Nicholas Ray - Commentaires
Ces films me font percevoir un poète tourmenté et inquiet, quelque part entre Stroheim et Sternberg, qui puise son inspiration dans l’angoisse existentielle, le feu de la passion, les tourments de l’être humain, complètement en marge du classicisme hollywoodien qui lui est contemporain.
12 films
créée il y a plus de 12 ans · modifiée il y a plus de 3 ansLes Amants de la nuit (1948)
They Live by Night
1 h 35 min. Sortie : 15 juillet 1951 (France). Policier, Film noir, Romance
Film de Nicholas Ray
Thaddeus a mis 6/10.
Annotation :
Un garçon à peine sorti d’une adolescence difficile, mû par d’impétueux désirs de liberté ; une fille de son âge, douce et fragile, prête à le suivre jusqu’au bout du monde et de la nuit. Un hold up, des complices pourris et inquiétants, une cavale éperdue, nourrie de faux espoirs, la fatalité au bout du périple : motifs immuables du film noir, que Ray colorie de son anticonformisme, de son goût de la révolte et de son aptitude à saisir l’épiderme des choses. Il y a ici une forme de croyance en l’état d’innocence des amants-enfants qui provoque chez le spectateur un étonnant sentiment d’intrusion. Mais, si déjà ce premier film brûle du romantisme tourmenté et secret si typique de son auteur, il souffre néanmoins de quelques lacunes : fiévreux mais un peu brouillon, écorché mais un poil trop déséquilibré.
Le Violent (1950)
In a Lonely Place
1 h 34 min. Sortie : 8 juin 1951 (France). Drame, Film noir
Film de Nicholas Ray
Thaddeus a mis 7/10.
Annotation :
Portrait d’un écrivain schizoïde soupçonné de l’assassinat d’une femme, qui permet au réalisateur de dépeindre le milieu hollywoodien et de reproduire la relation ambiguë de l’individu avec la société. Démarré sur les rails d’un film noir classique, avec meurtre à élucider et héros flegmatique à l’humour narquois (Bogart, ad hoc), le récit prend rapidement la tangente pour offrir quelque chose de plus intime, de plus douloureux. Très inspiré par les béances inquiétantes de son protagoniste, Nicholas Ray problématise la question de la crise conjugale à travers un drame de la séparation que l’on devine profondément personnel (il offre le rôle féminin à l’excellente Gloria Grahame, son ex en devenir). D’où les éclats de vérité et le désarroi sourd de ce beau film de regrets et de désillusions.
La Maison dans l'ombre (1951)
On Dangerous Ground
1 h 22 min. Sortie : 20 juin 1952 (France). Drame, Film noir
Film de Nicholas Ray et Ida Lupino
Thaddeus a mis 7/10.
Annotation :
Le titre français du précédent opus aurait pu servir pour celui-ci : la brutalité des rues new-yorkaises déteint sur le protagoniste, flic aux méthodes expéditives en quête d’une contrition impossible., et qui aurait pu être de l’autre bord si le destin de la roulette sociale l’avait voulu. Nicholas Ray applique au polar urbain sa méthode, cotonneuse, alanguie, avant d’expédier le récit dans une province enneigée où se cache un angelot meurtrier, déchiré entre des pulsions incontrôlables et la douceur de sa sœur aveugle. En poétisant la confrontation au regard de l’autre, la réversibilité et l’ambivalence mystérieuse de la culpabilité et de l’innocence, les vertus de l’amour salvateur enfin, le cinéaste développe une tonalité brumeuse, presque onirique, qui offre à ce beau film toute sa singularité.
Les Indomptables (1952)
The Lusty Men
1 h 53 min. Sortie : 21 août 1953 (France). Western, Drame
Film de Nicholas Ray
Thaddeus a mis 7/10.
Annotation :
Les hommes défient la mort afin de pouvoir s’acheter un foyer, se convaincre qu’ils valent quelque chose, ou juste se prouver qu’ils existent encore. Rattrapés par l’ivresse de l’argent, du risque et de la gloire, certains ont oublié ce en quoi ils avaient prêté serment autrefois, lorsqu’ils ne vivaient pas dans l’ombre de leur succès. Les femmes trinquent, étouffent de dépit et d’angoisse, trouvent néanmoins la force de rappeler à leurs époux ce qu’ils se sont promis. Marginaux, gueules cassées, groupies, nomades peuplent cette tranche d’Americana où une poignée de désaxés avant l’heure suivent la route sinueuse de leur prise de conscience, cet étonnant document sur le monde séduisant et dangereux du rodéo, institution nationale qui vend du spectacle en épuisant les rêves de ceux qui le font.
