Lectures et commentaires (2023)
Illustration : détail de l'œuvre "Le Jardin des Délices" de Jérôme Bosch.
Année un peu spéciale, j'avais envie de me lancer un défi : pendant un an, lire exclusivement des auteurs que je n'avais jamais lu auparavant. On verra bien si je tiens le coup. Je m'autorise déjà une exception ...
88 livres
créée il y a presque 2 ans · modifiée il y a 10 moisLes jambes d'Alice
Sortie : 2001 (France). Roman
livre de Nimrod Bena Djangrang
Elouan a mis 6/10.
Annotation :
20 décembre
28 décembre
L'élève a presque dix-neuf ans, son professeur en a vingt-sept ― la maturité de ce dernier frise toutefois la nonchalance d'un type quelque peu usé, révélant sans pudeur, mais avec une lucidité de routine plutôt qu'une réelle profondeur, ses faiblesses. Il en devient assez rasoir, voire agaçant, c'est lui qui fait le récit de cette séduction, de cette obsession à l'égard de son élève élancée, une basketteuse. Il ne détourne que très peu son attention d'Alice, presque entièrement consacré à elle, ou disons plutôt à son désir d'elle. Mais la prose de Nimrod épouse l'humeur de son narrateur, plutôt taciturne, parce que peu enclin à tout déballer, s'en tenant pour ainsi dire au fil de ses pensées en nous faisant suivre son trajet avec Alice en R4, ou bien le progrès de son amour, celui de son désamour ― en nous faisant suivre, enfin, les mouvements de la sportive. Ce professeur n'a vraiment aucun intérêt particulier mais son obsession guide la prose en lui faisant décomposer les gestes de l'amoureuse ; on a presque tout oublié du contexte où il se trouve lorsque la guerre survient, qu'il accueille résigné dans sa détermination à y participer, mais que jusqu'à présent il avait fui dans sa pensée.
140 pages - Actes sud
La Complainte du sentier (1929)
Sortie : 1969 (France). Roman
livre de Bibhouti Bhoushan Banerji
Elouan a mis 8/10.
Annotation :
13 décembre
19 décembre
(traduit du bengali par France Bhattacharya)
Un récit d'enfance dans l'Inde profonde : enclose dans la jungle, la maison d'Apou, tout comme celles aux alentours, sont envahies par la végétation lorsqu'on les quitte un peu longtemps. Cette nature est familière à Apou, mais elle lui semble aussi bien impénétrable, mystérieuse à certains moments. Elle n'est pas seulement décrite par un connaisseur, Bibhouti Bhoushan Banerji lui fait jouer un rôle : elle évolue, désoriente, détruit ; mais aussi, un monde intérieur s'y forme, par petits morceaux de vie, vécu ou imaginé. Apou a la tête farcie d'histoires ; Banerji ne se soucie pas de linéarité, il émaille son texte de faits anciens et de contes ― souvent tirés du Mahabharata ― en sus d'une multitude de scènes très visuels de frasques enfantines dans la forêt (on ne s'étonne plus que cela ait pu inspirer un cinéaste comme Satyajit Ray) et tous ces éléments de se mêler les uns aux autres sans s'embrouiller mais bien en s'entrechoquant. La technique narrative mais aussi certains sujets me rappellent Sur les bords de l'Issa de Czesław Miłosz, il y a ce contraste entre le monde des adultes et celui des enfants : l'enchevêtrement des deux est nécessairement conflictuel, il nourrit un thème. C'est aussi bien l'imagination d'Apou qui prend le large par rapport à un réalisme dur, nous représentant une société parfois malveillante, cancanière et même violente. Ces touches de naturalisme dans un creuset parfois fantaisiste, à l'échelle d'un enfant, nous révèle un passé reconstitué ; on entrevoit une époque ― les débuts de l'industrialisation dans certaines région de l'Inde, la fascination d'Apou pour le chemin de fer ― on est tout à la fois rapproché des sentiments du petit homme devenu conteur.
240 pages - Gallimard (L'Imaginaire)
Le Tout sur le tout (1948)
Sortie : 1948. Récit
livre de Henri Calet
Elouan a mis 7/10.
Annotation :
11 décembre
16 décembre
C’est Éric Hazan qui m’a donné envie de lire d’Henri Calet, comme il l’évoque dans L’Invention de Paris. Alors, Le tout sur le tout, livre d’un parisien pour les parisiens ? Non, je ne crois pas. En exagérant un peu, je dirais que je suis assez peu familier de Paris pour avoir l’impression d’aller dans une ville différente d’une fois à l’autre (seul le métro est toujours identique à lui-même). "Une ville différente d'une fois à l'autre" dis-je… Dans Le marchand d’oiseaux, Robert Brasillach me donnait l’impression de voir évoluer des personnages dans une petite ville (voire un village) qui serait pas Paris, mais enclose dedans. C’est aussi ce que fait Henri Calet au cours de cette promenade dans les rues du quatorzième, où chaque recoin suscite un souvenir. Par moment ce livre a l’air aussi improvisé qu’une promenade, justement, on se demande s’il y a eût le moindre souci de composition : selon son humeur semble-t-il, Henri Calet est bavard sur un sujet, (même s’il est sordide, ou obscène, il ne se retient pas, n’omettant pas les détails) et en élude un autre. Même si Calet explore les morceaux d’une vie parisienne, il n’a pas l’intention, dit-il, de raconter sa vie. Mais la frontière entre les deux est ténue, certains recoins sont glissants, certaines circonstances et la chronologie tracent tout de même des contours autobiographique, une personnalité entre la gouaille et la mélancolie. Henri Calet aime à accumuler les anecdotes comme les détails descriptifs et les comparatifs, dans un souci rythmique, comme pour pousser une chansonnette, même si le style de Calet est loin d’être toujours entraînant, il m’a semblé parfois assez plat ― Salut Annie ! ― et donc monotone à force. Quoiqu’il en soit, il y a la sincérité du bonhomme, qui est émouvante, lorsqu’il évoque ce que le temps change dans la rue et dans la vie ; et on a l’impression de mieux connaître cette petite ville riche d’histoire que l’auteur assemble par association d’idées, dans un tout, une ambiance où courent les galopins et se promènent les belles-de-nuit.
274 pages - Gallimard (L'Imaginaire)
Le Pingouin (1996)
Смерть постороннего (Smert’ postoronnego)
Sortie : 13 mars 2001 (France). Roman
livre de Andreï Kourkov
Elouan a mis 6/10.
Annotation :
6 décembre
15 décembre
(traduit du russe par Nathalie Amargier)
On n’apprend pas grand-chose de cet homme, Victor, à part qu’il traîne encore dans ses poches cette vague promesse de devenir écrivain, un peu usée à force de découragement sans doute ; le personnage est tracé dans son quotidien, médiocre, banal ― Oh oui, il a toutefois un pingouin dans son appartement, cela c’est moins banal. On cherche un peu le sens de la présence incongrue de cet animal, on se rend compte qu’il y a ressemblance avec Victor. Dans cet environnement, le pingouin a l’air stupide, ô combien vulnérable. Mais lui et son maître remplissent une fonction, leur existence est utile, on se sert d’eux. « Pourquoi agissait-il ainsi ? Parce qu’il se sentait seul ? Parce qu’il ne parvenait pas à trouver son semblable ? » Trouver son semblable est un leitmotiv du récit ; c’est à la fois une nécessité et une convenance : l’insouciance semble être un mot d’ordre tacite, pour masquer une réalité plus inquiétante, dans ce morceau de l’ex empire soviétique, redevenu Ukraine depuis tout au plus cinq ans (le texte est daté de 1996) la vieille torpeur n’est pas partie. Beaucoup de scènes dans ce roman se ressemblent et dépeignent cette vie très ordinaire, un bonheur contrefait et pas très intéressant reproduit page sur page. Ces personnages ont peu d’envergure, c’est plutôt le contexte qui est déroutant, plombant, inquiétant, y a quelque chose qui pue ; mais on a bien du mal à se passionner par ce récit monotone.
