On the row (2017)
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127 livres
créée il y a presque 8 ans · modifiée il y a 22 joursLe Curé de village (1841)
Sortie : 1841 (France). Roman
livre de Honoré de Balzac
Chaiev a mis 7/10.
Annotation :
Il est toujours assez impressionnant de voir comment Balzac parvient à jouer sur deux tableaux parallèles : le roman qu’il est en train d’écrire et la place qu’il occupera dans l’économie générale de La Comédie Humaine, ce gigantesque organisme dépassant et de loin la simple somme de ses parties. Hors sol, cette scène de la vie de campagne a certes quelques relents frisant la fable réac - victoire de l’esprit catholique et vilipendage en règle du socialisme mal compris à la sauce saint-simonienne- mais avec quelques pas de recul, c’est finalement comme un retour de balancier pour équilibrer tous les personnages sinistrement veules ou diaboliquement retors qui hantent les autres couloirs de l’Oeuvre dans son ensemble. Enfin un peu de bonté dans un monde de brutes semble souffler le romancier, dont les larmes d’émotion sont toujours promptes à couler sur ses joues de crocodile (bonté qui finalement n’eut point été possible sans le péché originel, de l’Homme en général ou de Véronique de Graslin en particulier, notons le bien). C’est que la lyre d’Honoré est tressée d’une multitude de cordes, et que rien ne l’ennuie plus comme de se répéter. On aura donc ici le droit à une symphonie pastorale commençant Sturm und Drang pour finir sous quelques giclées d’eau de rose : un meurtre ténébreux, un procès retentissant, un curé de village compatissant (et bien plus discret que ce que le titre pourrait faire croire), une repentance aussi sincère que secrète, quelques tartines d’économie agraire, une confession publique, et surtout une merveilleuse « mise en paysage » des sentiments conflictuels de l’héroïne, façon « Affinités électives » dans le bas-limousin. De quoi se prendre le mur pour le tout venant, mais avec Nono, ça passe digit in naso.
Le moindre des mondes
Skugga-Baldur
Sortie : 2007 (France). Roman
livre de Sjon
Chaiev a mis 8/10.
Annotation :
Sjón, en bon auteur islandais, a beau piocher dans les ingrédients traditionnels que sont la neige, le vent, la sauvagerie d’une île où l’homme n’est pas le bienvenu, les nuits trop longues et le poids de la solitude, il évite avec pas mal de talent la redite ou la carte postale. C’est vif, sans fioritures, sans chichi, mais sans sècheresse non plus puisque dans chaque interstice qui apparait et disparait se devine des réserves sans fond d’humanité : la tristesse au courage mêlée.
Le Japon comme ma poche
Sortie : 2009 (France). Roman
livre de Jean-Yves Cendrey
Chaiev a mis 8/10.
Annotation :
Jolie balade d’un atrabilaire en bout de course au pays du soleil levant, voyage à contre-coeur et à contre courant qui empile avec un grand bonheur d’expression des petites briques de mal-être toujours sur le point de se casser la gueule. On frôle parfois le Chevillard, tant la plume est alerte. Seule regret au bout du compte, que tout cela s’arrête un peu trop vite - mais diable voilà un auteur qui préfère privilégier la frustration plutôt que le désappointement, la qualité des mots plutôt que la quantité des aventures, il faut surement mettre ça sur le compte d’un tact hors pair. On dirait la bande annonce d’un long film à venir : Cendrey picore de ci de là, et au lecteur de faire le reste.
« Le remède serait évidemment de maîtriser enfin la langue du pays qui m’accueille en son sein plantureux, mais ma carence en la matière a plaisamment hypertrophié mon sens de l’observation, et je trouve excitant de devoir user d’intuition dans la plupart des circonstances. Certes le résultat n’est pas toujours fameux, les bévues et les déboires sont légion, mais je ne renoncerai pas pour autant à n’apprendre l’allemand autrement que par imprégnation, aussi laborieuse et aléatoire qu’elle soit. Je tiens à mes brouillards. Ils sont mon luxe, celui de ne pas avoir une conscience trop claire de ce qui m’entoure, de ce qui m’attend. Je demeure étranger en pays familier. Je continue de voir le monde en enfant, en animal de compagnie. De cette façon, puisque la vie ne peut s’empecher de devenir la vie, j’en prends mon parti, mais petit à petit, et avec un peu de retard sur les événements ».
Les Cosaques (1863)
Kazaki
Sortie : 1863 (Russie). Roman
livre de Léon Tolstoï
Chaiev a mis 7/10.
Annotation :
Sans être la suite directe de sa trilogie Enfance-Adolescence-Jeunesse avec laquelle Tolstoï inaugura sa vie d’écrivain, les Cosaques en reprend néanmoins le principe : un récit très peu romanesque et fortement autobiographique, centré autour d’un personnage point focal lui permettant à la fois de se pencher sur ce qu’il a été et de raconter ce qu’il a vu. En l’occurrence, un tableau ramassé sur quelques mois des trois ans que le jeune comte, dandy et noceur, passa en militaire dans le Caucase, dans un village cosaque. Les Cosaques, c’est un peu les cow-boys des confins orientaux, ou les gauchos de la pampa, sauf qu’au lieu de convoyer des vaches, ces cavaliers-là assurent la sécurité des frontières russes, luttant sans cesse contre les tribus de Montagnards en butte avec la politique tyrannique de Moscou. Bref autant dire la steppe, la vie au grand air, les raids, l’alcool, la chasse… une rencontre des plus brute avec la Nature à laquelle la vie de barreau de chaise moscovite ne prépare en rien. Traité finalement comme une série de nouvelles, beaucoup plus tourné vers l’observation que vers une quelconque intrigue, ce livre est encore pour le jeune Tolstoi une occasion de faire ses gammes. Les mélodies sont tour à tour rêveuses et enjouées, nerveuses ou alanguies, flutées ou martiales, mais on a du mal à entrevoir dans cette chrysalide des plus plaisantes le fabuleux papillon qui est bientôt prêt à éclore.
