Cover Les livres - 2017

Les livres - 2017

Illustration : Raoul Dufy, L'Estacade et la Plage du Havre (vers 1926)

Liste de

47 livres

créée il y a presque 8 ans · modifiée il y a presque 7 ans
La Modification
6.8

La Modification (1957)

Sortie : 1957 (France). Roman

livre de Michel Butor

Behuliphruen a mis 8/10.

Annotation :

Depuis longtemps sur ma liste d'envies. Ça paraît un peu austère comme ça, mais c'est quand même d'une habileté admirable. Alors oui, il faut s'habituer au vouvoiement et au rythme du récit, mais, personnellement, j'ai beaucoup aimé ces longues phrases qui se déplient, se déploient, avec une logique implacable, presque mécanique. Le temps est le thème central du roman (Butor maîtrise d'ailleurs admirablement la conjugaison !), le voyage en train se confondant avec le voyage immobile du personnage principal, d'une temporalité à l'autre, entre ses souvenirs et ce qui l'attend. Je ne vais pas en dire plus sur la "modification" dont il est question, car c'est tout le nœud du livre, qui s'avère presque être un thriller psychologique ! Du coup, j'ai moins aimé la troisième partie, où le beau mécanisme se grippe un peu avec les passages de rêve et quelques considérations historico-symboliques faiblardes, qui arrivent toutefois trop tard pour pouvoir encore gâcher mon plaisir.

La Réfutation majeure
7

La Réfutation majeure (2004)

Sortie : décembre 2007 (France). Roman

livre de Pierre Senges

La Steppe
7.2

La Steppe (1888)

Histoire d'un voyage

Sortie : 1888 (Russie). Nouvelle

livre de Anton Tchékhov

Behuliphruen a mis 7/10.

Annotation :

Cette longue nouvelle séduit par sa vision à hauteur d'enfant, qui maintient toutefois une distanciation volontiers ironique qui participe beaucoup au plaisir de la lecture. Le portrait que fait Tchekhov de la petite bourgeoisie russe est d'une acuité délectable - et mieux réussi, à mon avis, que celui des charretiers qu'accompagne le petit Iégor, conduit à la ville pour faire ses études. Ce qui pourrait apparaître comme un voyage initiatique n'en est en fait même pas un, puisque, ironie ultime, il ne lui apprend rien sur la vie qui l'attend à la fin du livre, "la vie, nouvelle, inconnue, qui commençait pour lui à cet instant". Enfin plutôt si, Iégor a appris cette leçon essentielle, selon laquelle "le Russe aime se souvenir mais n'aime pas vivre"... Plutôt que de vivre la vie toute tracée qui sera la sienne, il y a fort à parier qu'il préférera se remémorer ce voyage éprouvant - quitte à en exagérer les péripéties les plus marquantes, comme le font les charretiers, à la veillée.
Mais, outre le talent de cette étude de moeurs et de cette galerie de portraits hauts en couleurs, le récit est aussi, au fil de jolies pages, une peinture de paysage, celui de cette interminable steppe russe, de sa végétation, de ses bruits, de sa faune et de ses couleurs.

Art abstrait
8.2

Art abstrait

Sortie : 24 octobre 2012 (France).

livre de Dora Vallier

Behuliphruen a mis 8/10.

Annotation :

Ces quelques notes ne pourront pas exprimer la richesse et l'acuité de l'analyse de Dora Vallier, qui tente souvent des rapprochements audacieux mais pertinents, tout en demeurant accessible et très pédagogue. L'intérêt majeur du livre réside dans l'exploration passionnante des sources de l'abstraction, à travers l'étude approfondie de l'itinéraire de trois artistes, Kandinsky, Mondrian et Malévitch. Tous trois, entre 1910 et 1914, franchissent ce pas immense qui mène à l'abstraction. Dora Vallier dissèque leurs trajectoires, fort différentes en réalité, et les remet brillamment en perspective. Les deux parties suivantes, plus courtes, se penchant sur l'évolution de l'abstraction, d'abord dans les années 30, où la forme abstraite tend, en se systématisant, à se dessécher, vidée de la puisssance spirituelle qui irriguait les recherches des pionniers ; puis à partir de 1945, en analysant les différents avatars de la peinture et de la sculpture abstraites, du primat de la couleur et du geste chez les artistes américains aux recherches de la Nouvelle école de Paris, en passant par la peinture informelle. Le manque de recul du livre - rédigé entre 1964 et 1966 - se fait un peu ressentir dans ces pages moins pénétrantes, mais cela n'empêche pas de profondes réflexions sur la notion de temps dans la peinture abstraite ou, en conclusion, sur l'évolution parallèle des discours scientifique et artistique au XX° siècle. En outre, une postface permet d'actualiser le propos.