274 pages - Liana Levi (piccolo)
Le Voyageur et le Clair de lune (1937)
Utas és holdvilág
Sortie : 1937 (Hongrie). Roman
livre de Antal Szerb
Elouan a mis 8/10.
Annotation :
4 décembre
10 décembre
(traduit du hongrois par Natalia Zaremba-Husvai et Charles Zaremba)
Au plaisir de suivre en Italie ce jeune voyageur hongrois, se mêlait un soupçon d’incrédulité de ma part. Assez curieusement sans que cela soit au détriment de cette aventure que propose Antal Szerb : l’adjectif « romanesque » lui colle décidément trop bien, ni trop invraisemblable, ni trop terre-à-terre. Antal Szerb nous fait flotter à la frontière entre un réel sombre, terne et… un sentiment d’irréalité. Le sentiment de Mihaly qu’il y a autre chose à vivre pour lui que ce destin tracé d’avance par sa famille bourgeoise. On ne sait jamais vraiment en quoi consiste cet autre chose, du reste. Mihaly fuit toute responsabilité, et même tout choix. L’enchaînement des hasards, des circonstances étranges et des voyages, à un rythme assez soutenu, même s’il est mené à la perfection n’est pas essentiel. Antal Szerb connaît bien son Mihaly et nous fait entrer dans son incertitude, une incertitude de vingt ans dans laquelle l’existence doit se trouver une forme, sans forcément se mouler dans les vieux contours de l’enfance. Antal Szerb ne pose pas en donneur de leçon morale, mais se moque affectueusement de son personnage en faisant des sauts de puces chez les autres pour laisser voir au lecteur que son Mihaly vit dans une illusion. Tant mieux si les villes, les monuments et les monts italiens font de ce rêve un beau récit.
265 pages - Viviane Hamy
Abécédaire
Sortie : octobre 1989 (France).
livre de Goffredo Parise
Elouan a mis 7/10.
Annotation :
11 novembre
06 décembre
(traduit de l'italien par Alix Tardieu
Toutes associées à un thème, et en général à un sentiment, les histoires de Goffredo Parise peuvent paraître banales, ou être extrêmement dépouillées sur le plan narratif. Parise semble ici faire un travail d'illustration, évoquant une variété d'émotions, toutefois assez souvent placées dans un même cadre : une époque (les années 40 ou les années 70), une ambiance qu'on retrouve d'une nouvelle à l'autre. Une nouvelle ― la dernière ― a pour titre "Solitude", ce titre serait pourtant approprié pour tout l'Abécédaire. L'ouvrage est fait de rencontres éphémères et de phases de silence : ce sont en tout cas ces moments que Parise arrive le mieux à capter. C'est lorsque tous les éléments narratifs sont subordonnés à une image, une impression, un tableau, que le talent de Parise prend tout son sens. Hélas, cette grâce de l'épure n'est pas atteinte à chaque fois ; sur le plan narratif les nouvelles les plus complexes le sont souvent en vain, et elles ont un peu trop le goût d'une insignifiante monotonie. À force, le recueil tombe dans l'écueil d'une forme de redondance, une sorte de recette narrative qui traite ces sentiments d'une même manière. Parfois Goffredo Parise développe un peu plus le contexte ; il explique trop, raconte trop (!) Curieusement, ses meilleures histoires, ses meilleures images sont aussi celles qui sont enveloppées d'un mystère, où l'on devine le reste de la toile au centre de laquelle point le sentiment.
326 pages - L'Arpenteur
Professeur Unrat
Professor Unrat oder Das Ende eines Tyrannen
Sortie : 1905 (France). Roman
livre de Heinrich Mann
Elouan a mis 8/10.
Annotation :
13 novembre
28 novembre
(traduit de l'allemand par Charles Wolff)
J'ai fini Professeur Unrat après une interruption de quelques jours dans mes lectures. Ce qui m'embêtait un peu, en reprenant le roman de Heinrich Mann, c'est que j'avais déjà dépassé le point de non-retour, un point culminant : l'achèvement d'une transformation, celle du professeur Unrat. Passé ce stade, cette étrange bête qu'a créé Heinrich Mann continue d'intriguer, mais le roman n'étonne plus autant, même avec ses coups d'éclats, les jeux étants faits. Ce champion de la misanthropie mesquine accapare l'attention du lecteur avec ses manies, son obsession de l'ordre, de la tyrannie ; son obsession pour la pureté... et de la souillure, qui se confondent aussi bien que chez Unrat, les nuances s'effacent dans un bouillon de ressentiment. Comme l'anarchiste d'Antonin Artaud, Unrat aurait pu dire : "Ni Dieu ni maître, moi, tout seul" ; et son élève de déclarer : Chaque homme doit contenir un anarchiste en puissance. Unrat poursuivant ses élèves et ses anciens élèves de sa haine, Unrat règne tout seul dans une ambiance assez réussie de chaos ou d'errements ; mais tant et si bien que les autres personnages tendent à être incolores. Ils sont essentiellement catalyseurs des états par lesquels passe notre Unrat. Je dis cela surtout pour les trois lycéens : lorsqu'Heinrich Mann essayait de creuser du côté de ceux-ci, de raconter leur histoire, je trouvais qu'il se perdait un peu. Ou qu'il n'était guère convainquant. L'erreur que ces trois garçons commettent à l'égard de la Lola Frölich ― sa pureté ― pour être certes un peu comparable, n'est point si profonde que celle d'Unrat. Seule la Lola, d'ailleurs, aurait pu être un adversaire à sa hauteur. Aurait pu...; et sans adversaire, rien ne s'opposant à sa transformation, le récit tend à être un peu prévisible et surtout à être portrait d'un monstre ou d'une caricature.
283 pages - Grasset (Les cahiers rouges)
Shy (2023)
Sortie : 18 août 2023 (France). Roman
livre de Max Porter
Elouan a mis 6/10.
