On the row (2016)
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129 livres
créée il y a presque 9 ans · modifiée il y a environ 2 moisLa Fausse Maîtresse (1842)
Sortie : 1842 (France). Recueil de nouvelles
livre de Honoré de Balzac
Chaiev a mis 7/10.
Annotation :
L’univers balzacien est si bien construit, si foisonnant, si détaillé, oeuvre après oeuvre, qu’il lui permet parfois d’esquisser une nouvelle sans avoir à ressortir toute l’artillerie que nécessiterait un roman plus long, et qui étoufferait immanquablement les braises d’un sujet d’autant plus frappant qu’il parvient à rester ténu. Comme celui au coeur de cette courte histoire, relatant la supercherie à laquelle doit avoir recours le comte Thadée Paz pour ne pas trahir son ami de toujours. Mais Balzac pousse tellement loin l’anecdote, en refusant toute ornementation superflue, que son récit devient pratiquement une métaphore inversée : la fausse liaison inventée par Paz est si convaincante, si ressemblante, et si effective, qu’on en vient à suspecter les vraies aventures amoureuses de n’être elles aussi que de creuses chimères, sans relief, sans importance, ne laissant plus aux pauvres animaux mondains qui s’agitent sous les dorures parisiennes que le choix entre le mensonge de la chair ou le tragique des amours platoniques et contrariées.
Une fille d'Ève (1839)
Sortie : 1838 (France). Roman
livre de Honoré de Balzac
Chaiev a mis 6/10.
Annotation :
Il y a un petit côté Ozu chez Balzac : les personnages n’y sont pas assis en tailleur, et les trains ne filent pas dans le lointain, mais on observe le même principe de carousel qui fait passer à l’avant-plan des personnages croisés dans les coulisses d’autres romans. Evidemment ce sont dans les récits parisiens que Balzac s’adonne avec le plus de délectation à ce plaisir de démiurge, et d’histoire en histoire, on suit l’air de rien des personnages sur plus de vingt ans. C’est à la fois extrêmement plaisant (on a par exemple ici des nouvelles de Felix de Vandenesse, le jeune amoureux éploré du Lys dans la vallée, vieilli et marié), mais aussi un peu risqué, puisqu’un certain sentiment de « déjà-lu » plane sur ces scènes de la vie mondaine, variations politico-amoureuses parfois un peu répétitives malgré l’imagination débordante d’Honoré. A tel point débordante d’ailleurs, qu’on a l’impression qu’il a plus d’idées que de temps pour les développer, et Une fille d’Eve ressemble plutôt à un synopsis détaillé qu’à un roman à proprement parler. On y retrouve les obsessions balzaciennes - un amour pur qui tente de pousser sur un fumier composé d’un mélange acide de pouvoir, d’argent, et de médisance - mais le personnage central, Raoul Nathan, dont les mésaventures s’inspirent de celles d’Honoré lui même, est malheureusement un peu raté. Reste un très chouette finale où Balzac parvient à faire triompher l’amour conjugal sans tomber dans le moralisme béat.
« Au lieu de regarder Nathan quand on l’annonça, elle le contempla dans la glace, sûre que la maîtresse de maison se tournerait vers lui. Traqué comme il l’est dans le monde, l’amour est obligé d’avoir recours à ces petites ruses : il donne la vie aux miroirs, aux manchons, aux éventails, à une foule de choses dont l’utilité n’est pas tout d’abord démontrée et dont beaucoup de femmes usent sans s’en servir »
Le Déserteur (1973)
et autres récits
Sortie : 17 octobre 1973 (France). Recueil de nouvelles
livre de Jean Giono
Chaiev a mis 8/10.
Annotation :
Quatre récits, écrits comme au fil de la plume, qui permettent de passer quelques heures en compagnie de Jean, ce qui est toujours un grand plaisir. Qu’il nous raconte la vie d’un fuyard réfugié dans les montagnes suisses en 1850, qu’il détaille son amour pour les pierres, qu’elles soient brutes ou architecturées, ou qu’il évoque ses souvenirs d’enfance autour de l’huile d’olive, on baigne dans un bonheur simple, solide, fait avec quelques fibres de légère ironie et un sens de l’observation qui est surtout affaire d’éthique. Le recueil se termine en feu d’artifice avec Le grand Théâtre, monologue paternel sur le toit terrasse de la maison familiale par une nuit étoilée, relecture faramineuse de la destinée humaine en moins de 40 pages, comme seul Giono en a le secret.
« Et voilà l’univers que nous connaissons ! dit-il. Je ne parle pas du monde, c’est à dire de la terre, car nous sommes tellement différent, toi et moi, bien que tu sois mon fils, que nous serions surpris — peut-être jusqu’à la haine — si nous confrontions les connaissances personnelles que nous en avons. On a beau s’aimer, on ne transige avec personne sur les chemins qu’on prend pour se débrouiller de l’illusion. Mais voilà l’univers, et il n’a qu’un visage, comme tout ce qui n’existe pas. »
Altesses (1917)
Fürstinnen
Sortie : 1917 (Allemagne). Roman
livre de Eduard von Keyserling
Chaiev a mis 8/10.