Le Faune de marbre (1860)
The Marble Faun
Sortie : 1860 (États-Unis). Roman
livre de Nathaniel Hawthorne
Chaiev a mis 8/10.
Annotation :
Pour son dernier roman - dans une oeuvre qui n’en compte malheureusement que quatre - Hawthorne se paie le luxe de tout chambouler à ses habitudes et part tailler son crayon au pied des sept collines de Rome. Balayés les Puritains du Nouveau-Monde, les socialistes du Massachusetts, les fantômes familiaux et autres éléments du folklore yankee avec lesquels il aime tant jouer, place au soleil d’Italie, aux ruines millénaires et aux merveilles artistiques de la Renaissance. Pour être honnête, le dépaysement parait un peu tourner la tête de Nathaniel, qui semble parfois avoir un peu de mal à se concentrer sur sa tâche, tant chaque décor, chaque son, chaque effet de lumière l’émoustille et excite ses nerfs de romancier. C’est à se demander parfois s’il sait vraiment où il va, ou si son plaisir n’est pas justement de partir à l’aventure dans les rues de la Cité Eternelle, et advienne ce qui pourra. Il en résulte un récit un peu décousu, mais où l’on retrouve tout de même l’infinie facétie de l’auteur, toujours prompt à faire danser son lecteur à contre-pied, pour le plaisir de le voir décontenancé. Et rien que pour ça, on se sent prêt à tout lui pardonner.
« Aujourd’hui il existe une règle de fer : avoir un but. Cela nous transforme tous en pièces d’une mécanique compliquée que l’on nomme Progrès. En fin de compte on nous oblige à vivre d’une vie sans chaleur et insipide pour laquelle nous ne sommes pas nés. Il nous faut constamment ajouter quelque chose – ne serait-ce qu’une miette, mais au prix d’efforts répétés – à un monceau d’utilités. La seule conséquence sera de surcharger notre postérité d’obsessions, d’un labeur toujours plus accablant que le nôtre. On ne pourra jamais plus comparer notre existence au cours régulier d’un fleuve ; sur le moindre ruisseau on observe un moulin dont la roue ne cesse de tourner. Bref, nous allons tout de travers pour vouloir aller tout droit. »
Les Chutes de Slunj (1963)
Die Wasserfälle von Slunj
Sortie : 1987 (France). Roman
livre de Heimito von Doderer
Chaiev a mis 9/10.
Annotation :
Bon voilà, on a beau lutter, y croire, persévérer, arrive un moment où le désespoir est le plus fort, où les faits bruts et froids finissent par remporter la mise, où l’optimisme un peu béat se fracasse contre le mur de la Réalité. Doderer n’intéresse personne. Eh bien tant pis. Pauvre saumon pris dans les remous du Temps, il ne parvient décidément pas à remonter le cours du fleuve. Dont acte. Soyons beau joueur. Abandonnons la partie.
Il avait pourtant toutes les cartes en main pour ça : merveilleux sens de l’ironie qu’il manie avec une politesse extrême, ingéniosité des intrigues, talent de conteur, brillance psychologique, profondeur de… mais non, brisons là, après tout le bonheur n’est pas forcément plus fort d’être partagé. Chacun sa route, chacun son chemin comme disait l’autre. La foule d’un côté, et Heimito de l’autre. Bien caché, oublié, boudé. C’est la vie. Et puis qui sait ? Après tout le bonheur est peut-être plus fort de pouvoir ainsi rester secret.
« Goethe écrivit un jour à Schiller : « le fondement de la poésie n’est en fait rien d’autre que la représentation de l’état empirico-pathologique de l’homme ». Quant à nous, dans la mesure où il peut être encore ici question de poésie, nous sommes absolument à court de pathologie et de toute espèce de pathétique face à ces deux benoîtes idiotes : sur quoi devrions-nous alors nous appuyer ? Il ne reste plus qu’à éliminer de notre composition ces deux personnages dont la simplicité a atteint un degré si insupportable qu’il est une insulte à toute forme d’art (et il n’a d’ailleurs plus besoin d’art du tout). Ainsi : à la porte vous deux ! Un bon coup de pied à chacune dans le gras des fesses ; moderato tout de même, un coup de savate, de bonne grosse pantoufle, pas un coup de botte. »
Penser avec Whitehead (2002)
Une libre et sauvage création de concepts
Sortie : 2002 (France). Essai, Philosophie
livre de Isabelle Stengers
Chaiev a mis 9/10.