Annotation :
14 novembre
19 novembre
(traduit de l'anglais par Charles Recoursé)
Mise en forme d’une marche sans progression : Shy ne sait où il va, on n’en sait pas plus que lui. L’horizon est bouché, noir, et lorsqu’il regarde derrière son épaule il en est de même. Le « récit » est émaillé de souvenirs : conseils, reproches, casse, cris ; pourtant on ne sait les causes qui ont fait que Shy, dix-sept ans, se retrouve dans l’établissement de « La dernière chance » avec d’autres jeunes de son âge. Shy rumine, rappe, s’isole dans son walkman. Max Porter se change de retranscrire des paroles, des sons, des sensations entre deux brèves scènes de gaudrioles adolescentes, d’insultes ou de coups pour rire… ou pas. Inévitablement, le livre paraît un peu fabriqué, peut-être un peu trop, avec des fragments qui tiennent lieu de remplissage, ne donnant pas plus de sens ou d’intensité à l’ensemble. Le « récit » de cette vie est désespérément plat, sans fond, mais étrangement ce dispositif de collage fonctionne bien, fait que ce Shy existe. Qu’on se mette dans sa peau, voire qu’on ressente de l’empathie pour lui serait certes beaucoup dire, mais les brèves hésitations de cette conscience, ces accès de lucidité vite transformés en (sombres) autodérisions, cette façon (de Max Porter) de fondre le personnage dans un décor âpre, froid, liquide, onirique, nerveux ; tout ceci lui donne une épaisseur qui fait qu’on a quand même envie de le suivre, même si c’est pour aller nulle part.
136 pages - Éditions de Minuit
La Plus Secrète Mémoire des hommes (2021)
Sortie : 19 août 2021. Roman
livre de Mohamed Mbougar Sarr
Elouan a mis 6/10.
Annotation :
28 octobre
14 novembre
Il y a un premier personnage dans La plus secrète mémoire des hommes, T. C. Elimane, un personnage inaccessible, mythifié, un homme mort ou présumé tel, un romancier génial ; et il y a un autre personnage, Diégane Faye, à la recherche du premier. On est entraîné dans une enquête, et pour le coup bien plus captivé par l’investigation proprement dite, ces tâtonnements, ces fausses pistes qui prennent la forme de rumeur inquiétantes, que par l’objet de cette recherche. On est entraîné, dans le sillage de Diégane Faye, à ajouter foi au mythe Elimane, mais on ne sait jamais, au juste, ce qui lui vaut l’admiration de cette clique de lecteurs et d’écrivains. À moins, que le qualificatif « Rimbaud nègre », jeté par un obscur critique littéraire soit une raison : on voit poindre un premier motif, qui consiste à débusquer l’argument d’autorité qui se greffe sur une réputation littéraire (méritée ou non) et qui est en réalité un stratégie d’évitement, pour ne pas avouer qu’on méconnaît totalement ce qui fonde une valeur littéraire… l’argument d’autorité, ou encore l’idéologie. Étrangement, on voit dans un second temps le roman céder d’une certaine manière au travers qu’il dénonce. Elimane fait peu à peu l’objet, de la part de Diégane ou de Siga D. d’un culte inconsistant, on ne sait pas de quel combat il est le héros (sauf d’un besoin de reconnaissance) ou s’il ne devient pas le porte-drapeau d’une Afrique blessée, sans qu’on ne le connaisse plus que ce que ses frasques libertines à Paris nous laissent deviner. La révolte en train de sourdre au Sénégal ajoute une dimension tragique, mais elle semble se creuser en marge du roman. Tous les éléments ne s’intègrent pas bien les uns aux autres, on dirait que le roman est trop construit et même qu’il manque d’originalité, donnant l’impression de contrefaire les romans de Roberto Bolaño. La sexualité dans La plus secrète mémoire des hommes est assez révélatrice, ces scènes d’amour manquent totalement de naturel ou d’à propos, on ne sait pas pourquoi elles sont présentes, à part que l’auteur se sent obligé, il donne pour le coup l’impression d’être emprunté. Mais la fin et la conclusion du roman jouent davantage cartes sur table et proposent des questions qui mettent en perspective ce qu’on avait lu avant ; dommage que ces questions n’aient pas été plus exploitées.
457 pages - Philippe Rey / Jimsaan
Le Domaine Pouchkine (1983)
Заповедник
Sortie : 13 mai 2004 (France). Roman
livre de Sergueï Dovlatov
Elouan a mis 3/10.
Annotation :
6 novembre
13 novembre
(traduit du russe par Christine Zeytounian-Beloüs)
Dans ce Domaine Pouchkine, Sergueï Dovlatov raconte ses derniers jours en URSS. Mais le fait totalitaire n’est pas celui qui se démarque le plus de ce récit qu’un sens du sarcasme ponctue : dans ses déboires, c’est lui-même que l’écrivain affronte et cet attachement à une patrie (ou sa langue) qui le tire vers le bas, l’autodestruction par la bouteille, en fait. Ici, l’ironie et l’alcool semblent consubstantiels, on les boit avec la même paresseuse désespérance. Sans ces formules parfois drôles, j’aurais été franchement saoulé. Où se trouve cette « foule de personnages plus attachants les uns que les autres » ? Aucun d’entre eux ne m’a inspiré ni sympathie ni intérêt, tout au plus un vague sourire de pitié (oh oui, le savant Mitrofanov exagère en étant trop fainéant pour se mettre une casquette sur le crâne…) : Dovlatov ne les regarde qu’avec une commisération superficielle, le prisme d’une nullité dont on rigole bien quand on a un coup dans le nez. J’aurais mieux aimé comprendre ce tiraillement de l’auteur, ce qui fait qu’un exil n’est jamais simple ― pour pleins de raisons, politiques ou personnelles ― mais Le Domaine Pouchkine ne raconte rien, excepté son propre abrutissement. Outre cela, oui, il faut prendre ce texte pour ce qu’il est, un sorte de journal personnel que Dovlatov a eu la sincérité et le courage de publier ― mais pourquoi ? Un livre peut être désespérant quand il parle de la déréliction ou de la misère, mais c’est pire si en plus il n’apporte rien du tout.
138 pages - Baconnière
Volcano (1960)
火山
Sortie : janvier 1990 (France). Roman
livre de Shūsaku Endō
Elouan a mis 7/10.
Annotation :
4 octobre
10 novembre
(traduit de l'anglais par Ariel Marinie)
On suit deux personnages dans Volcano, même si l'un est davantage traité que l'autre. Ils ne se connaissent pas, leurs chemins se croisent brièvement au pied d'Akadaké, le volcan du roman de Shûsaku Endô. Vieux, ces deux personnages constatent que leur existence n'est qu'une accumulation d'échecs. Cela dit, la lucidité n'est pas leur fort. Ils ont l'un par rapport à l'autre, une manière différente de réagir au désastre, de ne pas l'affronter directement. Leurs sentiments respectifs et leurs vœux se dessinent en parallèle, elles produisent une opposition, dans laquelle Akadaké a un rôle décisif : explosera, n'explosera pas. Mais pour le coup, on peut déplorer le déséquilibre de ce parallélisme structurant. Shûsaku Endô ne semble presque pas s'intéresser à son prêtre français, tandis qu'il a l'air de comprendre infiniment mieux, le volcanologue Jinpei Suda. On a du mal à comprendre Durand, on a du mal à comprendre l'origine de son ressentiment, donné de fait ou comme suite à un déshonneur, une obscure affaire, embrouillée, qui encore une fois, ne semble pas beaucoup intéresser l'auteur. Ce n'est pas que son conflit intérieur soit mal dessiné, c'est qu'il n'est presque pas dessiné. Dommage, pour un récit qui se donne pour un roman psychologique. Et c'est tout le contraire en ce qui concerne ce pauvre Jinpei Suda, à l'égard de qui Endô arrive à susciter de l'empathie, même s'il est nul. On se figure bien, par l'analogie, son attitude par rapport à la vie qui est presque le thème principal du roman. Jinpei Suda a beau fermer les yeux, ce qui passe par ses oreilles (ses véritables oreilles ou celles de son esprit) est très, très dur à accepter. Il passe par tous les états, dans une confusion bien composée par l'auteur, on s'y égare un peu, on a l'impression d'être dans la peau de ce personnage aux dernières extrémités. Un petit 7, malgré tout.