La Vie et les opinions de Tristram Shandy
8

La Vie et les opinions de Tristram Shandy (1759)

The Life and Opinions of Tristram Shandy, Gentleman

Sortie : 1760 (France). Roman

livre de Laurence Sterne

Behuliphruen a mis 10/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

[Lu dans l'édition Folio]

Un régal. La raison première du plaisir que j'ai pris à lire Tristram Shandy est sans doute le fait qu'il sollicite en permanence le lecteur, qu'il lui fait confiance, lui fait faire une part du chemin, en rendant l'acte de lire tout aussi important que celui d'écrire. De tels livres sont rares. Ils rendent plus intelligents, mais aussi meilleurs : Tristram donne lui-même la meilleure définition du livre qu'il nous donne à lire : "une insouciante espèce de livre shandéen, civil, extravagant et facétieux, qui vous fera à tous du bien au coeur — Et à la tête aussi,—pourvu que vous le compreniez"(Vol. VI, Ch. XVII).

Ne vous étonnez pas des tirets longs, le livre regorge d'innovations typographiques qui en ont fait la célébrité, en jouant sur sa propre structure, sur sa nature d'objet imprimé, sur sa matérialité pourrait-on dire : on y trouve pages blanches, noires, chapitres dans le désordres, diverses polices d'écritures, etc. Il s'agit, plus largement, de se pencher sur les rapports conflictuels entre la vie et sa mise par écrit - ce qui est le projet initial du narrateur, Tristram, qui doit sans cesse le différer. Le livre devient un monde, un être autonome, protéiforme, qui déborde son auteur. Qui s'interroge, aussi, sur lui-même, objet métalittéraire avant la lettre. Et la vie, en retour, prend l'apparence d'une succession de récits et d'anecdotes, d'un jeu d'associations d'idées, d'un syllogisme géant, d'un "COQ-A-L'ANE" (sic.).

Car c'est aussi, bien sûr, un livre du siècle des Lumières, donc pétri de philosophie, un livre qui raisonne, qui dissèque, qui syllogise, avec ironie et érudition. Mais là où il dépasse le conte philosophique, c'est que les idées qu'il illustre - l'humanisme généreux, l'amour de la liberté, l'autonomie de l'individu, une tolérance teintée de scepticisme - ne servent pas qu'à animer des personnages, ils guident la main de l'auteur et celle du narrateur. Ils interviennent dans l'élaboration même du livre, ils le fondent, ils tissent les liens d'une intelligence profonde et rare entre l'auteur et son lecteur.

Ah j'ai failli oublier : c'est surtout très drôle !

Mon amie Nane
7.8

Mon amie Nane (1905)

Sortie : 1905 (France). Roman

livre de Paul-Jean Toulet

Behuliphruen a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

J'ai profité de la réédition de ce roman de Paul-Jean Toulet, dont j'apprécie beaucoup les fameuses Contrerimes, pour enfin le découvrir. Toulet a un statut un peu à part : il est certes largement oublié, et peu réédité, mais son nom semble avoir conservé une aura particulière, et d'aucuns le citent encore avec délectation. Et pour cause : ce court roman est une perle. Il a l'allure dilettante du dandy irrécupérable que fut son auteur, un charme détaché et mélancolique. Toulet a une écriture surprenante, très stylisée, délicieuse, qui mêle argot et mots rares et s'amuse parfois avec la grammaire. La narration non plus n'est jamais empesée, et le récit avance nonchalamment, par ellipses, en une succession de tableaux ironiques, où la légèreté ne va jamais sans déplacer son ombre avec elle. Toulet maintient un équilibre miraculeux, sa poésie n'est jamais lourde, son élégance jamais cynique, et son fatalisme distancié évite à ce portrait d'une courtisane 1900 de se démoder jamais.

Les Aventures d'Alice au pays des merveilles
7.8

Les Aventures d'Alice au pays des merveilles (1865)

(traduction Jacques Papy)

Alice's Adventures in Wonderland

Sortie : 1865 (Royaume-Uni). Roman, Jeunesse

livre de Lewis Carroll

Behuliphruen a mis 8/10.

Annotation :

Difficile d'appréhender cette oeuvre à sa juste valeur, tant les aventures d'Alice et les personnages du pays des Merveilles ont saturé notre imaginaire, qui finit presque par faire écran entre l'oeuvre et le lecteur. Mais en lisant le texte original, j'ai découvert une vraie oeuvre littéraire, avec un style plein de finesse et d'humour, des jeux de mots et, surtout, l'absurde et le nonsense, qui, dans mon souvenir des adaptations du roman, étaient quelque peu éclipsés par le merveilleux. Les raisonnements fallacieux, la logique inversée, la perplexité d'Alice participent pour beaucoup au plaisir de la lecture. Cette dimension subversive, qui renouvelle extraordinairement le genre du conte, n'a d'égal que l'habileté de Carroll à transposer l'atmosphère du rêve par les mots.