Johnny Guitare (1954)
Johnny Guitar
1 h 50 min. Sortie : 10 novembre 1954 (France). Western, Drame, Romance
Film de Nicholas Ray
Thaddeus a mis 8/10 et a écrit une critique.
Annotation :
Ici les hommes s’appellent "monsieur" avant de se battre ou se tirer dessus, et les femmes poursuivent un duel à mort dans un salon incendié et infernal, au pied d’une potence ou jusque dans un repaire de montagne. Le western était déjà une chanson de geste ; Nicholas Ray en fait un chant d’amour et de folie. Dominante baroque des couleurs rouge, noir et jaune vif, stylisation des décors, traitement allégorique d’une intrigue qui opère, autour de l’affrontement entre deux femmes (l’une puritaine et conservatrice, l’autre progressiste et indépendante), une lecture de l’évolution sociale américaine : cette œuvre flamboyante prend des allures de psychodrame lyrique, aux accents passionnels et désenchantés, flirtant constamment avec l’irréalisme féérique. Une date incontestable dans l’histoire du genre.
Top 10 Année 1954 : http://lc.cx/Zwkz
La Fureur de vivre (1955)
Rebel Without a Cause
1 h 51 min. Sortie : 28 mars 1956 (France). Drame
Film de Nicholas Ray
Thaddeus a mis 8/10.
Annotation :
Florissante et sûre d’elle-même, incapable de prendre la mesure du mal-être de la jeunesse, l’Amérique triomphante est épinglée par Ray en un superbe poème des passions naissantes, de la communication douloureuse et d’une adolescence écorchée, victime d’une société qui confond éducation et dressage, apprentissage et dogmatisme du prêt-à-penser. La technique intuitive et condensée du cinéaste, son expérience sensible des traumatismes, sa nervosité fébrile et naturelle font merveille et insufflent une fougue brûlante à ce roman d’amour. Empreint d’un lyrisme fiévreux qui s’épanche en de superbes séquences (en premier lieu celle du planétarium, avec son interrogation presque cosmique), le film doit évidemment beaucoup à Natalie Wood et au petit Jimmy, dont ce fut la consécration.
Derrière le miroir (1956)
Bigger than Life
1 h 35 min. Sortie : 13 février 1957 (France). Drame
Film de Nicholas Ray
Thaddeus a mis 8/10.
Annotation :
Une banlieue pavillonnaire aux vies bien rangées, un professeur de collège heureux marié à une épouse à croquer et père d’un charmant garçon : le rêve américain. Ray le filme dans son bonheur lisse et propret, ses couleurs qui flamboient, la netteté de sa réussite, pour mieux le faire voler en éclats. Car la psychose qui s’empare de James Mason, son addiction aux drogues médicamenteuses, ne font que dévoiler la folie contenue dans un ordonnancement qui se lézarde, le lent écoulement d’un poison asphyxiant, les pulsions longtemps réprimées au sein d’un système social normatif et étouffant. Avec cette analyse d’une aliénation mentale, le cinéaste fait coup double : il nous dresse les cheveux à l’intérieur de la tête et dévoile l’envers pathologique d’un monde bourgeois clos sur lui-même.
Jesse James, le brigand bien-aimé (1957)
The True Story of Jesse James
1 h 32 min. Sortie : 3 juillet 1957 (France). Western, Drame, Biopic
Film de Nicholas Ray
Thaddeus a mis 7/10.
Annotation :
L’histoire vraie de Jesse James, proclame le titre original. Sans aller aussi loin, le cinéaste souhaitait sans doute gagner en vérité et en réalisme, s’affranchir de l’hagiographie, d’autant que le thème de la jeunesse en révolte recoupe ses films précédents. S’il embellit les figures des deux frères bandits, il le fait avec un certain recul et n’omet pas de rappeler périodiquement que la rébellion légitime de leurs débuts s’est mutée en banditisme pur et simple. Il anticipe aussi sur "Le Gaucher" d’Arthur Penn en montrant comment les médias naissants forgent la légende à mesure que leur comportement perd tout idéalisme. Autant de qualités à porter au crédit d’un film certes perfectible (la chronologie éclatée ne trouve aucune justification logique) mais qui annonce les westerns crépusculaires des années soixante.