184 pages - Buchet / Chastel
L'Homme au cheval blanc (1888)
Der Schimmelreiter
Sortie : 1888. Roman
livre de Theodor Storm
Elouan a mis 9/10.
Annotation :
31 octobre
6 novembre
(traduit de l'allemand par Raymond Dhaleine)
Est-ce bizarre de ressentir une puissante fascination pour des romans "où il ne se passe rien" ? Bien sûr, ce "rien" n'est jamais absolu, et des guillemets s'imposent face à cette généralité touchant quelque chose d'aussi équivoque : il y a une variété infinie de ce "rien" et ce n'est pas n'importe quelle "rien" qui me prend aux tripes. Si l'on est déconcerté par un tel roman, c'est peut-être parce qu'on s'obstine à chercher ce qui ne s'y trouve pas, l'on guette un ennemi qui jamais n'arrivera et l'on passe à côté de la multitude de caractères imprimés qui constituent le présent livre. Cette glose terminée je n'ai cependant "rien" dit sur L'Homme au cheval blanc. C'est l'enthousiasme qui me rend bavard ou pontifiant. Mais parlons de cet enthousiasme qui était ma foi réel mais discret, mêlé d'une attente perplexe : dans ce conte déguisé en récit platement réaliste, tout semble se dérouler un peu près sans anicroche (je dis bien un peu près) pour son personnage, Hauke Haien. Il évolue de façon constante, jusqu'à devenir intendant des digues dans une petite bourgade aux larges de la Mer du Nord. Où est l'ennemi ? Nulle part, partout ; Hauke Haien lutte avec la paresse, la mauvaise foi, la pusillanimité et le ressentiment passif qui caractérisent les autres villageois. Ces traits se coagulent tellement bien dans cette ambiance de brumes, qui troublent la vision et favorisent les superstitions. Il y a un mystère, qui fait que l'on est happé dans cette "ambiance grise" ― si Hauke Haien n'a pas de doute, le lecteur, lui, en a. Et puis on visualise très bien cet environnement, même si Theodor Storm ne le décrit qu'avec assez peu de détails, mais parlants. Le vent se lève. On voit cette bande de terre désolée, au-dessus de laquelle des oiseaux passent, où aux bordures, les vagues et les bourrasques achoppent avant qu'une véritable acmé s'insinue dans le brouillard, prodiguant une intensité à toutes les articulations du récit, à toutes les phrases, tous les mots.
172 pages - Sillage
Devant mes yeux le désert ... (1966)
Aa Koya
Sortie : 1 janvier 1973 (France). Roman
livre de Shûji Terayama
Elouan a mis 8/10.
Annotation :
26 octobre
2 novembre
(traduit du japonais par Alain Colas et Yuriko Kaneda)
L'idée d'une prose tentant de se rapprocher techniquement de la musique jazz, ainsi que le présente Shuji Terayama, me rend à la fois curieux et sceptique. Que le jazz puisse être une musique inspirante, j'appuie à fond, mais alors il y a une part d'illusion (tout à fait acceptable) dans cette ambition littéraire, qui nécessite du lecteur un peu de bonne volonté pour y croire. J'ai, au fur et à mesure de ma lecture, oublié ce petit jeu de correspondance. L'effet au final séduisant du récit n'en a pas été pour cela plus long à se décanter. Le fond de l'histoire n'est pas forcément sordide, mais souvent assez terne. La part d'improvisation du roman (là encore, le jazz...) m'a inspiré un peu de crainte ; pas de ne pas savoir où l'on va, bien sûr, mais de ne pas savoir si l'on va quelque part avec Devant mes yeux le désert.
On part sur une base plutôt triste, ou à une ambiance qui évoque Les anges déchus de Wong Kar-Wai ; les personnages de Shuji Terayama sont tout aussi paumés. Quelle chimère poursuivent-ils ? Pas forcément évident à dire, en tout cas, ils courent après quelque chose, sans compter que la trajectoire l'un d'entre eux, La Tondeuse (oui, c'est comme ça qu'il s'appelle) si elle paraît tout d'abord insignifiante, sans plus de relief que celle des autres, finit par donner une curieuse consistance au roman. Comment dire, on est attrapé par le sens de l'humour de l'auteur, qui nous révèle une à une les touchantes excentricités de ces personnages, témoignant de la même envie de réussir ou de mourir. Bien mourir est beau, bien vivre est ennuyeux, nous dit-on, mais c'est leur vie, toute détraquée ou morose qu'elle soit, qui parvient à émouvoir, parce que le ton malicieux mais tendre de Shuji Terayama est presque toujours juste.
240 pages - Inculte
Yentl et autres nouvelles (1983)
Yentl the Yeshiva Boy
Sortie : 1984 (France). Recueil de nouvelles
livre de Isaac Bashevis Singer
Elouan a mis 5/10.
Annotation :
24 octobre
30 octobre
(traduit de l'anglais par Gisèle Bernier et Marie-Pierre Bay)
Ces nouvelles sont traduites de l’anglais, mais comme toutes les autres œuvres d’Isaac Bashevis Singer, elles ont été écrites en yiddish (je me demande si un français s’amusera un jour à les traduire directement du yiddish). Ces nouvelles, aux allures de contes, paraissent conventionnelles, ces personnages insipides. C’est un peu comme si Singer n’avait d’autres choses à présenter que des particularités culturelles. En fait, tous ces personnages se définissent par rapport à la tradition juive, au livre, à la foi ; ils en sont proches, ou bien éloignés. D’une nouvelle à l’autre, on oscille aussi entre la réalité de phénomènes divins qui se manifestent, et la supercherie ourdie de façon plus ou moins habile. Mais cette ambivalence ne produit rien de particulier, tout au plus elle révèle le côté pusillanime de ces personnages. Mais Singer ne les rend pas du tout intéressants, leur caractérisation est souvent plate et faite de phrases convenues. L’un boit, l’autre n’a pas de succès dans les affaires, simplement. Ce n’est peut-être pas vrai jusqu’à la fin du recueil ceci étant, avec ces quelques nouvelles inédites : là les personnages acquièrent un peu plus d’épaisseur ou est-ce ce ton doux-amer que l’on perçoit, cette légère ironie dans le marasme des mondanités où l’on évoque tragédies comme pluie et beau temps, ou cette histoire sentimentale absurde au milieu d’une débandade. C’était peut-être ça le problème avec les nouvelles précédentes (sauf la toute première Yentl, qui est vaguement amusante) c’est qu’elles avaient l’air tristement impersonnelles, dans leur manque d’originalité.
151 pages - Stock
Petersbourg
Sortie : 1916 (France). Roman
livre de Andrei Biély
Elouan a mis 9/10.