Annotation :
On connait la remarque amusée de Borgès : « Personne ne peut comprendre la philosophie de notre temps sans comprendre la pensée de Whitehead. Malheureusement, personne ou presque ne peut comprendre Whitehead. » . Au delà de la plaisanterie, il est vrai que la lecture des ouvrages de ce diable d’homme, aussi bien dans sa période mathématique avec Russel que métaphysique à la fin de sa vie, fait partie des pires casse-têtes qui soient. Et l’une des énormes vertus de la courageuse entreprise de Stengers est d’intégrer cette donnée du problème pour la remettre à plat et rassurer les lecteurs potentiels de Whitehead : il est tout à fait normal de se perdre dans cette jungle de termes abscons, mais cela n’est pas une raison pour abandonner l’aventure. Car suivre pas à pas Whitehead dans ces circonvolutions est bien une aventure, - peut-être même l’une des plus enrichissantes que peut offrir la philosophie du XXe siècle - et la démarche aussi patiente (plus de 600 pages tout de même !) qu’ éclairée de Stengers offre tout un trousseau de clés inestimables. Bon alors je ne vais pas non plus claironner qu’en refermant ce pavé à la lecture exigeante, voire parfois désespérante, ça y est, eurêka, Process and Reality m’est devenu aussi limpide qu’un livre de la Comtesse de Ségur. Mais la passion et l’intelligence conceptuelle de Stengers permet effectivement de toucher du doigt toute l’originalité du philosophe et de sa démarche, lui qui jusqu’au bout aura lutté pour faire sentir à quel point la réalité est une affaire de processus, et que partant sa description ne saura jamais se contenter des faibles outils de notre langage quotidien pour s’exprimer pleinement. Le point central de la démonstration étant justement de pousser les lecteurs à adopter la méthode de Whitehead : pas de jugement, pas de dogme, pas de précipitation, mais toujours une vision claire des problèmes pour éviter d’y répondre avec des solutions qui n’y correspondraient pas. C’est en tout cas ainsi qu’il sera parvenu à miner toutes les oppositions binaires, et à démontrer, en bon mathématicien qu’il sera resté jusqu’au bout, que la métaphysique spéculative bien appliquée pouvait servir de levier à une meilleure com-préhension de toute expérience concrète.
Le Prophète muet (1929)
Der stumme Prophet
Sortie : 1 janvier 1972 (France). Roman
livre de Joseph Roth
Chaiev a mis 8/10.
Annotation :
Ecrit en 1927-1928, ce roman d’une désillusion ne fut pas publié du vivant de Roth, et disparut pendant plus de trente ans, laissant aller bon train les spéculations selon lesquelles il s’agissait du projet de l’écrivain autour de la figure de Trotsky. Si Kargan est effectivement un révolutionnaire professionnel balloté par l’histoire, on est pourtant assez loin de la destinée du bouillant Léon. Le héros de Roth est certes animé d’une fougue idéaliste dans ses jeunes années, mais la guerre, la prise du pouvoir par les soviets, les luttes intestines, l’exil vont peu à peu éroder les convictions de cet homme solitaire et désenchanté, traversant les années avec toujours plus de mélancolie. Avec ce très beau portrait d’une âme noble incapable de se raccrocher aux wagons de la réalité, Roth utilise son écriture à la fois précise et lyrique pour creuser une nouvelle fois les plaies de son siècle et de sa génération, trop lucide pour ne pas voir les combats qui s’imposent, mais trop abîmée pour les mener jusqu’à leur terme.
« Ils traversèrent de grandes villes blanches, ils vécurent dans de grands ports, ils virent des bateaux longer des côtes étrangères ; ils croisèrent les trains qui partent pour l’inconnu et ils ne pouvaient jamais regarder un bateau ou un train sans se voir eux-même partir pour des pays lointains et imprécis, pour l’avenir. Ils comptaient anxieusement les jours qu’ils avaient encore à vivre ensemble et plus le nombre en diminuait, plus ceux qui restaient devant eux semblaient devoir être riches d’événements extraordinaires. Alors que la première semaine avait été une unité de temps indivisible, la seconde déjà se divisa en jours et la troisième en heures. Pendant la quatrième, ils commencèrent à regarder chaque minute qui passait comme une journée entière pleine de richesse et ils souffrirent d’avoir prodigué le temps de la première semaine. »
Le Club des tueurs de lettres (1926)
Klub ubijc bukv
Sortie : 1926 (Russie). Récit
livre de Sigismund Krzyzanowski
Chaiev a mis 7/10.
Annotation :
Pour une fois, Krzyzanowski n’est pas qu’un illustre inconnu en France mais dans son pays d’origine lui-même, puisque pratiquement aucune de ses oeuvres - plus de 3000 pages - n’aura été publié en Russie de son vivant. Polyglotte, philosophe, fin lettré, il vivotait dans une chambre de 8m2 à Moscou et noircissait ses cahiers de nouvelles à la lisière du fantastique entre deux conférences qui lui permettait à peine de survivre, dans l’invisibilité la plus totale. On retrouve ce rapport si particulier à l’écriture dans cette histoire d’un club étrange formé de sept auteurs ayant décidé de ne plus écrire et de livrer leurs contes à la simple et fugitive oralité. Geste militant par excellence, facçon Bartleby, pour souligner à l’encre sympathique toute la force du vide et de la potentialité. Les récits s’enchaînent, se répondent, s’interrompent, comme autant de nouvelles sorties du néant pour y retourner, n’était un traître au sein du club pour les sauver de l’oubli. Et au centre de cette réflexion amusée autour du pouvoir du Mot, Krzyzanowski place une fable relatant les aventures d’un savant fou qui met au point une machine à décerveler les hommes, dans laquelle il est difficile de ne pas voir le reflet de toutes les dictatures du XXe siècle assises sur un dévoiement de la parole et de l’écrit.
La Toile d'araignée (1923)
Das Spinnennetz
Sortie : 1923 (France). Roman
livre de Joseph Roth
Chaiev a mis 7/10.
