Lectures 2022

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"Selon les canons contemporains, me dit le père Michel avec un regard intense où passe une grande bonté, tout ce que nous faisons est du temps perdu. Mais je ne le crois pas. Car nous nous efforçons, chaque instant, chaque jour, chaque semaine, de créer de la beauté. C'est de la beauté gratuite, certes, mais, par définition, la beauté n'est-elle pas gratuite ?" Je ne puis qu'acquiescer. Alors que nous avons été contraints d'apprendre, nous autres habitants des villes, mais aussi des campagnes, à vivre dans la laideur, le bruit et la violence, cette beauté constitue le quotidien des chanoines. Il y a là quelque chose qui s'apparente à un miracle ou à une grâce. Depuis deux jours, je m'en fais sans arrêt la réflexion. Majesté du site, splendeur de l'architecture, humilité des comportements, simplicité des offices, apprentissage ou redécouverte de l'essentiel : un séjour à Sainte-Marie de Lagrasse, c'est une leçon de beauté qui vaut tous les voyages en Toscane." (p.112)

"Marcel Pagnol raconte l'anecdote suivante : quelques temps après la parution de sa traduction de Virgile, il se trouvait dans le wagon-restaurant d'un train, sans doute entre Paris et Marseille. Un homme s'assied en face de lui pour déjeuner. La suite de la conversation révélera qu'il est viticulteur. L'homme, d'abord silencieux, le regarde fixement, avec un air sérieux et même un peu dur. De toute évidence, le voyageur a reconnu Marcel Pagnol. Après un long silence, l'homme prend la parole et, sans préambule, lui dit gravement : "Si vous aviez scandé le vers, vous auriez vu que aeria, dans la première églogue, est un ablatif qui ne s'applique pas à turtur, mais à ulmo". Surpris, Pagnol ne se laisse cependant pas désarçonner. Il répond au savant viticulteur que, dans la seconde églogue, on trouve aeriae palumbes et que, de palombe à tourterelle, il n'y a pas loin. L'homme prend alors un stylo à bille et écrit le vers sur la nappe même du restaurant, le scande et ne veut pas en démordre : c'est un ablatif. Trois jours après ce voyage, Pagnol reçoit une lettre d'un industriel qui lui écrit pour lui faire exactement le même reproche. Ébranlé, Pagnol consulte alors le latiniste et historien Jérôme Carcopino, qui donne raison à l'industriel et au viticulteur du train Paris-Marseille." (p.318)

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"L’auteur dramatique qui écrit, écrit dans une longueur d’onde, dans une sonorité donnée parce qu’il est dans un certain état sensible.
Que reste-t-il pour retrouver le sentiment ? Ce qu’il a écrit. Par conséquent, prends ce qu’il a écrit objectivement, essaie de le respirer, de le sonoriser.
Si tu le fais sans y apporter tes idées, tes intentions, tu verras que petit à petit tu arriveras au sentiment qu’a eu l’auteur en écrivant. Tu ne peux pas te tromper. Quand tu auras ce sentiment général, cette technique générale du morceau, tu essaieras de te laisser porter par le sentiment qui te sera venu uniquement de l’amorce technique, mécanique. À ce moment-là tu pourras perfectionner.
Mais prendre un texte, croire qu’on va, sur ce texte, trouver tout de suite le sentiment, ce n’est pas possible. Je parle d’un texte classique.
Il faut retrouver cet état de l’auteur écrivant ; les traces de cet état sont dans l’écriture ; il faut partir de l’écriture d’abord." (p.23)

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"Mais si Dieu n’est pas puissant, alors il n’est pas Dieu. Il est le Tout-Puissant mais, au même moment, il veut permettre à l’homme d’être vraiment libre. Car la toute-puissance de Dieu est la toute-puissance de l’Amour ; et la toute-puissance de l’Amour est la mort. L’infini de Dieu n’est pas un infini dans l’espace, un océan sans fond et sans rivages ; c’est un Amour qui n’a pas de limites. La création est un acte d’Amour infini. Pour Hans Jonas, l’acte de la création est une sorte d’« autolimitation » de Dieu. À ce prix, son silence et son laisser-faire peuvent recevoir un commencement d’explication. La souffrance de l’homme devient mystérieusement souffrance pour Dieu. Dans la nature divine, la souffrance n’est pas synonyme d’imperfection." (p.138)