Annotation :
Des châteaux, des arbres, des robes, des étangs, du soleil, des fleurs, et des couleurs, des couleurs, des couleurs. Keyserling est le maître du réemploi, obsessionnel et fascinant. Tout à la fois impressionniste, pointilliste, fauve et cubiste, le bon Eduard reprend la même laine pour en faire une nouvelle tapisserie où se mêle la mélancolie, la fougue, la déception, l’espoir brisé et les fugaces consolations que peut apporter le spectacle de la Nature. Prose, théâtre, poésie tout à la fois, fondus en un récit dont la transparence apparente laisse deviner des zones d’ombre noire, les histoires de Keyserling sont presque plus belles encore d’être ainsi totalement oubliées.
Le Perce-oreille du Luxembourg (1928)
Sortie : 1928 (France). Roman
livre de André Baillon
Chaiev a mis 7/10.
Annotation :
Dix ans ont passé depuis Zonzon Pepette, dix ans un peu erratiques pour Baillon, qui s’est fait une (toute) petite place dans le monde des lettres, mais sans parvenir à s’intégrer dans le monde compassé des adultes responsables. Aller-retours entre la campagne et la ville, la Belgique et Paris, Germaine et Marie, le tout entrecoupé de séjours en hôpital psychiatrique. Si le Perce-oreille n’est pas à proprement parler un roman autobiographique, il s’inspire néanmoins de cette instabilité psychologique de façon discrète et émouvante, puisque le narrateur est lui-aussi enfermé dans un asile et revient sur les événements qui ont entrainé sa « décompensation ». Récit doux amer d’une vie qui lâche une à une ses amarres, lentement mais sûrement : on sent peu à peu le bois du bateau se fendiller, l’eau du délire s’immiscer dans la carcasse fragile, et le monde réel vaciller. Comme un long rêve dont on n’arrive pas à se réveiller, le naufrage de Marcel est à la fois dérisoire et inéluctable, tragique et presque drôle, raconté d’une plume légère qui finit pourtant engluée dans le pire des goudrons.
De la séduction (1979)
Sortie : 1979 (France). Essai
livre de Jean Baudrillard
Chaiev a mis 8/10.
Annotation :
« Le secret de la séduction est dans cette évocation et révocation de l’autre, par des gestes dont la lenteur, dont le suspense est poétique comme l’est le film d’une chute ou d’une explosion au ralenti, parce que quelque chose alors avant de s’accomplir a le temps de vous manquer, ce qui constitue, s’il en est une, la perfection du désir ».
Dès ses premiers écrits, Baudrillard avait trouvé sa voix - sa voie ? : sinueuse et pourtant tendue, insinuante et pourtant très claire, fouilleuse, explorante, palpante, tonitruante par moment, plus susurrante à d’autre, son style d’écriture et de pensée (ici comme chez tout grand littérateur c’est la même chose) est affaire tactile, affaire sensuelle comme si l’on ne comprenait bien que par contact, caresses répétées, pression d’un côté pour estampage de l’autre. Dans tous les sens du terme, et jusqu’au terme des sens, Baudrillard est un penseur impressionnant.
Ici, la notion à circonscrire, fugace et secrète, est donc la séduction : art du faux semblant qui n’avance pas masqué, éclipse des signes par trop plein, défi sans fin si ce n’est celle de la mort, course à l’abime qui a pour principal motif de faire battre le coeur « pour rien », la séduction est un mode opératoire en voie de disparition dans un monde toujours plus sensible aux sirènes de la Production, activité normée et morne s’il en est, gouffre aux chimères dont le danger ultime est de n’en plus comporter, dont le but dernier est de faire du Réel un désert sans aspérité, et sans intérêt. Valeur vacillante dont la force est fragilité, déesse impitoyable et toute d’ambiguïté tressée, la séduction est pourtant la seule à pouvoir nous assurer de brûler avant de disparaître, histoire que le jeu en vaille un peu la chandelle.
Ema, la captive (1981)
Ema, la cautiva
Sortie : 1994 (France). Roman
livre de César Aira
Chaiev a mis 9/10.