Annotation :
Le roman de Roth ressemble à pas mal d’autres écrits à la fin des années 30 pour retracer les parcours glaçants de jeunes désoeuvrés sans convictions tombés dans les pièges du parti national-socialiste, devenus nazis presque par défaut, plutôt comme possibilité de s’élever dans une hiérarchie que par militantisme politique. Et cette communauté de thème dessert un peu la courte oeuvre de Roth si on ne prend pas en compte un point capital : elle ne date pas de la veille de la guerre mais de 1923, dix ans avant la prise du pouvoir par Hitler, alors que la bête était encore dans l’oeuf. Du coup on comprend mieux la fin qui n’en est pas une (l’oeuvre est inachevée), et le manque de relief qui menace parfois cette chronique d’une damnation : il ne s’agit pas encore pour Roth de tirer dans ce premier roman des leçons, mais plus de documenter, quasi sismographiquement, ce qui est en train de prendre forme sous ses yeux de jeune journaliste à Berlin, pour pouvoir aller au fond du problème : les ressorts psychologiques et sociaux de tout embrigadement.
La Femme abandonnée (1833)
Sortie : 1832 (France). Recueil de nouvelles
livre de Honoré de Balzac
Chaiev a mis 8/10.
Annotation :
Balzac a traité tellement de fois le couple, l’amour, les femmes fortes, les faibles, les hommes lâches ou les passionnés dans ses romans qu’on se demande à chaque fois qu’il s’attèle à une nouvelle sur le sujet ce qu’il va bien encore pouvoir trouver ! Et pourtant loin de se répéter, il parvient en quelques pages - et en jouant justement avec virtuosité du bref espace qui lui sera alloué - à tresser une fable merveilleuse sur une situation d’une simplicité extrême. Chaque mot est pesé, chaque point de l’analyse psychologique est limé comme le plus pur mouvement d’horlogerie, et tout se met en place avec une cruauté et une évidence hors pair. Avec, au coeur de cet écrin parfait, une des plus belles lettres d’amour qu’il aura jamais fait écrire à un de ses personnages.
« Eh ! bien, cœur à moi, je serai consolée par une pensée de femme. N’aurais-je pas possédé de toi l’être jeune et pudique, toute grâce, toute beauté, toute délicatesse, un Gaston que nulle femme ne peut plus connaître et de qui j’ai délicieusement joui... Non, tu n’aimeras plus comme tu m’as aimée, comme tu m’aimes ; non, je ne saurais avoir de rivale. Mes souvenirs seront sans amertume en pensant à notre amour, qui fait toute ma pensée. N’est-il pas hors de ton pouvoir d’enchanter désormais une femme par les agaceries enfantines, par les jeunes gentillesses d’un cœur jeune, par ces coquetteries d’âme, ces grâces du corps et ces rapides ententes de volupté, enfin par l’adorable cortége qui suit l’amour adolescent ? Ah, tu es homme ! maintenant, tu obéiras à ta destinée en calculant tout. Tu auras des soins, des inquiétudes, des ambitions, des soucis qui la priveront de ce sourire constant et inaltérable par lequel tes lèvres étaient toujours embellies pour moi. Ta voix, pour moi toujours si douce, sera parfois chagrine. Tes yeux, sans cesse illuminés d’un éclat céleste en me voyant, se terniront souvent pour elle. Puis, comme il est impossible de t’aimer comme je t’aime, cette femme ne te plaira jamais autant que je t’ai plu. Elle n’aura pas ce soin perpétuel que j’ai eu de moi-même et cette étude continuelle de ton bonheur dont jamais l’intelligence ne m’a manqué. Oui, l’homme, le cœur, l’âme que j’aurai connus n’existeront plus ; je les ensevelirai dans mon souvenir pour en jouir encore, et vivre heureuse de cette belle vie passée, mais inconnue à tout ce qui n’est pas nous. »
Les Comédiens sans le savoir (1846)
Sortie : 1846 (France). Roman
livre de Honoré de Balzac
Chaiev a mis 6/10.
Annotation :
Balzac s’amuse à empiler quelques saynètes le temps d’une journée, devant les yeux incrédules d’un brave provincial venu dans la capital pour régler un procès. Jeu de massacre sans queue ni tête où tout y passe : les journalistes, les parlementaires, les diseuses de bonne aventure, les mères maquerelles, les boursicoteurs, les chapeliers, les demi-mondaines et autres danseuses : la ronde est échevelée et parsemée de bons mots, et plus le tableau des iniquités mondaines se fait noir et grinçant, plus l’insouciance est de mise face à un tel constat ; la Ville Lumière ne repose en définitive que sur un gigantesque tas de fumier.
Les Nuits chaudes du Cap français (1902)
Sortie : 1902.
livre de Hugues Rebell
Chaiev a mis 5/10.
Annotation :
Curieux que ce roman soit le plus connu de son auteur, et celui qui aura à l’époque eu le plus de succès, alors qu’il est loin d’être ce que sa plume acérée aura produit de meilleur. Alors bien sûr, le côté licencieux de ses quelques descriptions d’amour tribadique explique peut-être cela, mais ne parvient pas à masquer la grande pauvreté de l’ensemble. Seul aspect réussi à mon avis : le rendu très dix-huitièmiste de cette société au bord de l’éffondrement - on est à Saint Domingue en 1794, à la veille de la révolution des esclaves. Mais malgré cela, l’auteur se montre quelque peu paresseux dans la tenue de son intrigue et la caractérisation de ses personnages, pantins dérisoires qui finissent tous par se dissoudre dans l’acide corrosif du désir.
