradoxalement). La trame policière est également assez simpliste, et le dénouement un peu trop facile : un personnage inconnu, jamais introduit avant, capture Melchor et lui raconte pourquoi il a tout manigancé. On a vu mieux comme intrigue policière... Agatha Christie l'a compris il y a un siècle déjà : on est d'autant plus captivé par le suspense que l'on voit le coupable sous nos yeux depuis le début.

Bref, passer de l'essai au roman n'est pas toujours facile, et Cercas le réussit assez bien, quand bien même la trame policière y est fragile.

Alexandre_Gauzy
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste La 30e année

Créée

le 10 mai 2024

Critique lue 15 fois

Alexandre G

Écrit par

Critique lue 15 fois

D'autres avis sur Terra Alta

Terra Alta
Alexandre_Gauzy
7

El Ejercito del Ebro

Ce qui fait de Javier Cercas un des meilleurs chroniqueurs de l'Espagne d'aujourd'hui est sa capacité à peindre une société dont la violence passée irrigue toujours la violence présente. Et...

le 10 mai 2024

Terra Alta
feursy
9

Une terre inhospitalière,

Pour sa sécurité personnelle, afin d'éviter de possibles représailles, Melchor a été rattaché à l'unité d'investigation de la Terra Alta, il fait parfois des cauchemars liés à son autre vie. En Terra...

le 14 juil. 2021

Terra Alta
Charybde2
8

Critique de Terra Alta par Charybde2

Travailler au corps la notion de justice dans un décor en or de polar bien noir, aux confins de la Catalogne et des Misérables de Hugo, pour y découvrir de nouveaux points aveugles. Sur le blog...

le 10 juil. 2021

Du même critique

Blow Out
Alexandre_Gauzy
9

Scream

Masterpiece ! J'attendais de voir De Palma atteindre la maturité qui poignait à travers Phantom of the Paradise, et que je n'avais pas vu dans Carrie. Et là, c'est éblouissant ! Blow Out...

le 1 sept. 2014

42 j'aime

1

L'Éclipse
Alexandre_Gauzy
9

Entre jour et nuit

Avec l'Eclipse, Antonioni présente le troisième volet de sa tétralogie (L'Avventura 1960, La Notte 1961, L'Eclisse 1962, Il Deserto Rosso 1963). Je choisis de critiquer celui-ci qui semble à mon avis...

le 29 juin 2014

40 j'aime

4

Le Juste Prix
Alexandre_Gauzy
1

Un lave-linge ça coûte pas 100 balles abrutie !

Quel ne fut pas mon étonnement quand je vis que personne n'avais osé écrire une critique de cette splendide émission, de ce moteur à consumérisme, de cette gigantesque méthode Coué du capitalisme...

le 13 août 2014

31 j'aime

4