"Souvent, je me demande si la tristesse des sociétés urbaines occidentales, emplies de tant de dépressions, de suicides et de détresses morales, ne vient pas de la perte du sens du mystère. En perdant la capacité du silence devant le mystère, les hommes se coupent des sources de la joie. En effet, ils se retrouvent seuls au monde, sans rien qui les dépasse et les soutienne. Je ne connais rien de plus effrayant ! Comment comprendre autrement la réflexion de Blaise Pascal dans les Pensées : « En regardant l’univers muet et l’homme sans lumière, abandonné à lui-même et comme égaré dans ce recoin de l’univers, sans savoir qui l’y a mis, ce qu’il y est venu faire, ce qu’il deviendra en mourant, j’entre en effroi comme un homme qu’on aurait porté endormi sur une île déserte et effroyable, et qui s’éveillerait sans connaître où il est, et sans moyen d’en sortir. » (p.189)

"Pour parvenir à assumer la souffrance et à y trouver de la joie, frère Vincent nous livre un dernier secret. Je l’ai découvert dans son carnet intime : « Chaque jour, je m’enferme dans un triple château, écrit-il : le premier est le cœur très pur de Marie, contre toutes les attaques de l’Esprit Malin ; le deuxième est le cœur de Jésus, contre toutes les attaques de la chair ; le troisième est le saint-sépulcre, où je me cache près de Jésus contre le monde. » (p.275)

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Lecture de vacances, une saga qui débute sur les docks du port de Bristol, dans l'entre deux-guerres. Les personnages sont attachants même si un peu manichéens. Et l'intrigue m'a maintenu en haleine, la lecture passe très vite. Le roman décrit aussi l'univers des "college" anglais, et cette société de classes particulièrement visible en Angleterre.
L'écriture est loin d'être réjouissante, mais ce n'est pas là qu'est l'intérêt du livre.

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"Les trompettes auraient pu sonner, on aurait pu entendre des chants guerriers, d’inquiétants messages auraient pu venir du Nord, s’il n’y avait eu que cela, Drogo serait parti quand même ; mais il y avait déjà en lui la torpeur des habitudes, la vanité militaire, l’amour domestique pour les murs quotidiens. Au rythme monotone du service, quatre mois avaient suffi pour l’engluer.

Le tour de garde, qui, les premières fois, lui paraissait une corvée insupportable, était devenu une habitude ; peu à peu, il avait appris à bien connaître les règlements, les façons de s’exprimer, les manies des supérieurs, la topographie des redoutes, l’emplacement des sentinelles, les coins abrités du vent, le langage des trompettes.

Habitude aussi étaient devenus les collègues ; maintenant il les connaissait si bien que même leurs plus subtils sous-entendus ne le prenaient pas en défaut et, le soir, ils s’attardaient longuement ensemble à bavarder des événements de la ville qui prenaient, avec la distance, une importance démesurée. Habitude, la table confortable et bonne, l’accueillante cheminée du mess des officiers, où il y avait du feu jour et nuit ; et l’empressement de l’ordonnance, un bon diable nommé Geronimo, qui avait, peu à peu, appris à connaître ses désirs particuliers.

Habitude, pour Drogo, la chambre, les calmes lectures nocturnes, la lézarde qu’il y avait dans le plafond au-dessus de son lit et qui ressemblait à une tête de Turc, les clapotis de la citerne, devenus familiers avec le temps, le creux fait par son corps dans le matelas, les couvertures si peu hospitalières les premiers jours et à présent dociles et serviables, le mouvement, exécuté maintenant instinctivement de la bonne longueur, pour éteindre la lampe à pétrole ou pour poser le livre sur la table de nuit.

Toutes ces choses étaient désormais devenues siennes et les quitter lui eût fait de la peine, Drogo, pourtant, ne savait pas cela, il ne soupçonnait pas l’effort que lui eût coûté son départ, ni que la vie du fort engloutissait les jours l’un après l’autre, des jours tous pareils, avec une vitesse vertigineuse." (p.83)

"A présent, il éprouvait même une sorte de profonde amertume, comme lorsque les heures les plus décisives du destin passent à côté de vous sans vous toucher et que leur grondement va se perdre au loin, nous laissant seuls, au milieu d’un tourbillon de feuilles mortes, à regretter la terrible mais grandiose occasion perdue" (p.102)

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On passe de l'autre côté de l'Atlantique, puis les personnages traversent la 2nde guerre mondiale, avec le même rythme que lors du premier tome.