Enfance et histoire (1978)
Infanzia e storia. Distruzione dell'esperienza e origine della storia
Sortie : janvier 2002 (France). Essai
livre de Giorgio Agamben
Chaiev a mis 8/10.
Annotation :
Agamben souligne dans la préface de l’ouvrage, près de vingt ans après sa sortie, à quel point tous les livres publiés ne sont que les reflets de livres désirés mais jamais écrits, en l’occurrence pour lui un livre qui aurait exploré la problématique de la voix humaine. Cette dimension fantômale, plus encore que fantomatique, est finalement toujours à l’oeuvre dans l’écriture d’Agamben, qui procède par léger coups de sonde contre les parois de la pensée. Beaucoup plus soucieux de contempler les remous provoqués par une question sur la surface lisse du quotidien, que de glaner des réponses forcément insatisfaisantes, il se penche ici sur la problématique de l’expérience et sa lente dissolution dans la modernité. Non pour la regretter ou la condamner, mais pour essayer de percevoir ce que cette escamotage peut bien avoir à dire de l’homme d’aujourd’hui par rapport à celui d’hier, et de l'adulte qui parle par rapport à l'enfant d'avant la parole. Mais comme d'habitude avec ce diable d’homme, le chemin de sa réflexion se morcelle, bifurque, croise d’autres thèmes, d’autres pistes, et préfère tabler sur la richesse du voyage plutôt que sur le simple fait d’arriver un jour là où il pensait se rendre. Montrant, par l’exemple, que l’esprit d’aventure est encore la meilleure façon de contrer les certitudes infécondes du dogmatisme.
Absalon, Absalon ! (1936)
Absalom, Absalom!
Sortie : 1953 (France). Roman
livre de William Faulkner
Chaiev a mis 8/10.
Annotation :
L’écriture dense, touffue, obsessionnelle d’Absalon Absalon remet en chantier les recherches de Faulkner sur la voix narrative, et sur la construction d’un récit calquant ses méandres non sur les faits eux-mêmes mais plus sur la perception qu’en auront eu les différents protagonistes. C’est le jeune Quentin Compson (un des quatre narrateurs du Bruit et la fureur) qui sert ici de point focal, essayant comme le lecteur de restituer un semblant de sens à la mosaïque d’anecdotes et de ressentis recueillis cinquante ans après les faits. Mélange des temporalités, des discours, des points de vue, qui fait passer à l’arrière plan l’enchaînement tragique pour mieux souligner l’inadéquation de tout esprit humain à la froide rationalité de la cause et de l’effet, le tout orchestré par un auteur-musicien à la recherche des sonorités et des accords les plus étranges, les plus envoutants et les plus inouïs pour faire entendre, au delà des mots et de leur signification individuelle, le fracas d’un monde disparu.
« Ils se regardaient fixement, les yeux brillants, leurs voix (c’était Shreve qui parlait, mais sauf la légère différence qu’avait introduite entre eux l’écart des degrés de latitude, différence non pas dans l’intonation ou le ton mais dans les tournures de phrases et l’usage des mots, cela aurait pu être l’un ou l’autre d’entre eux, et c’était en un sens tous les deux : tous les deux qui pensaient comme un seul, la voix qui se trouvait exprimer la pensée n’étant que la pensée devenue audible, vocale : tous deux créant entre eux deux, à l’aide d’un ramassis de vieilles histoires et de vieux récits, des personnages qui n’avaient peut-être jamais existé nulle part, qui ombres qu’ils étaient, n’étaient point des ombres de personnages de chair et de sang qui avaient vécu et qui étaient morts, mais les ombres de ce qui était (pour l’un d’entre eux du moins, pour Shreve) des ombres à leur tour) aussi calmes que le visible murmure de la buée de leur haleine. Le carillon se mit à présent à sonner minuit, mélodieux, lent, assourdi, derrière la fenêtre close scellée par la neige. »
Et quelquefois j'ai comme une grande idée (1964)
Sometimes a Great Notion
Sortie : septembre 2013 (France). Roman
livre de Ken Kesey
Chaiev a mis 10/10, l'a mis dans ses coups de cœur et a écrit une critique.
Qu'est-ce que le commandement ?
Sortie : 8 mai 2013 (France). Essai, Philosophie
livre de Giorgio Agamben
Chaiev a mis 8/10.
Annotation :
Ce texte très court reproduit en réalité une conférence tenue en 2012 dans laquelle Agamben faisait le point sur l’état de sa recherche en cours autour du thème du commandement, point aveugle selon lui de la philosophie occidentale (qui préfère réfléchir sur l’obéissance que sur le fait de donner des ordres). La réflexion n’y est donc pas poussée jusque dans ses ultimes retranchements, il s’agit plus d’un faisceau de questions, toutes plus passionnantes les unes que les autres, un point de départ qui lance la réflexion autour de considérations à la fois linguistiques, psychologiques, philosophiques et historiques. Partant du constat qu’une archéologie - au sens foucaldien- de l’ordre est impossible (puisqu’étymologiquement ordre et origine sont dit de la même façon en grec : arké), Agamben remonte la chaine des associations d’idée pour parvenir à l’hypothèse que l’ontologie occidentale se divise en deux courants qu’on retrouve dans la langue : une ontologie de l’assertion (il est / où les choses sont vraies ou fausses / régissant le champ de la philosophie et de la science) et une ontologie du performatif (sois ! / où les choses ne correspondent pas à des données naturelles / régissant le champ du droit, de la religion et de la magie). Ces deux versants s’interpénètrent et se repoussent, et si la première fut chérie des Grecs, la seconde selon l’intuition d’Agamben est désormais le fondement occulte de nos sociétés prétendument démocratiques. Ce glissement de l’une à l’autre rejoint une autre altération paradigmatique : les Anciens ne juraient que par le concept de Puissance alors que les Modernes sont obsédés par le concept de Volonté (seul moyen de combattre une omnipotence qui a toujours inquiété les êtres humains). « Je peux tout, mais je ne dois faire que ce que je veux » pourrait être la devise de notre époque, où pullulent les verbes modaux et les injonctions, devise qui rend la petite phrase de Bartleby toujours plus grinçante : « I would prefer not to ».