Annotation :
A lire l’oeuvre d’un auteur à rebours, on peut parfois être soumis à d’impressionnantes surprises. Et à lire les romans plus tardifs de Aira, rien ne laissait présager une telle force, une telle maitrise du matériau romanesque, tant l’écrivain semblait surtout inspiré par les travers quotidiens et comiques de ses contemporains citadins. Avec Ema la captive, qui date de ses débuts, on est loin du théâtre ironique qui l’intéressera par la suite. Commençant comme un roman réaliste sur une troupe de renégats convoyés à travers les plaines argentines au XIXe siècle jusqu’à la ville de garnison de Coronel Pringles, le récit se transforme chapitre après chapitre, insensiblement, grâce à des redémarrages et des recentrages imperceptibles, comme pour mieux épouser les infimes mais profondes métamorphoses que son personnage principal va connaître au fur et à mesure de son implantation dans une société indienne aussi mystérieuse qu’indolente. Plus Ema s’enfonce dans les confins du pays, plus le roman se fait mythe, plus la phrase se fait chatoyante et pure, offrant au texte toute la simplicité d’un conte, toute la plénitude de l’allégorie, à l’image des Affinités Electives de Goethe, ou des Falaises de Marbre de Junger. Mais une allégorie du rien, une plénitude entièrement fait de vide, et finalement un roman qui tourne le dos à toute intrigue, épousant comme Ema la vie insouciante et bariolée de ces indiens éternellement adolescents qui ne font que boire, manger et se baigner dans le soleil éternel d’un pays à l’abri de toute modernité. Vaste comme l’oubli, blanc comme la neige, et d’une douceur amère, comme l’océan éternellement recommencé.
Théâtres du je
Sortie : 8 avril 2004 (France). Essai
livre de Joyce Mcdougall
Chaiev a mis 7/10.
Annotation :
Grâce à un mélange bien dosé entre questionnements théoriques et observations cliniques, Mc Dougall se fraie un chemin dans les coulisses des troubles psychologiques tout en respectant une certaine opacité inhérente au propos. Sans schématisme aucun, elle tente une approche plurielle de la psychose, de la névrose, du psychosomatique et de l’addiction, pour tenter de donner à voir à quel point toutes ces notions présentes depuis le début de la psychanalyse dans la boite à outil des praticiens sont plus enchevêtrées qu’il n’y parait à lire leurs travaux récapitulatifs. Il en résulte un tableau à la fois effrayant et passionnant du dur métier de vivre face à ses peurs et ses pulsions d’enfants qui ne savent pas comment grandir.
Senilità (1898)
Sortie : 1898 (Italie). Roman
livre de Italo Svevo
Chaiev a mis 6/10.
Annotation :
Ecrit presque en même temps que l’ « invention » de la psychanalyse, donc sans aucune des clés freudiennes qui seront utilisées vingt ans plus tard dans La conscience de Zeno, Senilita semble tourner exclusivement autour de personnages en lutte avec leurs phantasmes, leurs mensonges et leurs névroses. Dans ce roman du brouillard, où tout ce qui est proche est trop proche pour être compréhensible, tout ce qui est loin trop flou pour être visible, Svevo tente une immersion totale dans la psyché d’un jaloux maladif, un peu comme le fera Proust quelques années plus tard avec les amours de Swann et d’Odette. Le tour de force est patent, et j’imagine assez moderne à la fin du XIXe, mais je dois avouer que rien de tout cela n’a vraiment réussi à arriver jusqu’à moi. Tous ces pantins en proie aux méfaits de leur inconscient m’ont laissé, comme souvent les histoires de jalousie, terriblement froid, incapable de ressentir la moindre compassion pour leurs mésaventures répétitives racontées d’une plume de clinicien sans humour ni distance.
Essais d'ethnopsychiatrie générale
Sortie : septembre 1970 (France). Essai
livre de Georges Devereux
Chaiev a mis 9/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
Ce recueil disparate réunit seize essais qui s’étalent entre 1939 et 1966, tous réactualisés par Devereux en 1970 afin de donner une image complète de la discipline qu’il n’aura eu de cesse d’affiner : l’ethnopsychiatrie. Ethnologue de formation, puis psychanalyste d'obédiance freudienne, Devereux milite pour une démarche complémentariste absolument passionnante : faire jouer le double critère de l’influence culturelle et des particularités idiosyncratiques lors de la cure psychanalytique. Devereux était un grand spécialiste de la culture mohave, mais ses connaissances s’étendaient largement au delà de cette tribu indienne, jusqu’aux Sedan du Vietnam. Il tire très tôt de ses travaux sur le terrain chez des sociétés primitives la certitude qu’il existe des traits culturels communs à toute l’humanité, que chaque peuple adapte et distribue à sa façon. Partant de ce présupposé de base, il va mettre sur pied une technique d’analyse qu’il expose ici point par point, dans des textes d’une richesse et d’une intelligence peu communes. Le principe de base qui guide sa vision est l’importance de l’imaginaire de chaque société quant à la définition qu’elle va se forger de ce qui est normal et anormal en terme de comportement. Repartant des travaux de Linton, il dégage une règle générale pour comprendre comment les troubles psychiques s’élaborent : chaque société semble dire à ses membres « ne fait pas cela, mais si tu le fais, fais le comme ça ». De là se dégage une ligne de partage entre société à tendance névrotique (les peuplades primitives) et société à tendance psychotique, voire schizophrénique (occident contemporain), qui poussent pratiquement leurs fous à « choisir » un type particulier de maladie mentale pour exprimer leur mal-être. Toujours soucieux d’éviter tout dogmatisme et toute certitude, la démarche de Devereux s’emploie également à souligner à quel point le travail psychanalytique ressort du principe d’incertitude d’Heisenberg, puisque l’inconscient de l’analyste provoque autant d’interférence que la présence de l’expérimentateur dans les travaux quantiques. En ouvrant à ce point les lignes de fuite de la pratique psychanalytique, Devereux replace la figure du malade dans un environnement à la fois éminemment complexe, et parfaitement cohérent qui permet de mieux comprendre que l’homme en société élabore sans s’en rendre compte des pièges redoutables desquels il lui sera ensuite forcément très difficile de sortir.