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Toujours très plaisant, mais on sent déjà le début d'un essoufflement. L'évolution des personnages est de plus en plus prévisible

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Les premiers chapitres sont assez classiques, sur la question de la foi et de la raison. L'auteur reste très précis mais fait un effort particulier pour être compris, ce que j'ai trouvé agréable. Suivent la question du mal et de l'Incarnation. Mais le livre se termine par un dernier chapitre formidable, qui pose la question de la manière dont l'homme évolue de son état originel jusqu'à sa fin dernière. Ce thème semble échapper au sujet du livre, mais on sent pourtant que toute la réflexion est orientée vers ce chapitre conclusif, qui m'a complètement renversé...

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Premier tome d'une série de livres regroupant les textes de Kessel lorsqu'il était grand reporter. Les situations, les villes, les personnes, les impressions sont merveilleusement décrites et avec une grande justesse : je me suis fait embarquer dans les ruelles pluvieuses de l'Irlande révoltée, dans les plaines ensoleillées du nouvel état d'Israël, sur les Champs Elysées le 14 juillet 1919 au lendemain de la guerre, ou dans un avion de l'aéropostale, entre la France et l'Afrique...
On mesure à quel point la qualité de l'écriture est nécessaire à un journalisme de qualité... Cette forme du reportage me semble moins présente aujourd'hui, dommage car la lecture de ce livre suffit seule pour mesurer qu'elle est précieuse.

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Une ou deux scènes érotiques, je dis pas, mais ce sont là 300 pages de sexe ! Un livre terriblement désabusé, et une vision très acerbe de notre société en perte de sens... Certaines phrases font parfois mouche, mais c'est plutôt un sentiment d’écœurement qui ressort pour moi de cette lecture.

"Je sais bien, continua Bruno, qu’on décrit en général l’univers d’Huxley comme un cauchemar totalitaire, qu’on essaie de faire passer ce livre pour une dénonciation virulente ; c’est une hypocrisie pure et simple. Sur tous les points – contrôle génétique, liberté sexuelle, lutte contre le vieillissement, civilisation des loisirs, Brave New World est pour nous un paradis, c’est en fait exactement le monde que nous essayons, jusqu’à présent sans succès, d’atteindre. Il n’y a qu’une seule chose aujourd’hui qui heurte un peu notre système de valeurs égalitaire – ou plus précisément méritocratique – c’est la division de la société en castes, affectées à des travaux différents suivant leur nature génétique. Mais c’est justement le seul point sur lequel Huxley se soit montré mauvais prophète ; c’est justement le seul point qui, avec le développement de la robotisation et du machinisme, soit devenu à peu près inutile. Aldous Huxley est sans nul doute un très mauvais écrivain, ses phrases sont lourdes et dénuées de grâce, ses personnages insipides et mécaniques. Mais il a eu cette intuition – fondamentale – que l’évolution des sociétés humaines était depuis plusieurs siècles, et serait de plus en plus, exclusivement pilotée par l’évolution scientifique et technologique. Il a pu par ailleurs manquer de finesse, de psychologie, de style ; tout cela pèse peu en regard de la justesse de son intuition de départ. Et, le premier parmi les écrivains, y compris parmi les écrivains de science-fiction, il a compris qu’après la physique c’était maintenant la biologie qui allait jouer un rôle moteur." (p.157)

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Livre assez pauvre, tant sur le fond que sur la forme, brouillon et sans intention claire. La figure de Charles de Foucauld apparaît particulièrement fade, un comble pour ce saint ermite du désert ! Je n'en retiens rien d'autre que cette belle méditation de Charles de Foucauld sur le mystère de la Visitation, vue comme le premier acte missionnaire de la Vierge qui, "avec empressement", amène Jésus au plus proche de sa cousine Elisabeth.
Dans un autre genre, la BD de Jijé était bien plus réussie !

