Les livres - 2024

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Recueil de souvenirs, courts textes restituant avec une grande acuité et une profonde sensibilité quelques lieux parisiens où Eugène Dabit a passé son enfance, puis son adolescence et les premières années de sa jeunesse : le quartier des Grandes-Carrières, Montmartre, Belleville et Ménilmontant - puis une échappée du côté de la campagne, à Montlhéry.
Déploration sur les mutations d'une ville dont la forme change plus vite que le cœur des hommes : les hauteurs bucoliques du nord-est parisien défigurées par l'urbanisation, la "zone" où le jeune Eugène partait en exploration, débusquant les "romanichels" dans leurs abris de fortune, observant les jardiniers du dimanche, devenue ceinture de HBM (où"l'on fait bon marché des vies"). Ces instantanés constituent d'extraordinaires documents de la vie des marges populaires de Paris : les odeurs aigres du métro, les ruelles sordides de la Villette, le long du canal, les fumées, le bol d'air endimanché aux Buttes-Chaumont. On découvre aussi que les navetteurs existaient déjà, faisant quotidiennement le trajet entre Paris et les vallées de l'Essonne, qui se couvrent alors de pavillons. Époque de transition, où les autobus et les voitures à cheval se côtoient sur les routes du sud parisien, pour approvisionner la capitale.
Le ton descriptif, presque télégraphique par moments, retient mal la rage sourde de textes qui sont aussi des hommages à la geste de la Commune, toujours vive à Ménilmontant, et des documents engagés sur la misère de vies emmurées, asphyxiées, mais qui, les soirs de résultats électoraux, se rendent en masse, les poings serrés, à Jules-Joffrin, devant la mairie du XVIIIe...

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Un 7 un peu généreux - mais il est difficile de bouder son plaisir : ce petit roman se dévore avec enthousiasme, et le plus souvent le sourire aux lèvres. L'idée de départ est excellente, d'autant plus qu'à ma connaissance peu de textes de fiction se sont emparés du thème de la patrimonialisation. C'est habilement construit, sur fond de débat sur le culte des monuments, l'extension continue de la notion de patrimoine, et les "arbitrages budgétaires"... Au final, un plaidoyer malicieux pour "l'émotion patrimoniale", un regard plein de tendresse pour ces chantiers perpétuels que sont les cathédrales : "ici, l'œil est à la joie. Une des tours a son chapeau, l'autre non ; derrière, pointe une flèche. Et au total, ça va, c'est peu dire. C'est le hasard, et c'est heureux. C'est extravagant et exquis". Voilà qui contraste avec la sécheresse du regard de comptable exténué posé par cet attachant Tuffeau, directeur du Patrimoine au Ministère de la Culture, qui a déjà passé le burn-out depuis longtemps et ne sait plus rien voir : ni la beauté inattendue de ces monuments, ni le piège dans lequel il donne tête baissée. "J'ai toujours pensé qu'en France, on entre dans la fonction publique par peur du monde, et pour s'en protéger"... De cette comédie enlevée et intelligente, on attend l'adaptation cinématographique, signée Nicolas Pariser avec Anaïs Demoustier dans le rôle d'... Anaïs !

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Le cas de Suzanne, nymphette nabokovienne au destin transatlantique dont il s'agit de restituer la biographie fragmentaire, a réuni le gratin d'un certain roman français - même si différentes chapelles se retrouvent joyeusement ici : Le Seuil, Minuit, P.O.L et l'Oulipo, grossies de deux apports étatsuniens. Ouvrage collectif donc, éclaté : un bouquet de proses de haut vol, aux tons toujours très singuliers et où chaque auteur, semble-t-il, a cherché à travailler, peut-être parfois (je pense à Rolin) à surjouer, sa "patte". Ce jeu fragmentaire séduit donc par la préciosité ironique de ce travail de diamantaire - chacun taillant une facette de ce personnage fuyant - mais aussi, comme toujours, par les intervalles, les écarts, les béances entre les morceaux du puzzle. C'est-à-dire là où réside le mystère de l'élaboration de cette drôle de machinerie littéraire. Si les pièces s'emboîtent bien entre elles, grâce aux habiles jeux de renvois et d'allusions, qui exigent une certaine attention de la part du lecteur, pris à témoin du jeu littéraire qui se joue devant ses yeux, subsiste toujours une impression de flottement, d'indécision, qui ne contribue pas peu non plus au plaisir dudit lecteur.

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Une année dans la vie d'un de ces personnages typiquement walsériens : un commis aux écritures solitaire, dont l'existence oscille entre la soif inassouvie de liberté et la joie ambigüe et un peu perverse qu'il y a à servir, à être attaché à autrui. Deux désirs comme deux contrepoids qui maintiennent le jeune Joseph Marti en équilibre, sur un fil - tout comme l'écriture de Walser avance sur un fil ténu, jamais à l'abri de sautes malicieuses, d'envolées lyriques tout juste trop exaltées pour laisser entrevoir ce gouffre béant que l'on sait être celui de la folie, et qui engloutira Walser. On est donc, dans ce deuxième roman (le moins connu, peut-être en raison d’une première traduction qui, apparemment, servait mal l'original), en terrain familier. N'y manquent pas non plus les longues marches, la joie à s'accorder aux variations des saisons (ou à les éprouver rudement), les personnages féminins, anges gardiens et altiers, sévères, que le narrateur, dans son trouble, irrite, provoque, adule : cette petite musique à la fois dégagée et tellement à vif, cette espèce de tendance à l'éblouissement, de tentation de l'égarement. Pourtant, c'est sur le mode mineur que le roman semble rejouer ces motifs walsériens, et l'on ne peut s'empêcher de songer, à travers les lignes, aux Enfants Tanner, plus profond et plus déchirant, ou à l'écriture plus saisissante des courtes proses.

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Il y aurait mille et une raisons de détester ce livre, tant par sa forme un peu lâche (parcours oblique à travers une vie d'écrivain et de voyageur) que par la posture de Rolin, bourlingueur boomer sur le retour - mais des faiblesses de son livre et du regard un peu dépassé qui est le sien, il a conscience et le confesse, ce qui le rend plus souvent sympathique qu'agaçant. On le devine timide, ours nostalgique facilement attendri et secrètement émerveillé par les chatoiements de la réalité, l’infini mouvement du monde. L'homme se révèle donc finalement attachant et on aurait tort de bouder son plaisir, surtout devant les nombreux bonheurs d'écriture, la beauté d'un style élégant, la force des évocations, sans tambour ni trompette et légèrement mélancoliques, des bouts du monde qu'il a parcourus, seul ou accompagné, et des auteurs qu'il aime, de Nabokov à Durrell. L'humilité, l'ironie attachante, le lyrisme tempéré tranchent avec le ton d'autres écrivains voyageurs, et désamorcent finalement les prévenances que l'on pouvait nourrir à son égard. Le plus émouvant, c’est ce désir d'aller voir qui se révèle à chaque page (dans son double sens : désir du visiteur comme celui du voyeur), et qu'il assouvit par la justesse et la précision de ses descriptions, celles des lieux comme celle des visages, aimés, ou juste croisés.

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