Anaconda (1921)
Sortie : 1921. Recueil de nouvelles
livre de Horacio Quiroga
Chaiev a mis 8/10.
Annotation :
Quiroga, un peu éclipsé aujourd’hui par les écrivains argentins qui lui ont succédé, était considéré de son vivant comme un des plus grand nouvellistes d’Amérique du Sud. Sa vie, toujours à cheval entre Uruguay et Argentine, villes et foret tropicale, fut marquée par la mort violente de ses proches et l’on retrouve dans toutes les nouvelles du recueil comme une fragilité interne, un frisson, un danger permanent. Rien jamais n’y est tranquille, les frontières sont toujours troubles et floues. Mais cette atmosphère quasi onirique est toujours contrebalancée par un intérêt marqué pour le concret, la fabrication, l’effort des hommes tentant de domestiquer la nature sauvage qui menace de les engloutir sans état d’âme. Il en résulte des histoires de folies et d’amour racontées avec beaucoup d’humilité et teintée d’un léger humour, toujours désespéré.
« C’était par ailleurs un être courtois et peu disert. L’homme avait visiblement beaucoup vécu et à la fatigue de ses yeux, qui luttaient contre les lumières, correspondait à l’évidence une même fatigue de l’esprit : un authentique besoin de parler peu, pour avoir beaucoup pensé ».
Le Lieutenant Gustel (1900)
suivi de L'Appel des ténèbres, et du Docteur Graesler
Leutnant Gustl
Sortie : 1994 (France). Recueil de nouvelles
livre de Arthur Schnitzler
Chaiev a mis 8/10.
Annotation :
3 nouvelles, une courte et deux plus longues, presque des petits romans, qui permettent de voir le panel stylistique d’un auteur toujours en quête de l’analyse la plus fine possible de la psyché humaine. Dans la première qui donne son titre au volume, et qui date des débuts de l’auteur, celui-ci explore la forme du monologue intérieur, 24 ans avant Mademoiselle Else qui en sera l’apothéose. Plongée dans l’esprit d’un jeune sous-lieutenant qui a décidé de se suicider pour question d’honneur, le texte épouse tous les méandres d’un état de crise avec un brio certain, même si au dernier moment Schnitzler semble hésiter à se montrer vraiment radical. Même légère déception quant à la fin de la troisième nouvelle, Docteur Graesler, mais le texte en lui-même est une très belle variation sur l’atermoiement et la lâcheté d’un homme vieillissant qui sait qu’il passe à côté de sa vie sans trouver les moyens de s’amender. La nouvelle centrale, L’appel des ténèbres, est au contraire d’une noirceur absolue de bout en bout, et un tableau clinique saisissant d’une paranoïa chronique. Uniquement relatée en discours indirect libre, on assiste à la destruction lente et inexorable d’un esprit malade, qui ne parvient pas à lutter. Sans pathos, froidement, Schnitzler suit pas à pas son héros que rien ne pourra sauver de sa folie alors qu'il la connait, l'analyse et la combat.
L'Or (1925)
Sortie : 1925 (France). Roman
livre de Blaise Cendrars
Chaiev a mis 8/10.
Annotation :
Première incursion du poète Cendrars dans le roman, cette épopée d’un homme hors du commun écrit un an avant la sortie de Moravagine pour faire patienter Grasset est en réalité un projet que l’auteur avait en tête depuis près de vingt ans. La fascination que provoque en lui son compatriote suisse Suter, s’explique par ce geste fou et presque inhumain : tout abandonner et partir, seul, pour aller coloniser le territoire californien qui en ce début de XIXe siècle est une contrée sauvage coupée du reste du continent américain. Le succès de l’entreprise est au moins aussi incroyable que son issue : une ruée vers l’or endiablée, un coup du destin imprévisible, seule force à même d’arrêter l’aventure de Suter, qui finira ruiné et déclassé. Etrangement, pour raconter ce destin hors du commun, Cendrars s’en tient finalement à une forme assez sage, un récit circonstancié qui déroule lentement les étapes de l’ascension et de la chute. Mais c’est justement cette sobriété de ton qui finit par faire verser le récit du côté de la tragédie au sens grec du terme : un personnage frappé de démesure, aux prises avec les forces aveugles de la Fatalité qui le ramènent sans pitié à sa dimension de pauvre créature humaine.
Gens heureux (1934)
Der Gerechte
Sortie : 1934. Roman
livre de Hermann Kesten
Chaiev a mis 8/10.