Annotation :
11 octobre
24 octobre
(traduit du russe par Jacques Catteau et Georges Nivat)
Ce qui est étrange avec Pétersbourg, c'est sa construction. Il y a beaucoup de motifs, de phrases qui se répètent dans le roman d'Andreï Biely. Ce sont comme des refrains, prononcés avec un rien de bouffonnerie sardonique. Le narrateur est là, on dirait un peu qu'il se moque de nous, à nous livrer une chronique manquant délibérément de naturel. On dirait que ce sont toujours les mêmes pantins qu'il nous présente, impliqués dans une sombre affaire, un contexte explosif (et puis ce roman paraît vers 1916, la révolution est proche). Mais ces personnages arrivent quand même à être non seulement comiques mais aussi émouvants, fascinants. Biely nous plonge avec eux dans un abyme où l'on ne distingue plus très bien le rêve de la réalité. On s'enfonce peu à peu dans un cauchemar, mais Biely arrive, par un sublime décalage en contrepoids, à susciter à la fois une curieuse émotion, une sorte d'empathie moqueuse. Quelle est cette manie de la symétrie, des cubes, des lignes sortis au milieu de nulle part, des calembours tout à fait incongru d'un vieux sénateur paumé, Apollon Ableoukhov ? Mais c'est le Pétersbourg de Pierre le Grand, construit sur un marais, une perfection sur le papier, selon notre Apollon, sauf que la vie ne s'y moule pas bien. Tout est tenu par une cohérence "excessive", "non naturelle" je disais, "délirante" peut-être, parce qu'elle joue aussi avec la façon dont ces personnages se représentent le monde, ou l'univers. Seulement là où Biely est vraiment très fort, c'est dans l'ambiance qu'il arrive à créer, sans laquelle le roman tournerait en rond, à vide. L'arrière-plan que trace Biely capte l'attention par ses contrastes, ses ciels et ces rues ; des couleurs, vives ou ternes, qui se disputent. On lit Pétersbourg comme un série de tableaux vivants, ruisselants de pluie, mouvants, grouillants de monde, de parapluie, de chapeaux melons. C'est un refrain, la rêverie prend la forme d'un ballet comique lorsque Biely évoque une chorégraphie des rues ― le roman était vraiment une chanson, ou un poème ― mais ces tableaux rendent cette ville chimérique étonnamment réelle.
456 pages - Éditions des Syrtes
Le Serpent des blés
Sortie : 5 mai 2022 (France). Roman
livre de T. M. Rives
Elouan a mis 7/10.
Annotation :
19 octobre
23 octobre
(traduit de l'anglais par Lucien d'Azay)
C'est comme si l'intrigue se déroulait complètement hors-champ. On entend des voix, on a l'impression de rentrer dans l'intimité de ces personnages, même si leur caractère est à peine esquissé. C'est une petite œuvre sans bruit ou presque, où l'on ne fait que deviner une difficulté sentimentale qui aurait pu se révéler inconsistante, fade, si elle avait été regardée de plus près. Il n'y a pas d'abîme ou de profondeur psychologique chez T. M. Rives, juste une allusion, un minuscule éclat qu'on entend et auquel on prête à peine attention, et à côté duquel se déploie un décor décrit d'une manière remarquable, précise. Sans guère appuyer, Le Serpent des blés donne une idée de sa beauté, il nous la laisse pour ainsi dire juger par nous-même, s'attardant sur un ou deux détails révélateurs, donnant une idée complète du tableau qui se dresse sous nos yeux en particulier lorsqu'il s'agit de la nature, plus vaste que ces quelques quatre-vingt-dix pages. On a l'impression qu'on pourrait très facilement passer par-dessus Le Serpent des blés et l'oublier vite, tellement c'est discret, tellement ça passe pour insignifiant. Mais il ne faut pas non plus pour cela dédaigner cette façon de présenter les choses, ce travail doux, soigné, honnête.
94 pages - Zulma
Contes immoraux
Sortie : 5 août 2014 (France).
livre de Prince De Ligne
Elouan a mis 4/10.
Annotation :
9 octobre
22 octobre
De la fiction aux maximes, le Prince de Ligne ne change pas de rôle : il peint son monde en moraliste, distribuant les petites remarques, des traits d'esprit qui s'enroulent autour d'une éthique aussi particulière, qu'elle est en fait peu clair. Ami de l'amour, du plaisir pourvu qu'il n'esquinte pas celui des autres, nous dira-t-on ; il prêche en même temps l'excès et la pureté, une espèce de continence. Il procède assez religieusement à la séparation du corps et de l'esprit tout en criant : les deux mon général ! Il veut contenter et l'un et l'autre, comme s'il était au four et au moulin. C'est en effet difficile d'y voir clair étant donné que la plupart du temps, ses réflexions sont très banales et regorgent de contradictions qui rendent cette gymnastique intellectuelle très confuse. Notre ami donne l'impression d'aimer la pensée mais d'avoir horreur de la creuser trop ― de peur de devenir un esprit froid ou pédant ? ― il veut tout saisir d'un trait, et les multiplie, embrouillant de ce chef ses contes sur le mode de la conversations sinon de la logorrhée autosatisfaite. Le baron de ces contes a une auditrice sévère pour critiquer l'étourderie de ses "innocentes" frasques, mais cette sainte-nitouche de Sara est encore plus ennuyeuse que lui. C'est à regretter un Casanova qui a le monde entier dans sa tête, alors que le Prince n'a que des formules.
274 pages - 10/18
Babbitt (1922)
Sortie : 1922 (France). Roman
livre de Sinclair Lewis
Elouan a mis 7/10.
Annotation :
25 septembre
17 octobre
(traduit de l'anglais par Maurice Rémon)
Le roman de Sinclair Lewis a été une comme une onde de choc dans les lettres américaines, son retentissement a été tel que ce personnage, Babbitt est devenu un mot, passé dans l’usage courant. L’impact est plutôt étonnant, à songer qu’en lisant Babbitt, on a la sensation de s’enfoncer dans la monotonie, un monde de routine, pas seulement de préjugés. C’est un monde mou, pas tout à fait propre à susciter de grandes révélations sur le fonctionnement de la société états-unienne, mais désespérément engluant, pour ce cher Babbitt. De sorte que l’étrange attrait de Babbitt repose en effet sur ce personnage et la façon dont il a arrangé sa vie. On s’habitue bien vite à ce personnage constamment en quête de l’approbation d’autrui, il est pour le coup très conforme à ce que l’on pouvait imaginer, mais, sa lutte a quelque chose qui le rend attachant, curieusement vivant, maladroit et sincère, tandis qu’il se débat dans le rien.
Rien n’appartient à Babbitt au sens profond, ni ce qu’il a acheté ― on a un peu l’impression qu’il vit à l’hôtel ―, ni ses goûts ni ses idées ; au rare cas près, toutes ses amitiés semblent être des « contrefaçons », il veut les plaire tous, comment dire, par sa « docilité », alors que de tels « amis » ne pourront jamais être satisfaits. Tous les détails de son univers semblent lui rappeler qu’il en est étranger. Le personnage que Sinclair Lewis surnage dans ce brouillard par des intuitions et des sentiments tout à fait crédibles, il ne le rend pas plus intelligent, mais davantage ouvert à autre chose, toutes les fibres de son espoir s’adressent à un changement radical et effrayant. De façon très parlante, par petite touche, Babbitt est rendu très humain par son auteur, qui s’immisce dans ce sentiment constant de gêne et de désarroi de quarantaine finissante. Reste que l’introduction du drame dans cette gentille déliquescence, si elle provoque un déclic, paraît légèrement boiteuse. Cela permet au récit de poursuivre son chemin sans bruit, sans guère de frisson, sans même avoir haussé légèrement le sourcil quand bien même on a aimé cet attachant et vrai personnage.