Contes de pluie et de lune (1776)
Ugetsu Monogatari
Sortie : 22 juin 1956 (France). Recueil de contes
livre de Akinari Ueda
Chaiev a mis 8/10.
Annotation :
L’extrême distance qui nous sépare de ce recueil de contes fantastiques (chacun des neuf textes tournent autour de la rencontre avec différents types de fantômes, spectres, esprits, le plus souvent maléfiques) est en même temps ce qui fait son charme si particulier pour un lecteur occidental. Alors qu’Akinari s’adresse à un public de lettrés pour qui ces variations autour de thèmes directement inspirés par les grands textes chinois sont comme des jeux de pistes à décoder (et l’occasion pour l’auteur de montrer son extrême virtuosité stylistique), le livre lu ici et maintenant n’a plus rien à voir avec sa destination première. Mais l’opacité qui en résulte ne va finalement pas si mal à l’ambiance générale de ces récits crépusculaires, et progressivement on se laisse gagner par l’aura mystérieux qui s’en dégage, ce flou permanent, cette porosité inquiétante dans laquelle évoluent les héros perdus d’Akinari, confrontés à l’incertitude d’un monde flottant entre comédie grotesque et tragédie sanglante.
Histoire d'un Allemand (2000)
Souvenirs (1914–1933)
Geschichte eines Deutschen: Die Erinnerungen 1914–1933
Sortie : 2003 (France). Culture & société
livre de Sebastian Haffner
Chaiev a mis 9/10.
Annotation :
Haffner se lance dans la rédaction de ses souvenirs à la demande d’un éditeur britannique, en 1939, alors qu’il vient de fuir l’Allemagne. Mais bien qu’il ait vécu encore soixante ans, il n’a ni terminé ni cherché à publier son analyse des années noires de son pays, un document pourtant d’une intelligence et d’une acuité rares, qui revient pas à pas sur l’engrenage conduisant un pays entier à sombrer dans les bras de la haine et de l’hystérie. Haffner n’a rien d’un engagé politique, ni vraiment à gauche ni vraiment à droite, il est un enfant de la Guerre (né en 1907), élevé dans un pays ravagé et sans illusions, et assiste impuissant à la montée du nazisme. Grâce à son sens de la psychologie des masses et son intuition historique fondée sur une grande clairvoyance, l’auteur retrace vingt ans de compromissions, d’illusions, d’erreurs, de trahisons, en partant de son exemple personnel pour atteindre une vision globale de tout un peuple subjugué, incapable de contrer l’ennemi intérieur en train de détruire en eux toute trace d’humanité, volontairement, et sans le dissimuler.
« Juste à cette époque, je tombais sur une formule de Stendhal, dangereuse et séduisante dans son ambiguïté. Il l’avait écrite comme une ligne de conduite, après un événement historique qui lui avait fait exactement le même effet de « chute dans la boue » qu’à moi le printemps 1933 : après la restauration de 1814. Une seule chose, écrivait-il, valait maintenant la peine qu’on y consacre encore de l’attention et de la peine : « préserver la sainteté et la pureté de son moi ». La sainteté et la pureté ! Cela signifiait non seulement qu’il fallait se garder de toute complicité, mais aussi de toute déformation due à la haine, bref de toute influence, de toute réaction, de tout contact, même de celui qui consiste à repousser.
Je crois aujourd’hui encore que ce principe a quelque chose de juste, et je ne le renie pas. Mais bien sûr, tel que je me le représentais à l’époque - ignorance délibérée et retraite dans une tour d’ivoire - il était inapplicable, et j’en rends grâce à Dieu que mes tentatives se soient soldées par un échec rapide et complet. J’en connais dont l’échec a été moins rapide, et qui ont dû payer très cher pour apprendre qu’en certaines circonstances on ne peut sauver la paix de son âme qu’en la sacrifiant et en y renonçant. »
L'Amour impossible (1841)
Sortie : 1841 (France). Roman
livre de Jules Barbey d'Aurevilly
Chaiev a mis 9/10.
Annotation :
Les premiers pas de Barbey en fiction sont d’une sûreté de trait assez époustouflante : c’est que, alors dandy consommé, il décide d’écrire sur ce qu’il connaît le mieux : la joute amoureuse chez les aristocrates parisiens, lui qui vient de passer des mois à tenter de séduire la froide et rouée Armance du Vallon, en vain. Echec sentimental mais terreau incomparable pour sa plume acérée. Car tout ici ne tient que par la force d’un style à couper le souffle : l’action du roman est pratiquement réduite à rien, mais le relief qu’il parvient à en tirer relève proprement du miracle. Menant une analyse au cordeau de deux caractères qui se livrent une lutte impitoyable, l’écrivain démontre à chaque ligne que la magie de l’écriture est peut-être la seule chose capable de donner du sens à ce qui semblerait sinon absurde et vain. Les deux amants se paient de mots et passent à coté de leur existence, mais de ce gâchis naît une fleur étrange et vénéneuse, nourrie du suc de l’expression. Rien n’existerait en somme, sans la puissance de celui qui sait dire, rien n’a de valeur avant d’être coulé dans une phrase pleine de fougue et de feu transformant la matière informe de nos vies en un joyau incomparable mais fragile, seul à même de compenser la tristesse sans fond de l’être humain.