Annotation :
Hermann Kesten, aujourd’hui bien oublié, jouissait dans les années 20 et 30 d’une petite notoriété jusqu’en France, où il se réfugia un temps face à la montée nazie. Son roman, publié en 34, ne parle pas directement de politique (même si l’auteur était très impliqué dans l’opposition au nazisme) mais traite de l’état d’esprit d’une jeunesse qui a du mal à retrouver des repères dix ans après la Grande Guerre, perdue dans le marasme économique qui bouleverse le pays. Néanmoins, le grand intérêt du livre est surtout d’ordre stylistique, puisque Kesten fait une fusion très réussie entre expressionnisme allemand et intensité dostoievskienne, une influence finalement assez rare dans la littérature du début du XXe siècle. Récit d’une quête désespérée - le personnage principal étant un chômeur qui doit trouver 2000 marks pour sauver de la ruine et du déshonneur le père de sa fiancée - la narration s’emballe autour de scènes poussées chacune à leur paroxysme, sorte de magma de sensations rapprochant les protagonistes toujours plus près d'un gouffre béant. L’écriture à la fois bouillonnante et serrée, épouse avec un grand bonheur les méandres psychologiques de personnalités complexes sur le point d’exploser, et dresse un tableau glaçant d’une société qui court à sa perte.
La Réfutation majeure (2004)
Sortie : décembre 2007 (France). Roman
livre de Pierre Senges
Chaiev a mis 8/10.
Annotation :
Le livre de Pierre Senges est une machine infernale à plusieurs tiroirs, et c’est cette intrication qui rend l’objet fascinant. Car l’auteur aurait pu se contenter d’écrire un texte ludique sur le fait que l’Amérique n’existe pas et qu’elle n’est qu’une invention machiavélique de quelques clercs mal intentionnés. Ce texte se déploie effectivement sur deux tiers du livre, un peu à la façon d’un roman d’Eric Chevillard, avec beaucoup de talent et d’inventions, autour de l’idée de la carte remplaçant le territoire, du besoin de mythe, et des relations troubles entre mystification, doute et aveuglement.
Mais la vraie originalité de Senges est de ne pas s’arrêter là mais d’inclure ce texte, de façon toute borgesienne, dans un cadre plus large : en effet, la Réfutation est d’emblée présentée comme la traduction d’un texte d’Antonio de Guevara - qui a réellement existé - et dès la première page s’instaure un doute dans l’esprit du lecteur : est-il en train de lire une invention traitant d’une autre invention ? Quel but peut poursuivre un auteur du XVIe, réel ou non, en se lançant dans un tel défi : dire que le monde entier se berce d'une illusion impossible ?
Pour parfaire ce jeu de miroir, suite à un épilogue brillant - où Guevara imagine à son tour que l’Europe aurait tout à gagner à n’être qu’une invention de l’Amérique - intervient une Postface contemporaine qui commente la Réfutation qu’on vient de lire et essaye de déterminer de façon philologique qui peut bien en être l’auteur : Guevara donc, ou bien Vespucci lui-même, ou Jeanne la Folle (mère de Charles Quint) ou d’autres… Avec toute la componction universitaire de rigueur, Senges tresse alors une série de fausses suppositions historiques époustouflantes, finissant de brouiller définitivement toute frontière possible entre réalité et fiction en renvoyant dos à deux ces deux notions pourtant à la base de toute la pensée occidentale.
En gare (1939)
Party Going
Sortie : 1979 (France). Roman
livre de Henry Green
Chaiev a mis 7/10.
Annotation :
Drôle d’objet romanesque que ce En Gare, mélange d’expérimentation à la Virginia Woolf et de satire à la Evelyn Waugh. Il y a en tout cas une large dose de malice versée entre les lignes, et c’est un ingrédient finalement assez rare pour être signalé. En choisissant de croquer quelques heures d’un groupe de jeunes britanniques « de la haute », coincés dans un hôtel de luxe à Victoria Station en attendant que le fog veuille bien laisser partir leur train, Green prend le risque de se voir classer directement dans la case « romancier mondain » et pourtant son livre vaut nettement mieux que ça. Passant d’esprit en esprit, d’apparence en apparence, au cours d’une soirée uniquement pétrie de lieux communs et de tracasseries somme toute bien superficielles, il parvient à donner un véritable relief à cette aventure dérisoire, grâce à un sens très sûr du décalage inquiétant et du détail incongru (le pigeon mort ramassé par la tante en début de livre, par exemple), et l’on comprends vite que ce qui l’intéresse réellement c’est ce qui se passe du côté du non-dit et du hors champs, derrière le brouillard impénétrable et pourtant si léger des relations humaines.
(7,5 presque 8 !)
Les Enfants du bon Dieu (1952)
Sortie : 1952 (France). Roman
livre de Antoine Blondin
Chaiev a mis 9/10.