541 pages - Livre de poche (Stock)
Le Gluau (1961)
The Lime Twig
Sortie : 1963 (France). Roman
livre de John Hawkes
Elouan a mis 6/10.
Annotation :
2 octobre
10 octobre
(traduit de l'anglais par Aanda Golem)
L’enthousiasme a manqué, quoique ce livre, déconcertant, a de quoi intriguer par l’élégance du style et par cette structure narrative aussi brumeuse que l’ambiance dans laquelle nous noie John Hawkes. On nous noie dans une multitude de détails ; le récit est animé d’une sorte d’effervescence allant des tons les plus glauques, les plus sordides aux visages rieurs d’une foule en liesse admirant une course de chevaux. Le récit, ou le décor devrais-je dire. C’est un faux thriller, les touches formelles nous éloignant de l’intrigue (bientôt, on s’en fiche un peu) on n’a pas l’impression de suivre une histoire difficile à comprendre, mais d’être le spectateur d’un tableau. On peut le voir un avantage par rapport au très beau mais décevant roman d’Olav Duun (La Réputation) où le déploiement de l’intrigue agace pour bien peu de choses, au lieu d’être quasiment invisible dans Le Gluau : et cela consiste à mettre le paquet sur l’ambiance, le style ― mais tout ceci donne une impression de superficialité.
277 pages - Le serpent à plumes
Les Sept Pendus
Sortie : 1908 (France). Roman
livre de Léonid Andréïev
Elouan a mis 8/10.
Annotation :
5 octobre
8 octobre
(traduit du russe par Sophie Benech)
Ouh là là, j'ai besoin de décompresser un peu après avoir lu Les Sept Pendus. Et pourtant, Léonid Andréïev n'est pas le premier à fouler ce terrain : ce qui se passe dans la tête d'un condamné les jours ― les minutes ― qui précèdent son exécution. Une maladie peut condamner tout aussi certainement qu'un tribunal (et ne parlons pas de la vie...!) ; mais là Andréïev nous fait comprendre qu'il s'agit d'une mécanique plus singulière. De "l'odeur" de la mort il est question lorsque l'auteur explore le monde intérieur de chacun de ces "sept pendus", examinant méticuleusement chaque recoins de leur mental, passant par toutes les nuances d'angoisse révoltée ou de tranquillité, s'attardant pour oublier sur le moindre détail extérieur. La plume délicate d'Andréïev saisit ces moindres détails, nuances, états moraux, tout comme on épie les moindres faits et gestes des prisonniers chacun seul dans sa cellule. Mais là où il va fort, c'est lorsqu'il fait vibrer sourdement les ricanements de la satire ou du burlesque à l'ouverture et au final de ce récit, entre lesquels il y a cette litanie larmoyante des "il ne faut pas" ― "je ne veux pas" qui je l'avoue m'ont fait la peau. On se dit que la corde, le couperet ou autres joyeusetés mettent à bas une ultime "forteresse", celle où pouvait malgré tout s'épanouir la pensée. Il y a à la fois de la douceur et un côté coup de poing dans ce petit texte efficace ; comme une frappe précise, chirurgicale, dont on a du mal, du moins dans l'immédiat, à être reconnaissant.
125 pages - Sillage
Les Sept Frères (1870)
Seitsemän veljestä
Sortie : 1985 (France). Roman
livre de Aleksis Kivi
Elouan a mis 7/10.
Annotation :
24 septembre
5 octobre
(traduit du finnois par Jean-Louis Perret)
Dans les décennies qui suivent la parution du Kalevala par le docteur Elias Lönnrot, les finnois s'enthousiasment pour une autre œuvre littéraire, qu'ils considèrent comme le premier roman moderne écrit dans leur langue. Les Sept Frères d'Aleksis Kivi est comme une hymne nationale sous forme de roman et l'on peut à le lire le juger d'une morale plutôt traditionnelle. Il évoque avec une sorte de candeur un monde sauvage, extrêmement cruel et à côté de cela les "lumières" d'une civilisation christianisée. Ces sept frères ont un peu l'allure de pionniers américains, comme s'ils conquéraient un territoire nouveau, bien qu'ancestral. Cela dit je me suis surpris à goûter sans effort ce récit qui pourrait sembler vieillot et qui n'est pas non plus, c'est vrai, d'une remarquable profondeur. Ces sept personnages sont drôles et plutôt attachants. Ils sont primitifs, rustauds parfois paresseux ou d'un courage rugissant ; il y a en tout cas quelque chose de spontané dans leur attitude, qui fait que l'on devine leur combat intérieur clair comme de l'eau de roche. Mais c'est l'arrière-plan qui joue un rôle plus essentiel encore que ces héros de bildungsroman du nord. La physionomie du pays s'y dessine avec une netteté, mais des mots qui font tout aussi bien imaginer douces et crémeuses les prairies, les vallons et les pentes de Jukola.
255 pages - Stock
Roman géométrique de terroir (1969)
Geometrischer Heimatroman
Sortie : 2 mars 2023 (France). Roman
livre de Gert Jonke
Elouan a mis 4/10.
Annotation :
24 septembre
30 septembre
(traduit de l'allemand par Uta Muller et Denis Denjean)
Je n'ai pas de grands reproches à faire sur ce Roman géométrique de terroir, à part que, vraiment, l'ensemble ne pèse pas bien lourd. Il y a à boire et à manger, des pages amusantes, d'autres plus poétiques, et beaucoup qui ne semblent pas indispensables. Toutes ces saynètes, dialogues, anecdotes sans personnages récurrents, décrivent la vie d'un village, les murs et les lois qui structurent cette micro-société en butte aux tracasseries de la nature et aux déviances humaines. Pas un écart n'est permis, tout est contrôlé, réglementé de façon plutôt ridicule. Tout tourne autour de cela, avec un semblant de continuité narrative. Malgré cela le livre de Gert Jonke donne constamment l'impression d'être trop fabriqué, de n'avoir aucune cohésion, et partant, a autant d'impact qu'une insignifiante collection de blagues ou de satires politiques.
"La plupart du temps on marche plutôt avec le temps / en marchant à contretemps / ces derniers temps / il est communément admis de marcher à contretemps jusqu'à ce que cette marche / contre le temps finisse par redevenir marche avec le temps c'est pourquoi ces derniers temps ces marchent avec le temps / au sens propre / pour de manière autonome marcher effectivement à contretemps pour aussi ainsi encore et surtout pouvoir marcher avec le temps.
La place du village est vide
Nous pouvons traverser la place du village.
Les gens sont assis au café.
Traversons la place du village.
La place du village est vide.
Non, ce n'est pas vrai, car la place du village est inondée [...]"
163 pages - Mont métallifères
Adrienne Mesurat (1927)
Sortie : 1927 (France). Roman
livre de Julien Green
Elouan a mis 8/10.