Amère victoire (1957)
Bitter Victory
1 h 42 min. Sortie : 20 novembre 1957 (France). Drame, Guerre
Film de Nicholas Ray
Thaddeus a mis 6/10.
Annotation :
Étrange film de guerre, sec, décharné, assez théorique. Les personnages s’y opposent selon les règles manichéennes du blanc (le capitaine Leith) et du noir (le major Brand), insistant en cela sur la distinction entre militaire de carrière et soldat d’occasion qu’"Attaque !" d’Aldrich contenait avec une autre adresse. Certes la nature y a une certaine existence, on y voit le soleil, la soif, la fatigue, la douleur retarder la progression difficile du commando dans les dunes libyennes, et certains passages d’une sobre grandeur entretiennent l’intérêt (Richard Burton restant en arrière avec les blessés pour les achever). Mais si l’on retrouve parfois des échos de T.E. Lawrence dans ce portrait d’archéologue nihiliste et aventureux, la réflexion sur le courage et la lâcheté s’enlise dans certains symboles trop voyants. Mineur.
La Forêt interdite (1958)
Wind Across the Everglades
1 h 33 min. Sortie : 18 février 1959 (France). Aventure, Drame, Romance
Film de Nicholas Ray et Budd Schulberg
Thaddeus a mis 8/10.
Annotation :
On pourrait qualifier cette œuvre de tellurique tant elle semble aux prises avec les éléments premiers de l’univers : joncs méandreux et arbres centenaires, oiseaux colorés, rivières endormies et miasmes entêtants d’un lieu superbe et inquiétant, refuge pour tous ceux qui se sentent en marge d’une société mercantile. Un garde-chasse écolo et un braconnier attifé comme un pirate, portant un serpent en guise de collier, y font évoluer les notions de bien et de mal, de brutalité et de civilisation, s’affrontent et se défient jusqu’à fraterniser dans une même soumission aux splendeurs cruelles de la nature. À en croire le producteur et scénariste, Ray participa peu au tournage. Qu’importe : la diffuse et sauvage poésie du film, sa beauté onirique en rupture avec les canons hollywoodiens s’imposent d’elles-mêmes.
Top 10 Année 1958 : http://lc.cx/Zw9w
Traquenard (1958)
Party Girl
1 h 39 min. Sortie : 9 mars 1960 (France). Policier, Drame, Film noir
Film de Nicholas Ray
Thaddeus a mis 7/10.
Annotation :
Recours aux tonalités or et rouge, sophistication confinant à l’onirisme, plastique baroque et flamboyante qui joue sur les ombres et les lumières dans un climat de crépuscule fait de vitres brisées, de confettis et de serpentins défraîchis, de guirlandes bancales, de lanternes ocres, de poupées en papier mâché : à nouveau le style de l’auteur, qui s’affirme plus que jamais comme un maître coloriste, est reconnaissable entre tous. Reconstituant un Chicago des années 30 corrompu jusqu’à la moelle, convoquant innocence et brutalité au sein d’une même réunion de fantômes, le cinéaste donne au film noir les accents d’un beau mélodrame sur la fragilité de la beauté, la quête de dignité et d’amour et l’impossibilité d’échapper à la violence généralisée sans lutter à un moment contre elle, même de façon ambigüe.
Les 55 Jours de Pékin (1963)
55 Days at Peking
2 h 34 min. Sortie : 7 août 1963 (France). Aventure, Drame, Historique
Film de Nicholas Ray
Thaddeus a mis 5/10.
Annotation :
Ce fut le dernier film du cinéaste, victime pendant le tournage d’un malaise cardiaque qui contraignit la production à le remplacer par Andrew Stanton pour de nombreuses séquences. Difficile de discerner sa personnalité dans cette superproduction appliquée qui revient sur la révolte des Boxers et le siège du quartier des légations à Pékin, au tout début du XXème siècle. Diluée, mâchée, déséquilibrée, étrangement montée, vaguement déplaisante dans son esprit plus ou moins colonialiste, l’entreprise ne tire pas non plus grand-chose de son trio de vedettes. Reste à se satisfaire du faste provocant de la logistique, d’un éloge plutôt pertinent de la coopération internationale, et d’une poignée de scènes émergeant du bain monotone du récit pour rappeler qu’un auteur de tempérament brûle ses ultimes feux.