De l'autre côté du miroir
7.7

De l'autre côté du miroir (1871)

(traduction Jacques Papy)

Through the Looking-Glass, and What Alice Found There

Sortie : 1871. Roman, Jeunesse

livre de Lewis Carroll

Behuliphruen a mis 8/10.

Annotation :

Une sorte de rationalité vient s'immiscer dans l'absurde du pays du Miroir, sans en diminuer ni l'humour ni la force subversive, mais en leur donnant plus de force encore. Quelle rationalité ? Celle de la structure du conte, organisé autour d'une partie d'échecs, de la nature même de ce nouvel univers, monde-miroir, constamment inversé par rapport au monde réel, et, également, rationalité de l'invention, avec ces épisodes dont le déroulement se calque sur des comptines pour enfants. Apparaît quelque chose qui ressemble à de la littérature sous contrainte qui, on le sait, est une formidable machine à inventions. Les plus extraordinaires concernent le langage, où Carroll déploie une fantaisie et une inventivité qui culminent avec les fameux mots-valises. Dans cette formidable variation sur les pouvoirs de l'imaginaire, le langage devient à son tour un pays des merveilles, alternatif au réel. Avec toujours ce même don pour peindre le rêve et l'enfance.

Les Chiens romantiques
7.8

Les Chiens romantiques (2006)

Poèmes 1980-1998

Los perros romanticos

Sortie : 12 mars 2012 (France). Poésie

livre de Roberto Bolaño

Behuliphruen a mis 7/10.

Annotation :

J'ai eu l'impression de lire les œuvres des héros-poètes des Détectives sauvages, c'était troublant. Le recueil est d'ailleurs peuplé de ces "détectives absolument désespérés", de jeunes gens perdus et de prostituées mexicaines. Cela en fait une poésie quasi-narrative, avec des personnages, des récits, qui dessinent peu à peu une longue errance, jamais dénuée d'humour. La poésie de Bolaño oscille entre le trivial et le dérisoire, mais atteint toujours une sincérité bouleversante, par la grâce d'une image poignante et grave et, parfois, d'un onirisme plus étonnant.

Portrait de femme
8.1

Portrait de femme (1881)

(traduction Claude Bonnafont)

The Portrait of a Lady

Sortie : 1995 (France). Roman

livre de Henry James

Behuliphruen a mis 10/10.

Annotation :

Vivement impressionné par ce roman d'une densité et d'une justesse incroyables, ainsi que par sa très grande maîtrise narrative. Je ne suis toujours pas revenu de l'ellipse au milieu du livre, et de la manière dont nous est livré l'événement capital de l'intrigue. L'ensemble est très harmonieux, c'est même sans doute ce qui est le plus frappant : avoir tant à dire, à décrire et à faire vivre, et le faire avec une telle élégance, sans aucune lourdeur. Les personnages sont tous intéressants, dessinés avec beaucoup de finesse et suffisamment d'ironie, se révélant presque toujours différents de ce qu'ils semblaient être au premier abord. C'est là que se joue tout le roman, dans le renversement des apparences, dans le conflit entre l'intériorité des personnages et l'image qu'ils donnent aux autres. Cela en fait un livre passionnant, et un bouleversant portrait de femme prise au piège, dupée, victime de son orgueil et de sa soif de liberté, de son innocence et de ses illusions. Une sorte d'Education sentimentale au féminin.

Dino Egger
7.6

Dino Egger (2011)

Sortie : 20 janvier 2011. Roman

livre de Éric Chevillard

Behuliphruen a mis 7/10.

Annotation :

Premier essai avec Chevillard. Son ton, son humour, sa fantaisie dans le maniement de la langue m'ont plu, ainsi que sa manière de pousser à l'excès le raisonnement par l'absurde. Je ne dirais pas pour autant que le jeu un peu spéculatif, un peu abstrait, auquel il se livre pendant 150 pages m'a captivé d'un bout à l'autre. L'idée est très séduisante : parler d'un personnage qui n'existe pas, et disséquer les causes et les conséquences de sa non-existence. Un programme alléchant, auquel l'auteur s'attaque avec gourmandise, certes, avant de s'essouffler et de tourner un peu en rond. Mais, régulièrement, une idée nouvelle fait mouche, et le récit prend un tour schizophrénique plutôt séduisant. Et puis il m'a souvent fait rire (le journal, au milieu, et la liste des inventions géniales de Dino Egger valent le détour), et cela suffira pour que je me penche un peu plus sur M. Chevillard...

Les Enfants terribles
7.3

Les Enfants terribles (1929)

Sortie : 1929 (France). Roman

livre de Jean Cocteau

Behuliphruen a mis 7/10.