Annotation :
9 septembre
24 septembre
Le roman dans lequel évolue Adrienne Mesurat, c’est d’abord un lieu, une maison à Tour-l’Evêque (ville imaginaire dans l’Eure) ; une maison remplie par le silence. Ce n’est pas exactement une ambiance paisible pourtant, même si le récit, d’accord avec les personnages entretiennent cette illusion. Ici, le calme s’impose par la terreur ou par l’isolement, la solitude. Il y a ce calme, mais l’on sent aussi bien qu’à tout moment tout cela peut exploser. Dans le roman de Julien Green, l’ambiance participe à l’histoire et à la caractérisation de son personnage (Adrienne) de manière assez remarquable, de sorte que me suis senti assez rapidement dans le bain. On dirait parfois que les objets sont plus vivants que les habitants (un père et ses deux filles, dont Adrienne) ; Green décrit avec une sorte de douceur cet univers matériel, soigneusement entretenu parce que ces meubles anciens prennent la poussière ― on sent que tout repose sur un équilibre délicat et lorsque celui-ci est rompu, Green révèle combien ce cadre avait un fond psychotique, entraînant des conséquences de même nature. Je lisais ce roman avec un sentiment d’effroi et de frustration ― parce que la solution semble si simple (plus simple à formuler qu’à exécuter peut-être) ― et aussi avec cette espèce de calme contagieux : une expérience de la tyrannie qui se murmure, sans sensationnalisme, juste comme si l’on décrivait une ambiance avec tact et subtilité.
443 pages - Livre de poche
La Réputation (1932)
Sortie : 1932. Roman
livre de Olav Dunn
Elouan a mis 6/10.
Annotation :
13 septembre
22 septembre
(traduit du norvégien par Élisabeth et Éric Eydoux)
Au fond, le livre porte bien son titre et Olav Duun ne dévie jamais de son sujet. Mais l’on se sent constamment mené en bateau dans ce roman ; mené à hu et à dia, dans « les vérités » des uns et des autres. Brynjar, fils d’un accusé et d’une assassinée, enquête, interroge ses proches et les villageois de cette bourgade norvégienne, près des côtes. Égaré par des allusions et des circonstances mystérieuses, même l’objet de cette enquête paraît embrouillé, et Olav Duun n’a pas l’intention de l’éclaircir. Le fin de mot de l’histoire est à la fois partout et nulle part ; ce qui compte, c’est la pluralité des voix, des points de vue. Le ton à la fois narquois et légèrement scandalisé ― comme s’il y avait quelque chose d’obscène à vouloir connaître la vérité ― participe de l’atmosphère créée par cet écrivain fasciné par les brumes, par les romans de Dostoïevski. Mais ce qui frappe chez Dostoïevski, agace ou ennuie chez Duun : j’ai l’impression qu’on nous saoule de mensonges en vain. Est-ce parce que les motifs de enquête paraissent trop dispersés voire insignifiants, ou que les personnages de Duun ont finalement assez peu d’épaisseur ? ― pourtant « l’acte gratuit » de l’un d’entre eux aurait peut-être fasciné Gide, et m’a intrigué ― je ne sais.
204 pages - Cambourakis
La Chronique de la rue aux moineaux (1856)
Sortie : 1856. Roman
livre de Wilhelm Raabe
Elouan a mis 7/10.
Annotation :
11 septembre
21 septembre
(traduit de l'allemand par Pierre Foucher)
Une forme de gaieté s’exprime dans La Chronique de la rue aux Moineaux, celle qui fait contre mauvaise fortune bon cœur en quelques sortes, qui accuse le coup, rebondit aussitôt avec candeur sur les menues joies de cette fugitive existence. Il y a quelque chose d’entraînant dans cette plume primesautière, papillonnant d’un sujet à l’autre, d’une époque à une autre, sans prévenir. Le vieux chroniqueur évoque un « tableau » puis une rêverie sous forme parfois fantasmagorique, « je m’attarde à certaines minutes, et j’enjambe des années entières. […] je brise net, sans laisser au son le temps de mourir. C’est que je ne veux pas instruire, mais oublier. » écrit-il. He oui mais ça fait Chronique un peu pantouflarde à force, malgré ces échappées dans la forêt ; à force, comment dire, de ne rien vouloir bousculer, de ne voguer que distraitement dans certaines réflexions plus profondes, passant vite à… à autre chose. Du reste, le chroniqueur, qui « n’écrit pas un roman », écrit les choses telles qu’elles lui viennent, de sorte que ces pages sont imprégnées de sentiments qui changent qui contrastent entre eux. Elles vibrent au rythme de cette vie intérieure à plusieurs compartiments, appartements voisins de la rue aux moineaux.
242 pages - Circé
Le Criticon (1657)
El Criticón
Sortie : 2008 (France). Roman
livre de Baltasar Gracián
Elouan a mis 6/10.
Annotation :
24 août
10 septembre
(traduit de l'espagnol par Benito Pelegrín)
J'ai bien fait de lire Le Criticon vu l'illustration de ma liste...
Baltasar Gracián n'aurait peut-être pas eu besoin de mentionner Jérôme Bosch (qu'il admirait) pour que l'on pense au Jardin des délices en imaginant les tableaux délirants du Criticon, constitués d'une multitude de bizarreries, d'êtres difformes, de subversion carnavalesques, de zombies. Tout ce petit monde mené avec un sens de l'allégorie typiquement baroque, un peu médiévale, aussi. Est-ce le désordre ou l'ordre qui est apparent dans ce livre ? On a trois parties pour quatre saisons (enfance, jeunesse, maturité, vieillesse) qui s'avèrent être un catalogue de vices, de noirceurs dont l'énumération (ou la répétition) fatigue parfois un peu. La vision du monde que déploie le Criticon a quelque chose de sombre sans doute mais d'insaisissable*, puisqu'elle condamne tout et son contraire se soucier du juste milieu. Puis elle verse dans la caricature et Gracián de s'en détacher en parlant, pour s'en moquer, du culte du négatif ― une sorte de misonéisme qui ne se contenterait pas de vitupérer la modernité, mais toutes choses de ce monde parce qu'elles sont de ce monde ; générant des esprits faibles et aigris, s'accommodant en définitive de la fange où ils sont, puisqu'il n'y a pas d'alternative possible.
Mais n'est-ce pas ce culte du négatif dont il avait fait preuve depuis le début ? Certes, il y a les vertus chrétiennes (Gracián n'était pas jésuite pour rien) mais celles-ci justement ont plus avoir avec le ciel qu'avec la terre. En fait, Gracián fait feu de tout bois pour alimenter la controverse, sur la nature du bonheur ou les attitudes possibles face aux malheur du monde, sur le temps etc... Il travaille une matière à penser (qui a séduit Schopenhauer et Nietzsche aussi dans une certaine mesure) ; une faconde riche d'observations sur la "nature humaine", où l'on refait sans arrêt le monde à l'envers et à l'endroit, jusqu'à l'absurde ― mais une faconde que rien n'arrête, pas même les blagues, les généralités et les jeux de mots les plus stupides (et d'autres beaucoup plus élégants, heureusement) ― je disais bien qu'il fait "feu de tout bois". Donc oui, Le Criticon est très, très inégale, et très, très dense ― peut-être comme un astre qui fascine et attire.