« Mme de Gesvres était une de ces femmes, un de ces êtres privilégiés et rares, une de ces impératrices de beauté qui meurent impérialement dans la pourpre et debout. Comme Ariane, aimée par un dieu, elle se couronnait des grappes dorées et pleines de son automne. Au contour fuyant de la bouche, près des lèvres souriantes et humides, à l’origine des plus aristocratiques oreilles quittaient jamais bu à flots les flatteries et les adorations humaines, on voyait le duvet savoureux qui ombre d’une teinte blonde les fruits mûrs, et qui donnent soif à regarder. Du front, l’ambre qui colorait cette peau, blanche et mate autrefois, avait coulé jusqu’aux épaules que Bérangère aimait à faire sortir de l’échancrure d’une robe de velours noir, comme la lune d’une mer orageuse. On eût dit que ce dos vaste et nu, qui renvoyait si bien la lumière, avait brisé les liens impuissants du corsage ; il se balançait, avec une ondulation de serpent, sur des reins d’une cambrure hardie, tandis qu’au-dessous des beautés enivrantes qui violaient, par l’énergie de leur moulure, l’asile sacré de la robe flottante, se perdait, dans les molles pesanteurs du velours, le reste de ce corps divin. »
Redburn (1849)
Sa première croisière
Sortie : 1849. Roman
livre de Herman Melville
Chaiev a mis 7/10.
Annotation :
Désespéré par l’échec retentissant de son troisième roman, Mardi, nettement trop expérimental pour ses contemporains, le jeune Melville se résout à écrire coup sur coup deux romans d’aventures maritimes grand public pour essayer de faire rentrer un peu d’agent dans sa bourse. Pour plus d'efficacité, l’écrivain se fonde sur ses souvenirs de moussaillon et relate dans Redburn sa première traversée sur un navire marchand, de New-York à Liverpool et retour. Melville n’a jamais caché à quel point ce travail alimentaire lui paraissait un roman au rabais, et pourtant l’ouvrage ne manque ni de charme ni de mystère. Presque malgré lui, en tout cas en contrebande, l’auteur parvient à distiller dans les marges de ce périple classique d’un débutant en butte au mépris de ses aînés et aux mésaventures de la vie de matelot, une inquiétude permanente, et quelques épisodes hors-normes qui trouvent toute leur force grâce à une écriture faite de zones d’ombres et de non-dits. Voyage initiatique d’un fils sans père, perdu dans un monde d’une violence inouïe qu’il s’agit non seulement de contrer mais aussi de raconter, Redburn devient page après page le combat d’un homme de lettres face à l’opacité et à l’ambiguïté du réel.
« Il y a des mondes de connaissance à découvrir chez les animaux ; et chaque fois que vous notez chez un cheval ou un chien un regard doux, calme, profond, soyez sûrs que vous avez devant vous un Aristote ou un Kant qui médite sereinement sur les mystères humains. Nul philosophe ne nous comprend aussi parfaitement qu’un chien ou un cheval. Un coup d’oeil leur suffit pour nous percer. Et après tout qu’est-ce qu’un cheval sinon une sorte d’homme muet, quadrupède, en salopette de cuir, qui se trouve vivre d’avoine et peine pour ses maîtres, mal récompensé et maltraité comme les bipèdes qui abattent le bois et tirent l’eau ? »
Vies des artistes (1568)
Sortie : février 2007 (France). Essai
livre de Giorgio Vasari
Chaiev a mis 5/10.
Annotation :
Véritable wikipedia avant l’heure, l’ouvrage de Vasari représente un moment capital dans l’Histoire de l’Art : la preuve écrite que la figure de l’Artiste avait définitivement acquise sa légitimité et le résumé, fait de l’intérieur, de 300 ans de recherches à la fois picturales et architecturales pour refonder la représentation -et partant l’organisation politique et sociale - sur un socle s’inspirant d’une Antiquité fantasmée. Wikipédia et Gala réunis d’ailleurs, car le projet de Vasari, à travers 178 vies (mais pratiquement 300 artistes puisque certains chapitres englobent plusieurs personnalités) est autant de dresser un catalogue des oeuvres et des styles que de revenir sur les caractères de chacun et les anecdotes ayant émaillée leur carrière. Malheureusement, il faut l’avouer, Vasari est aussi mauvais écrivain qu’il fut mauvais peintre, et si son bouquin est effectivement une source sociologique passionnante et intarissable pour savoir comment on percevait l’art et ceux qui le faisaient à la Renaissance, il n’en reste pas moins que dans le détail, ces pages et ces pages de descriptions de tableau vaguement rehaussées d’un « il parait qu’untel était radin », et de « j’ai bien connu machin, il était sympa » est proprement illisible (et encore je dois m ‘estimer heureux, cette version ne comporte que 29 biographies, l’ouvrage entier faisant plus de dix volumes)
Voyage en Italie (1953)
Sortie : 1953 (France). Récit
livre de Jean Giono
Chaiev a mis 8/10.