Annotation :

Un conte fantastique, qui conduit ses personnages et ses lecteurs dans un univers trouble, fait d'amour, de haine et de violence irrationnels. J'ai eu un peu de mal à trouver ma place dans ce monde-là, étrange et profondément singulier, mais, au fond, rien de plus normal dans cette intrigue en vase clos. Cela devient un récit sur l'adolescence, une course perdue d'avance pour maintenir l'illusion de l'enfance, à laquelle la stylisation de l'intrigue et la simplicité de la narration donnent des airs de mythe.

Le Château des destins croisés
6.6

Le Château des destins croisés

Il castello dei destini incrociati

Sortie : 1973 (France). Roman

livre de Italo Calvino

Behuliphruen a mis 6/10.

Annotation :

Deux textes en un livre, qui utilisent le même procédé : raconter des histoires à partir d'un jeu de tarots. Une règle combinatoire régit chacun de ces textes : l'ensemble des cartes du jeu forme une grille, et les séquences de cartes utilisées pour chaque récit s'entrecroisent. Ainsi, les récits sont imbriqués, pris dans une structure générale ; chaque carte étant utilisée plusieurs fois, il faut la réinterpréter dans son nouveau contexte. Et c'est là que cet exercice de style complexe devient une variation sur l'interprétation, voire la traduction : on comprend que le récit donné par le narrateur n'est qu'une lecture possible de la séquence de cartes. Ce qui renvoie à la fonction divinatoire du tarot. L'aisance de Calvino, ainsi que l'imaginaire médiéval et le merveilleux dont les textes sont empreints rendent ce petit jeu assez plaisant (bien que parfois un peu tiré par les cheveux).
Le deuxième texte, "La taverne des destins croisés", est plus composite, et je n'ai pas bien saisi l'intérêt de la réécriture de Hamlet, de Faust ou d'Oedipe. Comme souvent, Calvino tombe dans l'écueil du didactisme. Il lasse vite quand il devient trop théorique et, par exemple, ses réflexions sur l'inconscient collectif que l'écrivain exprime ne m'ont pas paru bien captivantes.

La Reine morte
7.6

La Reine morte (1942)

Sortie : 1942 (France). Théâtre

livre de Henry de Montherlant

Behuliphruen a mis 7/10.

Annotation :

Je ne sais pas si cette pièce me laissera un souvenir impérissable (c'est rarement le cas avec les tragédies), mais l'intrigue m'a captivé sur le moment. Un pessimisme certain pèse ici sur l'affrontement traditionnel entre amour et raison d'Etat. On trouvera des dialogues passionnants sur l'exercice du pouvoir, le désenchantement et l'espérance, qui apparaissent ici comme deux attitudes également inconséquentes. L'amertume du roi Ferrante confine à l'absurde, la pureté d'Inès à la naïveté ; toutes deux se détruiront mutuellement. C'est peut-être parfois un peu grandiloquent, mais il y a dans le style une poésie séduisante.

Aurélien
8.2

Aurélien (1944)

Sortie : 1944 (France). Roman

livre de Louis Aragon

Behuliphruen a mis 9/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

Je ne savais même pas, figurez-vous, qu'Aragon avait écrit des romans... Sa poésie ne m'attire pas particulièrement, mais j'ai beaucoup aimé son style ici. Ce style indirect libre, cette "poésie" qui n'est jamais ni mièvre ni poseuse, cette façon presque cinématographique de "dézoomer" au début de chaque chapitre : ouvrir sur un détail et remonter peu à peu le fil des événements... Et puis cette incomparable aisance dans la tenue du récit, dans le rythme, parfaitement maîtrisé, qui accélère et ralentit quand il faut. C'est d'une incroyable richesse, précision, acuité, évidemment dans le traitement d'Aurélien et de Bérénice, mais aussi dans les seconds rôles, parfaits.
Comme dans l'Education sentimentale, l'histoire d'Aurélien est inséparable de la grande Histoire : la guerre a lesté son existence, à la fois événement énorme et non-événement. C'est là le drame, comme toujours : l'héroïsme pour rien, la victoire qui amène la défaite, la frivolité des années 20, l'oisiveté, le temps qui passe... Et tout cela qui rancit au fil des années. (J'ose d'ailleurs un petit bémol sur l'épilogue, qui souligne trop un parallèle moyennement convaincant entre la débâcle de 1940 et son amour défait.) A propos de passion amoureuse, je n'ai rien lu de tel depuis Belle du Seigneur. La soif d'absolu qui se heurte au vide, à l'ennui, au dérisoire : tout le roman est parcouru de cette espèce de crampe douloureuse, qui laisse le lecteur pantois.