* Elle est toutefois abondamment commentée par le traducteur
469 pages - Seuil
Les Verbes auxiliaires du cœur (1985)
A szív segédigéi
Sortie : 24 mars 1992 (France). Récit
livre de Péter Esterházy
Elouan a mis 5/10.
Annotation :
3 septembre
9 septembre
(traduit du hongrois par Agnès Járfás)
L'auteur est issu d'une famille connue depuis très, très longtemps en Hongrie, et j'ai l'impression que ses livres tournent beaucoup autour des figures de celle-ci (le père en particulier), évoquant les rapports compliqués qu'il a eu avec eux. J'avoue que je ne me sentais pas d'attaquer directement avec son magnum opus, Harmonia Caelestis, qui suinte quelque chose de très personnel, d'"autofictif" si toutefois le terme est approprié. Et donc, Les verbes auxiliaires du cœur, plus court, aborde la figure de la mère. Je ne sais si celle du livre a un rapport avec la vraie mère de l'auteur. Peu importe. Le récit commence tout de suite très nerveusement, sous forme d'élucubration du narrateur au moment de l'enterrement de sa mère : petits et gros griefs, pensées perturbatrices, détails infimes transformés en scandales, anecdotes du présent et du passé mélangés ― de la même manière, les personnages changent de rôle, c'est la mère qui enterre son fils et non l'inverse ― Esterházy multiplie et brouille si bien les pistes qu'on ne voit plus très bien pourquoi il a écrit ce livre et/ou pourquoi on le lit. Ce fourmillement de vétilles a tellement l'air d'aller nulle part et d'être gratuit que ça me dépassait un peu. Les verbes auxiliaires du cœur par leurs motifs, se sont un peu éclairées vers la fin : on rassemble ses billes, plus ou moins colorées, belles, précieuses ― plus ou moins crasseuses tant elles ont voyagé dans la boue ou la salive. Ces motifs traduisent une vision extrêmement crue du corps, frotté par la vie, frotté par la mort alternativement.
88 pages - Gallimard
Drôle de jeu (1945)
Sortie : 1945 (France). Roman
livre de Roger Vailland
Elouan a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
28 août
8 septembre
Curieux roman, où, jusqu’au moment où tout bascule, on a longtemps l’impression que le récit fait du surplace ― tandis que les personnages marchent et discutent dans les rues du Paris occupé ― sans que cela soit du tout ennuyeux ; et même je dirai que cette première « phase » est tout aussi « palpitante » que la seconde. Mais c’est peut-être moi qui aime les romans où ça discute. J’aurais aimé lire Le Hussard Bleu à la suite de ce livre là, Drôle de jeu, de Roger Vailland. La comparaison entre les deux romans m’est souvent venue à l’esprit à cause (et pas seulement) de cette façon d’entrelacer des histoires sentimentales avec des histoires de guerre. Si l’autre Roger (Nimier) a su manier plusieurs voix, plusieurs registres, pour nous mettre dans la peau de militaires français à la fin de la guerre 39-45, Drôle de jeu est d’un seul tenant, se concentrant grosso modo sur le vagabondage et les pensées du seul Marat (homonyme exprès du révolutionnaire). On dirait de Drôle de jeu, qu’il est d’une facture plus classique, plus traditionnelle ; mais, l’air de rien, cette narration aussi, se faufile, s’immisce dans une multiplicité de vies. Elle suit plusieurs sentiments, plusieurs chemins, modelant une galerie de portraits, de types caractérisés de façon plutôt amusante, vivante et parfois subtile. Elle décrit, en même temps, chez ces clandestins de la résistance, une frontière ténue entre cette légèreté et l’enjeu de vie et de morts planant bien au-dessus de têtes occupées par des rendez-vous non-écrits et de baisers dans l’ombre. La vie est contrainte, sombre, mais en même temps la véritable menace paraît toujours irréelle, et on rit encore de la dernière frasque, de la dernière étourderie amoureuse.
433 pages - Livre de poche
Les Versets sataniques (1988)
The Satanic Verses
Sortie : 1988 (France). Roman
livre de Salman Rushdie
Elouan a mis 6/10.
Annotation :
19 juillet
30 août
(traduit de l'anglais par A. Nasier)
Des personnages se rencontrent, se télescopent, se confondent : l’histoire se mêle aux mythes. L’un se voit pousser des cornes, une surabondance de poils ; l’autre se voit en archange Gabriel, sans compter le prophète Mahound et le partage des eaux au milieu de tout cela. De nombreux fils se croisent, s’entrecroisent ― c’est dans ces rencontres, ces coïncidences plus ou moins heureuses, parfois comiques ou absurdes, que le récit prend son envol. Sauf que Salman Rushdie passe vite à autre chose, une blague, un clin d’yeux ― sur fond d’identité conflictuelle, de classiques antagonismes père-fils ou d’histoire de couples ― lui suffit. J’avoue que 450 pages durant, j’ai trouvé cela poussif, vaguement amusant tout au plus, parfois terriblement ennuyeux. Soutenue par une petite industrie du ringard ou du ridicule délibéré, l’ironie devient systématique et un peu triste ; brasse de l’air, étouffe le sens. Parce que Salman Rushdie avait quelque chose à raconter avec ses personnages ― il les aime bien, cela se sent ! ― juste au moment où tous les éléments se concentraient au paroxysme des tensions et dans ce soubassement délicieusement saugrenu, cela aurait été parfait. À vrai dire, il y a une tentative en ce sens, mais elle est embrouillée, écrasée par la structure du roman.
750 pages - Folio (Gallimard)
La Rose fanée (1899)
Uvela ruža
Sortie : 2001 (France). Récit
livre de Borisav Stankovic
Elouan a mis 6/10.
Annotation :
19 août
27 août
(traduit du serbe par Blandine Simičević)
On tient, avec La Rose Fanée, le premier prosateur moderne de la littérature serbe, d'après Jovan Dučić. Celui-ci tresse de beaux louanges à Borisav Stanković, dans sa postface presque aussi longue que le récit proprement dit, presque aussi intéressante. La géographie serbe contiendrait une variété de types psychologiques selon les contrées, des traits singuliers, spécifiques, parmi ceux que l'on peut identifier comme universels. Mais pour la manière, ces traits apparaissent comme des gouttelettes, pas la peine de s'attarder sur chacune d'entres elles, elles tombent avec des centaines d'autres détails d'un autre genre, narratifs ou descriptifs. Disons plutôt allusifs ou nominatifs : des noms d'arbres, d'insectes aussi importants que l'apparition de la puberté. Stanković n'approfondit rien, n'analyse rien ; c'est l'ensemble de ces détails qui créent un effet global, un érotisme feutré, parfois explosif ― rien qui ne soit contenu par le fait de ne pas oser ― une légère tristesse, qui elle non plus, n'ose pas. À force de ne pas oser, le récit a tendance à rester en surface, évite toute complexité en invoquant le "c'est comme ça et pas autrement" dans la bouche des adultes. C'est vrai qu'il y a une quantité de choses que Stanković ne dit pas, ou sur lesquels il n'insiste pas ; pas plus de détails qui fassent échos aux ambiguïtés du cœur humain, pour les accentuer. Ces personnages ne changeront jamais, ils ont en eux quelque chose d'immuable, à l'image de ce récit, beau mais un peu simple.
117 pages - L'Âge d'homme