Annotation :
Même constat qu’après l’"humeur vagabonde" : l’écriture de Blondin est de diamant, petite pierre brillante, coupante, solide, et pure. Elle dessine sur la vie morne des hommes de fins liserés de joie fragile, elle éclaire le quotidien de mille brillances incongrues et poétiques, elle ravit, elle transporte, et tout ça l’air de rien, ultime délicatesse de cet arpenteur doux amer. Antoine fait des merveilles avec trois fois rien : un professeur d’Histoire habitant dans un immeuble parisien rempli d’hurluberlus de tous poils, décide un jour que le traité de Westphalie (1648) ne sera pas signé et que la guerre de Trente Ans en durera cent un, seule façon qu'à trouvé ce jeune homme perdu entre deux femmes, son épouse légère et son amante allemande, pour enrayer en contrebande la vie qui va, trop vite parfois, trop lentement souvent. Alors tant pis si le lecture de Blondin reste confiné à un très petit cercle car ces very happy few, sont very happy et c'est finalement la seule chose qui compte.
« Je pensais à ma mère, dans son petit atelier de la rue de Seine, qui avait entrepris d’apprendre l’accordéon, passé la soixantaine, pour piquer encore une fleur dans ses cheveux blancs, pour rouvrir sa vie, comme on demande au sommelier de déboucher une seconde bouteille qu’on n’aura peut-être pas le temps de boire. »
Carnets intimes
Sortie : 4 novembre 2005 (France). Journal & carnet
livre de Ludwig van Beethoven
Chaiev a mis 7/10.
Annotation :
Très court bouquin, malheureusement, qui réunit quelques notations de Beethoven sur tout et rien. Problèmes domestiques, pensées d'après lecture, réflexions artistiques, auto-encouragements, comptabilité, c’est toujours très succint, mais quel plaisir de s’immiscer ainsi dans l’intimité et le quotidien du génial musicien. On peut au passage voir confirmer la grande spiritualité du bonhomme, sa sensibilité, et sa curiosité pour toutes les formes de culture, notamment la philosophie hindouiste.
Une femme fidèle (1896)
Bake ichô
Sortie : 1896 (Japon). Recueil de nouvelles
livre de Kyoka Izumi
Chaiev a mis 8/10.
Annotation :
Deux étonnantes nouvelles, écrites alors que l’auteur n’avait que 23 ans, condensé en quelque pages d’une violence et d’une émotion qui se déploient tout en subtilité, en un crescendo savamment orchestré. Dans les deux histoires, la femme est fidèle, certes, mais bien malgré elle. Forcées par les conventions et l’autorité familiale, ou un sens moral qu’elles ont du mal a assumer jusqu’au bout, les deux héroïnes d’Izumi deviennent des forces de rébellion face au mari, qu’il soit bon et jaloux pour le premier, ou violent et jaloux pour le second. Avec ces mini-drames qui se nouent et de dénouent en quelques scènes fortes, où chaque détail a une importance démesurée, Izumi se montre un maître si impressionnant, qu’on ne peut qu’être désagréablement surpris de le voir si brutalement boudé par les éditeurs français.
Zayni Barakat (1974)
Sortie : 1 janvier 1985 (France).
livre de Gamal Ghitany
Chaiev a mis 5/10.
Annotation :
La période historique choisi par Ghitany pour son premier roman est passionnante - nous sommes au XVIe siècle au Caire à la toute fin du règne des Mamelouks - et permet de se pencher sur la destinée chaotique d'un pouvoir autrefois absolu mais désormais vacillant, qui ne tient plus que sur la corruption et l’espionnage généralisé (toute ressemblance avec bla bla bla…). Malheureusement, peut-être parce qu’il est influencé par l'inévitable Mahfouz, l’écriture de Gamal est trop pénible pour qu’on puisse passer outre. Mélange de points de vue qui finit par être irritant, pathos de bazar, envolées lyriques ou politiques qui tombent à plat, Ghitany vole beaucoup trop bas pour son sujet, et on a surtout l’impression d’un roman de gare qui se serait trompé de quai.
L'Ange exilé (1929)
Une histoire de la vie ensevelie
Look Homeward, Angel
Sortie : 1989 (France). Roman
livre de Thomas Wolfe
Chaiev a mis 9/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
Etoile filante dans le ciel des lettres américaines, Thomas Wolfe aura tout de même réussi à écrire des milliers de pages sur presque rien avant de mourir à 37 ans. Mais ici encore plus qu’ailleurs, c’est la forme qui éblouit avant tout, comme si Thomas avait ce don si rare : pouvoir parler de n’importe quoi et en faire quelque chose d’immense, de sublime, transfigurer le quotidien grâce à la simple façon de le retranscrire. Sa chronique des jeunes années d’Eugène n’a finalement rien de très originale dans le fond, et pourtant on s’accroche à ses phrases comme s’il s’agissait d’un roman policier. Le plus extraordinaire est l’apparente simplicité de ses procédés : il alpague le lecteur par petites touches, grâce à de légers décalages, d’imperceptibles fissures, qui soudain laisse exploser des fulgurances inouïes dont l’onde de choc continue à nous faire trembler pendant que le flot faussement anodin de la narration reprend. Beaucoup d’humilité, beaucoup d’humanité, et un sens aigu de la poésie du quotidien animent ce portrait d’un écorché vif qui tente malgré tout de vivre avec les autres, en équilibre instable entre espoir fou et désillusion absolue.