Le Cri du sablier
7.4

Le Cri du sablier

Sortie : 9 mars 2001 (France). Roman

livre de Chloé Delaume

Behuliphruen a mis 8/10.

Annotation :

Pour diverses raisons, je me suis repenché sur La Disparition, de Perec, juste avant de me plonger dans ce livre qu'on m'a prêté, et j'ai été frappé des similitudes entre les deux démarches. Outre la notion de "clinamen" développée par les deux auteurs, le plus frappant est évidemment le travail sur la langue. Une langue mutilée, disloquée pour exprimer l'indicible, ici une enfance traumatisée. La langue implose, victime elle aussi de ces deux coups de feu destructeurs, puis se recompose, avec une audace douloureuse. Mais c'est également le récit d'une libération : après cent-vingt pages de remontée dans le temps, le sablier se fige, un certain apaisement est trouvé. Et cette libération est aussi celle du langage : la langue détraquée fourmille (comme chez Perec encore une fois) d'inventions, de mots rares, de jeux de mots, d'humour même. Elle frappe aussi par son oralité : il y a quelque chose de la récitation, de la mélopée, lancinant. Les jeux sur l'homophonie, les rimes, évoquant d'ailleurs certains exercices oulipiens. Le livre m'a aussi parfois rappelé Duras, mais ce style inouï réinvente l'autofiction en en faisant une formidable aventure du langage, que le traumatisme initial avait défiguré.

La Télévision
6.8

La Télévision

Sortie : 1997 (France). Roman

livre de Jean-Philippe Toussaint

Behuliphruen a mis 7/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

Une jolie découverte, dont la note aurait pu être plus haute, si la deuxième partie était un peu moins décousue. Mais la drôlerie de certaines scènes est irrésistible, et le narrateur très attachant, entre la soudaineté (presque) irrévocable de la décision prise (arrêter de regarder la télé, on le sait dès la première phrase) et son indécision procrastinatrice quant au travail d'écriture qu'il doit accomplir. Ça oscille entre une sorte de naïveté et une malice délicieuse, un premier degré nonchalant, au fil de l'eau, et un second degré plein d'une ironie quasi échenozienne !
Comme cet avion pris dans les dernières pages, qui survole, se rapproche puis s'éloigne de la Tour de la Télévision (ça se passe à Berlin), le livre tourne autour de ce sujet : la télé. Il multiplie les piqués et les loopings, s'interrogeant avec pertinence sur nos rapports compliqués avec le petit écran : la honte, l'addiction, le regard passif... Au fond, tout le monde semble en parler, et personne ne la regarde vraiment... ou l'inverse !

Neige
7.2

Neige

Sortie : décembre 2000 (France). Roman

livre de Maxence Fermine

Behuliphruen a mis 6/10.

Annotation :

Une toute petite chose... Ça joue peut-être un peu trop la carte "japonisante", jusque dans la forme, qui évoque le haïku. Donc quelques clichés, quelques paradoxes éculés (le poète aveugle qui "voit" plus que le voyant), toutefois traités avec suffisamment de légèreté pour convaincre. Finalement la beauté minimaliste, tout en retenue, de ce conte sur l'amour, l'art, la transmission, m'a fait passer un moment agréable, à défaut d'être inoubliable - mais un peu de neige par ces chaleurs caniculaires, ça ne se refuse pas !

Le Tramway
7.4

Le Tramway (2001)

Sortie : 2007 (France). Roman

livre de Claude Simon

Behuliphruen a mis 8/10.

Annotation :

A eu le grand mérite de me permettre de reprendre contact avec Claude Simon, peut-être par un chemin plus abordable que La Route des Flandres (que j'ai déjà tenté, en vain, à deux reprises...). Les fragments de souvenirs s'entrechoquent dans ce cours récit autobiographique. Les voix alternent, renvoyant à des temporalités différentes, et suivent les chemins détournés de la mémoire grâce à de longues phrases, rythmées par le jeu des incises et des parenthèses. Cela provoque une sensation particulière, très agréable : l'impression de nager dans un fleuve de souvenirs, en se laissant bercer par le courant - et par le rythme d'une langue qu'on a sans cesse envie de lire à haute voix.

La Route des Flandres
7.4

La Route des Flandres (1960)

Sortie : 1960 (France). Roman

livre de Claude Simon

Behuliphruen a mis 7/10.