"N’oublions pas qu’il ne faut pas penser pouvoir conduire toutes les âmes à Dieu par le même chemin, ni vouloir les faire toutes passer par la voie que Dieu nous a tracée à nous-mêmes; mais souvenons-nous que les âmes sont différentes et qu’à l’exemple de Dieu, il faut attirer l’une par une voie, l’autre par une autre, conduire l’une d’une manière, l’autre de telle autre, chacune selon ce que Dieu a mis en elle… Ce serait folie d’avoir une voie unique et de vouloir toutes les faire passer par là : il faut les étudier et les faire aller à Dieu chacune par la voie par laquelle Dieu les appelle" (CdF, p.93)

"On sent qu’on souffre, on ne sent pas toujours qu’on aime, et c’est une grande souffrance de plus ! Mais on sait qu’on voudrait aimer, et vouloir aimer, c’est aimer... On trouve qu’on n’aime pas assez ; comme c’est vrai, on n’aimera jamais assez, mais le Bon Dieu, qui sait de quelle boue Il nous a pétris et qui nous aime bien plus qu’une mère ne peut aimer son enfant, nous a dit, Lui qui ne ment pas, qu’il ne repousserait pas celui qui vient à Lui" (CdF, p.107)

"Il me semble que ce mélange de Kurdes, de Syriens, de Turcs, d'Arméniens, serait un peuple brave, laborieux et honnête, s'il était instruit, gouverné, converti surtout. C'est à nous à faire l'avenir de ces peuples... L'avenir, le seul vrai avenir, c'est la vie éternelle : cette vie n'est que la courte épreuve qui prépare l'autre. La conversion de ces peuples dépend de Dieu, d’eux et de nous chrétiens ; Dieu donne toujours abondamment la grâce ; eux sont libres de recevoir, ou de ne pas recevoir la foi ; la prédication dans les pays musulmans est difficile, mais les missionnaires de tant de siècles passés ont vaincu bien d’autres difficultés : c’est à nous à être les successeurs des premiers apôtres, des premiers évangélistes. La parole est beaucoup, mais l’exemple, l’amour, la prière, sont mille fois plus." (CdF, p.183)

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Un peu lassant, les tomes défilent sans que les personnages, les lieux, les époques ne soient creusés davantage. Le récit reste toujours enlevé, mais cela manque de profondeur, de finesse, de style.

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L'histoire de la Bretagne est reconstituée dans sa totalité par un survol global de chaque siècle ou période historique. Cette approche est vraiment réjouissante : le même fil historique est déroulé sans discontinuité de l'âge de pierre au XXIe siècle.
Le livre a cependant le défaut de ses qualités : quelques pages seulement sur Anne de Bretagne, sur l'édit de Nantes, sur les légendes celtiques, j'ai trouvé ça léger et frustrant.
Par ailleurs, comment un livre où les noms des chapitres sont des villes bretonnes peut-il être édité sans une carte permettant de les situer?

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Un général italien est envoyé en Albanie, sur les lieux des combats de la 2nde guerre mondiale pour retrouver les dépouilles des soldats tués et les ramener à leurs familles. Très beau livre, dans lequel l'auteur nous fait plonger dans la géographie des Balkans et découvrir l'âme de ce peuple albanais plein de fierté, de résilience, d'attachement à la terre et aux traditions... On plonge avec les personnages dans ces paysages de montagnes et de brouillard.
Certains passages sont pleins d'humour (ce chapitre sur les prostituées arrivant dans un village du front m'a fait penser à Clochemerle), mais il se dégage quelque chose d'une étrange mélancolie, d'une tristesse profonde et enfouie qui touche les personnages et nous atteint aussi.
Le sujet du livre est enfin le rapport à la mort et à la mémoire, au respect des vivants et au deuil. La scène finale du livre est un concentré superbe de ces thèmes, évoqués dans un décor pittoresque de folklore albanais. Merci @jaklin pour cette belle découverte !

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Beaucoup de choses intéressantes, mais l'auteur va parfois un peu vite... Si les idées présentées m'ont semblé très justes (et pas si communes) j'aurais aimé que l'auteur fasse davantage l'effort d'expliciter le cheminement de sa pensée.