La Septième Fonction du langage
Sortie : 19 août 2015 (France). Roman
livre de Laurent Binet
Chaiev a mis 7/10.
Annotation :
Le roman de Binet est si volontairement hybride et atypique qu’on a un peu du mal à savoir qu’en penser. Enfin non, pas qu’en penser mais qu’en dire. En fait cela dépend beaucoup des critères que l’on choisit pour l’aborder, choix forcément arbitraire puisque le livre, lui, ne tranche pas vraiment sur cette question. A la croisée du page turner, de la dissertation savante sur sémiologie et linguistique, du polar, de la politique-fiction, le livre se déploie vite comme une joyeuse pochade, réunissant tout le gratin parisien des années 80 lancé dans une course folle et meurtrière pour mettre la main sur un texte aussi mystérieux que dangereux signé Jackobson. De Barthes à Sollers, de Foucault à Althusser, en passant par Giscard, Borg, Lendl et Mitterand, Cixous ou Deleuze, Lacan, Umberto Eco ou Chomski, Binet se plait avec beaucoup d’humour à piocher à pleine main dans les grands noms de l’époque pour remplir son petit théâtre, et nous faire participer à l'enquête depuis les coulisses, incognito.
Alors ce qu’on gagne à ce mélange des genres ? Un véritable plaisir de lecture, car le cocktail fantaisie/théorie est bien dosé, jamais trop didactique, toujours plaisant. Mais au final, je crois que le livre y perd aussi quelques plumes. Car si le romancier s’en sort très bien avec les péripéties et les clins d’œil, il a plus de mal avec le sous-texte et l’implicite. En tout cas, comme s’il avait peur qu’on puisse passer à côté de ce qu'il pense de tout cela, disons qu’il fait plus confiance à la parole qu’au non dit, à l'extradiégétique qu'au diégétique, et que cela empêche de bout en bout le roman de trouver son autonomie, et une force qui soit autre que celle de divertir. Ce qui, considérant le sujet, est déjà beaucoup !
Le Fou impur (1974)
L'impuro folle
Sortie : 1976 (France). Roman
livre de Roberto Calasso
Chaiev a mis 6/10.
Annotation :
On a connu Calasso bien plus inspiré. Historien des idées qui parvient d’habitude à faire feu de tout bois - les mythes indiens, Kafka, la pensée grecque, le dandysme de Baudelaire - voilà soudain qu’on le retrouve un peu coi devant son sujet : la paranoïa de Schreber, l’homme aux loups étudié par Freud, aux prises avec la mort de Dieu. Dérogeant à la forme réflexive qu’il affectionne, Calasso tente une timide incursion dans le romanesque, mais sans s’y plonger non plus franchement. En résulte un entre-deux un peu bancal, où surnagent évidemment quelques pistes de travail intéressantes mais si superficielles, qu’elles finissent par affaiblir un texte ne parvenant jamais à devenir un vrai roman.
Salammbô (1862)
Sortie : 1862 (France). Roman
livre de Gustave Flaubert
Chaiev a mis 9/10 et a écrit une critique.
L'Egypte en révolutions (2015)
Sortie : 21 janvier 2015. Culture & société
livre de Stéphane Lacroix et Bernard Rougier
Chaiev a mis 7/10.
Annotation :
Recueil d’articles hétérogènes très documentés et intelligents issus du travail sur le terrain de chercheurs attachés au CEDEJ (Centre d'études et de documentation économiques, juridiques et sociales) du Caire, l’ouvrage tente de dresser un portrait in vivo de l’Egypte au sortir de la révolution de 2011. Il ne s’agit pas d’une analyse de ce qui a abouti à la destitution de Moubarak ou à l’installation au pouvoir pendant un an des Frères Musulmans, mais plutôt un état des lieux de la situation complexe des années 2012 et 2013, jusqu’à la chute du gouvernement Morsi. Etudiant tour à tour la situation sociale, juridique, législative, urbanistique, politique, religieuse d’un échiquier forcément complexe des forces en présence, les travaux de ces chercheurs permettent non seulement de mieux comprendre les enjeux en cours mais aussi d’entrer de plein pied dans une histoire en train de se faire (et de se défaire), comme si on assistait à la représentation d’une pièce de théâtre un peu désespérante qui souligne une nouvelle fois comment et pourquoi dans les affaires de vivre ensemble ce sont toujours les pires solutions qui finissent par advenir.
Boussole (2015)
Sortie : 19 août 2015 (France). Roman
livre de Mathias Enard
Chaiev a mis 3/10 et a écrit une critique.