Annotation :

Ouf ! Après deux essais infructueux, je viens de terminer La Route des Flandres ! Et je dois dire que finir le livre fut plus difficile que de m'y atteler car, finalement, on s'habitue assez vite à l'écriture de Claude Simon. Sur le plan de la technique littéraire, c'est tout bonnement extraordinaire : Simon parvient à créer une forme inouïe pour exprimer la remémoration, dans tout ce qu'elle suppose d'irrationnel, de tortueux, d'ample, de précis et d'incertain. On a à la fois l'impression d'être devant une succession de tableaux (grâce à une langue très attentive aux détails) et dans un flot ininterrompu de souvenirs, qui s'entremêlent, se répondent, sont ressassés, avec une maîtrise presque impressionniste : la débâcle de 1940, une nuit d'amour, une course de chevaux, la mort d'un ancêtre...
Le 7 s'explique par une petite lassitude à la fois devant le procédé et devant l'essoufflement du récit, de l'"intrigue", si tant est que ce mot ait un sens ici. Je reste admiratif devant l'art de Claude Simon, et il est pleinement parvenu à rendre ce qu'il souhaitait rendre, mais je crois que ce procédé ne peut que laisser le lecteur à distance - enfin ce fut mon cas, hélas un peu trop souvent.

L'Élève
7.4

L'Élève (1891)

et autres nouvelles

The Pupil

Sortie : 1891. Recueil de nouvelles

livre de Henry James

Behuliphruen a mis 7/10.

Annotation :

Après Portrait de femme lu en début d'année, je poursuis ma découverte de James par cette nouvelle d'à peine 100 pages, qui relate la rencontre entre un jeune précepteur, Pemberton, et Morgan Moreen, un enfant extraordinairement intelligent et lucide, né dans une famille étrange, bohème, désargentée mais qui cherche à sauver les apparences. James explore les rapports entre ces trois personnages : Pemberton, Morgan et les Moreen : honte, mépris, attachement, crainte... Toutes les passions couvent sous l'écriture parfaite de James, avec l'ironie et le pessimisme déjà à l'oeuvre dans Portrait de femme, doublés ici d'un admirable sens de la concision.

Arbres d'hiver
7.5

Arbres d'hiver

précédé de La Traversée

Sortie : 12 octobre 1999 (France). Poésie

livre de Sylvia Plath

Behuliphruen a mis 5/10.

Annotation :

Non, hormis quelques belles exceptions, cette poésie ne m'a pas vraiment touché... Certes, il y a de beaux poèmes, surtout dans le premier recueil, "La Traversée", remplis d'images étonnantes, où l'eau et le minéral occupent une grande place.
Dans "Arbres d'hiver", sa poésie se condense, devient plus allusive, et je pense que la traduction peine à rendre cette concision. De manière générale, beaucoup de textes sont volontiers hermétiques, et en même temps, assez prosaïques, formant une oeuvre torturée, nerveuse, obsédée par les thèmes de l'absence, de la stérilité, de l'avortement. Le ton un peu sarcastique de certains poèmes ne rend pas leur lecture plus plaisante, même s'il faut signaler que les textes originaux (reproduits dans cette édition), sont remplis de jeux d'échos, de rimes intérieures et d'allitérations que, là encore, la traduction peut difficilement restituer.

Les Enfants Tanner
8

Les Enfants Tanner (1907)

Geschwister Tanner

Sortie : 1985 (France). Roman

livre de Robert Walser

Behuliphruen a mis 10/10.

Annotation :

Curieusement, j'ai trouvé ce livre assez inégal. Je dis "curieusement", car le récit avance sur un rythme léger, régulier : c'est un livre d'une humeur égale. Pourtant, certaines pages m'ont paru agaçantes, quand d'autres m'ont vraiment ému. Un livre étrange, singulier (apparemment autant que son auteur) qui me laisse donc une impression mitigée.
Ça commençait bien, mais le potentiel subversif de ce personnage marginal, vagabond, tendre et franc, n'est pas assez exploité et tombe parfois dans une sorte de mièvrerie (le mot est un peu fort) étonnante. J'ai été plus d'une fois gêné par le manque de distance entre le narrateur et cette naïveté, voire cette sensiblerie, (voire cette niaiserie) du personnage principal (et pour cause, puisque Robert Walser y a mis une grande part de lui-même). La forme, aussi, m'a paru un peu inégale : certains monologues m'ont captivé, d'autres m'ont ennuyé.
Et à côté de cela, certaines pages sublimes, déchirantes : le monologue de Simon sur l'amour, adressé à Klara, les dernières pages... Et puis cette sorte de candeur un peu désespérée se révèle, quand on referme le livre, assez attachante (et même de plus en plus).