Mardi (1849)
(traduction Rose Celli)
Mardi: And a Voyage Thither
Sortie : 1968 (France). Roman
livre de Herman Melville
Chaiev a mis 7/10.
Annotation :
1847 : Melville ne le sait pas encore mais il ne lui reste que trois ans pour se mettre à ecrire ce qui deviendra un livre culte des lettres étasuniennes. Or cet enfant d'une famille grevée de dettes, à l'éducation cahotique et quasi autodidacte, n'a encore derrière lui que deux récits autobiographique de ses aventures de marin dans les mers du sud, ouvrages qui ont fait parler de lui mais qui sont somme toute assez peu novateurs. Récemment installée à New York il commence Mardi avec l'idée de finir sa trilogie polynésienne, mais au fil de la plume, aidé par les tonnes de grands classiques qu'il dévore soudaint à la National Library, voilà que son ouvrage devient un monstre étrange et inclassable, sorte de déclaration d'amour à la littérature et à sa puissance subversive. Conçu à la manière des recits du XVIIIe, mâtiné de references shakespeariennes et rabelaisiennes, le voyage picaresque qu'il developpe sur plus de 600 pages mêle imagination, erudition, symbolisme, allegories, philosophie, critique sociale et politique dans un joyeux brouet dont la fantaisiste de ton cache une morale foncièrement pessimiste. Il y dépeint une humanité perdue entre aspiration et perdition, ballottée sur un océan de contradiction. Œuvre volontairement erratique, elle lui permet d'explorer des chemins ouverts uniquement aux plus courageux, loin des conventions et du conformisme, une route qui le mènera à Moby Dick, et à l'indifférence de ses contemporains. Il ne le sait pas non plus mais dix ans plus tard, il en viendra à abandonner la tache ingrate d'être trop bon écrivain.
Voyage à motocyclette
Notas de viaje (diarios de motocicleta)
Sortie : août 2007 (France). Journal & carnet
livre de Ernesto Che Guevara
Chaiev a mis 7/10.
Annotation :
On a beau savoir que le voyage de huit mois entrepris avec son ami Alberto Granado alors qu’il avait 23 ans va bouleverser la vie de Guevara et lui ouvrir les yeux sur la réalité du quotidien des sud-américains, le récit picaresque qu’il fait de ce périple est surtout centré autour des conditions erratiques et aventureuses dans lequel la traversée du continent se déroule. Un « on the road » sous l’équateur en quelque sorte, empli d’humour et de détachement, émaillé de rencontres, de galères (d’ailleurs la motocyclette du titre disparait au bout de quelques semaines et le reste du trajet se fera en stop), de petites entourloupes, et de cuites mémorables, à travers les paysages à couper le souffle de la Cordillère des Andes.
Voici des ailes (1898)
Sortie : 1898 (France). Roman
livre de Maurice Leblanc
Chaiev a mis 7/10.
Annotation :
Leblanc avant Lupin, encore jeune et plein de rêves littéraires, profite d’une virée en bicyclette pour trousser un court roman d’une modernité réjouissante. Sens du montage et du mouvement - alors que le cinéma lui-même n’en est pas là, qui vient d’être inventé - pour un texte vif, rapide et d’une légèreté toute fin de siècle. Et pourtant, derrière la superficialité de façade, se devine un regard acéré sur une nouvelle époque à venir, où la liberté est à gagner à la force du poignet et de la cheville. Celle d’aller où l’on veut, aussi bien géographiquement que métaphoriquement, « les yeux fixés au large et les cheveux au vent »
Naissance de l'Odyssée (1930)
Sortie : 1930 (France). Roman
livre de Jean Giono
Chaiev a mis 9/10.
Annotation :
et par la même occasion, naissance d’un écrivain ! Car même s’il est sorti après, et grâce au succès de, la Trilogie (saluons au passage le courage et la perspicacité de Grasset qui refusa le manuscrit en 1925) il s’agit là du premier roman de Giono, écrit dans les sous sols d’une banque à Marseille, où le jeune homme allait s’étiolant. Quelle entrée en littérature, que ce texte sautillant d’ironie joyeuse, relatant la « vraie » histoire de l’Odyssée, où comment 2000 ans de récits sont construits sur le mensonge d’un lâche don Juan. Humour quasi dada (il y a du Télémaque d’Aragon dans l’air) fondu dans une forme argileuse et serpentine, une sorte de rococo rustique dont seul le grand Jean a le secret : la tête tourne tant tout est contourné, mais le bois dont ces mots sont faits est tellement brut, tellement plein, tellement vénérable, que les volutes y gagnent une poésie et une brutalité antagonistes, choc dont naît au moindre tournant l’émotion. Et chaque phrase est ainsi remplie comme une outre surgonflée. De vins, de vents, de miels, de soleil, de fragrances méditerranéennes, de sueur, de peur, d’espoir en un mélange que l’auteur fait danser au-dessus de nos têtes pour qu’avant d’y gouter nous l’entendions, haletants, glouglouter.