Reverberator
7.9

Reverberator (1888)

Sortie : 1888. Roman

livre de Henry James

Behuliphruen a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

On continue Henry James avec ce roman assez court, visiblement plutôt secondaire dans sa production. Pas un de ses grands livres, donc, mais un coup de cœur pour cette comédie assez légère en apparence. Où on retrouve finalement tout l'art de James, que je découvre peu à peu. La confrontation entre l'Amérique libre et l'Europe compassée (opposition rendue ambiguë par la mise en scène de familles américaines européanisées), son style exquis, son art de la construction et sa maîtrise de l'ellipse, sa démarche à la fois très logique, rigoureuse, et pleine d'ironie. Car on sourit souvent à la lecture de "Reverberator", plein de métaphores étonnantes et de personnages cocasses, ce qui, à mon sens, relativise largement l'idée d'un réalisme psychologique neutre, objectif, "naturaliste". Et puis, juste à la fin, cette histoire d'amour et de mariage se révèle tendre et touchante.

Daisy Miller
7.2

Daisy Miller (1878)

Sortie : 1878. Roman

livre de Henry James

Behuliphruen a mis 8/10.

Annotation :

"Portrait de femme" concentré en 100 pages et quatre chapitres, comme quatre actes d'une tragédie annoncée, qui s'ouvre pourtant sous l'apparence d'une comédie de mœurs légère. J'ai trouvé cela admirablement mené : l'aisance de James est tout aussi admirable dans le roman que dans la nouvelle. Je ne vais pas répéter ce que j'ai dit plus haut à son sujet, car on retrouve dans cette "Daisy Miller" les thèmes et les figures de style propres à son auteur. Le conflit entre la vie rêvée et la pragmatique réalité est ici à son comble, exposé avec une ironie constante. Juste un aperçu : "Tandis qu'il demeurait là [au Colisée], il se mit à murmurer les célèbres vers du Manfred de Byron ; mais avant d'avoir terminé sa citation, il se souvint que si les méditations nocturnes au Colisée sont recommandées par les poètes, elles sont déconseillées par les médecins. L'atmosphère historique était là, indubitablement ; mais l'atmosphère historique, considérée d'un point de vue scientifique, n'était guère qu'un miasme perfide".

Une ténébreuse affaire
7.4

Une ténébreuse affaire (1841)

Sortie : 1841 (France). Roman

livre de Honoré de Balzac

Behuliphruen a mis 6/10.

Annotation :

J'avoue un certain a priori avant de me lancer dans Balzac (oui, je ne l'avais jamais lu auparavant). Ce livre ne m'a pas procuré un plaisir extraordinaire, mais je n'ai finalement pas détesté. Et pourtant, la présentation des protagonistes de cette "ténébreuse affaire" est plutôt confuse (et je n'ai d'ailleurs toujours pas saisi tous les liens entre les personnages...). La lecture de la deuxième partie fut assez laborieuse elle aussi, mais j'ai bien aimé le troisième chapitre, celui du procès, qui, à ma surprise, m'a tenu en haleine : le récit s'enflamme enfin. Et s'il faut reconnaître l'art de Balzac de greffer la fiction sur le récit historique, la petite sur la grande histoire, de brosser personnages et événements, je suis resté plutôt insensible à ce roman, à son style, à son rythme.

Ada ou l'Ardeur
8.3

Ada ou l'Ardeur (1969)

Ada or Ardor: A Family Chronicle

Sortie : 1975 (France). Roman

livre de Vladimir Nabokov

Behuliphruen a mis 9/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

Une fois Ada refermé, le doute s’installe. Qu’a-t-on lu, exactement ? Une « chronique familiale », comme l’indique, avec une pointe d’ironie, le sous-titre ? Une histoire d’amour interdit et incestueux ? Le récit d’un rêve ? Un essai sur la perception du temps ?

Le postulat de cet épais roman est pourtant simple. Au fil de cinq parties de plus en plus brèves – comme si le présent s’effaçait devant la dilatation des souvenirs – le narrateur, Van Veen, âgé de 97 ans, revient sur sa vie, particulièrement sur sa relation avec Ada, sa cousine (qui est en fait, comme il le suggère très tôt, sa demi-sœur). Le livre s’ouvre sur leur rencontre, puis leur idylle adolescente dans le monde enchanté du manoir d’Ardis. Le style chatoyant mais extraordinairement allusif (parfois jusqu’à l’hermétisme) de Nabokov sied à merveille à ces chapitres voluptueux et brillants. Puis les choses vont se compliquer pour les deux amants…

J’ai parcouru Ada comme un rêve, étonné, séduit, dérouté, épuisé, enthousiasmé… Le livre lui-même ressemble à un rêve, en constant décalage par rapport à la réalité : nulle psychologie ni souci de réalisme, d’autant plus que l’intrigue se déroule sur une planète parallèle à la nôtre, baptisée « Anti-Terra ». Le récit est ainsi parsemé de reflets, d’échos, de trompe-l’œil, de jeux de mots polyglottes et d’allusions plus ou moins cachées à d’autres livres. En fait, il en est même entièrement tissé, ce qui le rend si déroutant : rien ne renvoie jamais à une quelconque réalité extérieure au livre. Nabokov n'a contracté aucune dette envers le réel, il est par exemple impossible de s'identifier à l'un de ses personnages. Le roman tient par miracle, et tient du miracle : il ressemble à une de ces billes d'agate, à l'éclat trompeur, qui semblent enfermer des volutes infinies.

Pour autant, Ada n'est pas un "joyau", poli et parfait, c'est bien plutôt une oeuvre dense, profuse, longue, inégale, parfois impénétrable, mais dont la lecture n'en demeure pas moins une aventure inoubliable, enchanteresse. Passé et présent se mêlent, le récit à la troisième personne glisse parfois vers le « je », les passages d’un lyrisme déchirant côtoient les descriptions de l’uchronie « anti-terrienne », les scènes grotesques ou parodiques : le plaisir qu’a pris Nabokov à mener cet exercice de style saute aux yeux à chaque page – et n’a d’égal que la jubilation du lecteur, ébahi et ébloui.

La Pierre et l'oreiller
6.3

La Pierre et l'oreiller

Sortie : 1955 (France). Roman

livre de Christian Dotremont

Behuliphruen a mis 5/10.

Annotation :

L'unique roman (d'inspiration autobiographique) du poète et artiste belge Christian Dotremont, l'un des principaux animateurs du mouvement Cobra, est une histoire d'amour et de maladie. Un récit à la première personne, qui ne manque ni de poésie, ni de sensibilité, ni d'humour. En dépit de merveilleux passages et de très jolies trouvailles (il y a plein de passages qu'il faut que je note !), il m'a cependant assez vite lassé, et j'ai eu du mal à le finir. Je suis donc un peu embêté pour le noter et le commenter, je ne sais pas trop par où pêche Dotremont ; peut-être que le récit manque de fluidité, est trop théorique, diffus, filandreux quand il cherche à montrer que la religion, les opinions politiques, la littérature, ne sont que des "ersatz", des "masques pour la catastrophe" : un jeu un peu dérisoire pour dissimuler la tristesse de notre condition... Il tourne un peu en rond avec son symbolisme redondant de la "tache", du "trou" - il y a peut-être quelque chose d'un peu daté, aussi, quand il convoque le communisme et le surréalisme...

Bonjour tristesse
7

Bonjour tristesse (1954)

Sortie : 15 mars 1954. Roman

livre de Françoise Sagan

Behuliphruen a mis 7/10.

Annotation :

L'écriture classique, d'une élégance un peu sèche mais délicate, convient à merveille au récit, empreint de lassitude et de langueur, de cet été singulier. Cette voix comme en sourdine parle d'indécision, de solitude, de cette "soie, énervante et douce", qui "sépare des autres". Le mal-être diffus, de la fin de l'adolescence, est décrit avec une acuité mélancolique. Cela repose sur presque rien : c'est ce qui en fait le charme, assurément, mais cette évanescence est aussi, parfois, un peu anodine, et n'empêche pas toujours l'attention du lecteur de glisser. Mais enfin, le dernier chapitre est très beau, et me ferait presque passer ma note à 8 !

Les Caves du Vatican
7

Les Caves du Vatican (1914)

Sortie : 11 août 2014 (France). Roman

livre de André Gide

Behuliphruen a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

Les caves du Vatican est un livre très étonnant. Souvent déroutant, d’un humour tantôt ironique tantôt grotesque, il met en scène une drôle histoire de duperie : des escrocs cherchent à soutirer de l’argent au nom d’une croisade pour aller libérer le pape, prétendument emprisonné. Autour de cette intrigue centrale, Gide déploie une dizaine de personnages que, onze ans avant la parution des Faux-monnayeurs, il fait se croiser et se recroiser, au mépris de toute vraisemblance.
Ce roman, Gide le fait se détraquer un peu, en glissant, au milieu d’une suite d’actions logiquement enchaînées, l’inconséquence d’un personnage fantasque, imprévisible et, surtout, d’une totale liberté : Lafcadio. C’est lui qui va introduire, dans cette machine bien huilée, du « jeu » – dans tous les sens du terme : autant l’activité ludique et gratuite que l’espace de liberté, la facilité de mouvement.
Gide se penche alors (et c’est passionnant) sur cette faille dans le cours rationnel des événements, en s’interrogeant sur les motifs qui nous poussent à l’acte, sur les causes de nos actions, bref, sur les ressorts de notre liberté individuelle, à l'exercice de laquelle presque tous les personnages seront confrontés. Mais il ne s’agit pour eux, finalement, que d’échanger, sur la scène des relations sociales, un masque contre un autre…
Tout cela fait des Caves du Vatican un roman très agréable à lire, surprenant, drôle et qui, par son goût baroque pour la liberté et les masques, finit par se subvertir lui-même .

Behuliphruen

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