Annotation :
Giorno, d’ascendance italienne, a pourtant attendu ses cinquante ans passés pour aller en Italie, voir un peu à quoi ressemblait le pays de son héros Angelo Pardi. Partant en voiture avec sa femme et un couple ami, il traverse le Piémont, la Vénétie, l’Emilie Romagne et la Toscane à train d’enfer, plus intéressé par la couleur de la lumière et le comportement des habitants que par les grands chefs d’oeuvres artistiques qui hypnotisèrent Stendhal et tous les adeptes du Grand Tour du XIXe. C’est la dimension théâtrale du pays qui le fascine, il a l’impression d’être au milieu d’une recomposition cinématographique à grand spectacle, et il raconte avec un bonheur fou ces bribes de vie qu’il entrevoient par la fenêtre du véhicule qui l’emmène de Turin à Florence, en passant par Venise, Ferrare et Bologne.
"Ceux qui l’ont vu comme moi savent que ce fut le meilleur jongleur du monde. « C’est un art, disait-il en riant, où l’on n’a pas une seconde à perdre.» Il s’exerçait avec de petites balles phosphorescentes. Il arrivait avec elles à une extrême rigueur. Les arcs que ces balles dessinaient en passant d’une de ses mains dans l’autre étaient rigoureusement des arcs de voûtes romanes. C’est également un art dans lequel on n’a pas une seconde à perdre. Or j’ai le temps : tout mon plaisir est dans le temps que je perds. Le détail, le fait divers, le faux pas est pour moi d’une saveur extrême et d’un enseignement dont je refuse de me passer. Je suis fort capable de méditation au désert. Chaque fois que je vais en prison, j’y prends le plaisir le plus rare et j’ai compris l’appétit de l’homme pour les couvents ; mais j’aime également la vie quand elle est compliquée. Je me suis efforcé de décrire le monde, non pas comme il est mais comme il est quand je m’y ajoute, ce qui, évidemment, ne le simplifie pas. Je l’ai fait avec ce que je crois être de la prudence. J’entrechoque mes découvertes. Je ne jongle pas."
Volpi, prince de la Venise moderne (2017)
Sortie : 2017. Biographie
livre de Bernard Poulet
Chaiev a mis 6/10.
Annotation :
A travers son ouvrage, Bernard Poulet poursuit deux buts : raconter le trajet hors du commun du « dernier doge » de Venise, Giuseppe Volpi et en profiter pour faire le portrait d’une ville moribonde qu’un homme tente de secouer une dernière fois avant sa disparition programmée. Le premier terme de l’équation a un peu du mal à convaincre : Volpi - jeune homme d’affaire aux dents longues parti de rien et devenu à force d’intrigues ministre de Mussolini et milliardaire au bras long - a certes connu une réussite fulgurante mais son personnage n’a rien de très reluisant. Malgré tout les efforts de Poulet, on a du mal à voir en lui autre chose qu’un opportuniste malin, adepte du « transformisme politique » cette pratique politique apparue en Italie consistant à contourner la dialectique gauche/droite par un prétendu pragmatisme qui permet les pires compromissions et les retournements de veste sans scrupule.
Le deuxième volet que développe Poulet, en revanche, ne manque pas d’intérêt tant la position de Venise dans l’Italie de la première moitié du XXe siècle est passionnante. Ville parcourue par les fantômes de sa splendeur passée, cosmopolite et décadente, elle est une véritable provocation pour le pouvoir fasciste et les menées à la fois industrielles et culturelles de Volpi pour faire de la Sérénissime un bastion de la modernité ne manquent pas d’une évidente dimension romanesque. A travers l’histoire de ces quelques décennies, l’auteur donne à voir tout le paradoxe de Venise, écartelée entre le passé qui la fait survivre et l’avenir qui l’étouffe : ce n’est pas tant Venise qui refuse la modernité, mais bien la modernité qui veut la peau de Venise, ce témoin gênant de tout ce qu’il faut désormais détruire pour « aller de l’avant ». Une destruction savamment orchestrée, puisque désormais les autorités italiennes ont décidé de laisser les milliers de visiteurs avides - en quête de clichés clinquants - la tuer à petit feu touristique, pas trop doucement mais très surement.
Comment l'art devient l'Art
dans l'Italie de la Renaissance
Sortie : mai 2007 (France). Essai
livre de Edouard Pommier
Chaiev a mis 9/10.
Annotation :
Une plongée captivante dans l’art de la Renaissance italienne avec un angle d’attaque finalement beaucoup plus riche qu’on ne pourrait le croire : la naissance de la figure de l’Artiste, et son accession progressive aux plus haut degrés de l’admiration générale. Car ce que montre Pommier avec précision et méthode - mais sans jamais se montrer pédant ou ennuyeux - c’est que l’invention d’une nouvelle façon de peindre va de pair avec l’invention d’une nouvelle façon de considérer l’Art et ceux qui le font. Une double invention progressive et intuitive, qui permettra aux peintres de passer du rang de simples artisans à celui d’hommes illustres, véritable fierté de leur Cité et sujets d’une discipline encore balbutiante : l’histoire de l’art. De Giotto à Michel-Ange et Titien, de Florence à Rome et Venise, l’auteur retrace ces deux cent ans mouvementés, en se focalisant avec une grande finesse sur le « qui » et le « comment » plutôt que sur le « quoi » et le « pourquoi ».
La Légende du saint buveur (1939)
Die Legende vom heiligen Trinker
Sortie : décembre 2016 (France). Roman, Conte
livre de Joseph Roth
Chaiev a mis 9/10.
Annotation :
Alors que réfugié à Paris après avoir fui l’Allemagne nazie, il s’enfonce peu à peu dans la maladie, l’alcoolisme et l’oubli, Roth parvient tout de même à écrire quelque mois avant sa mort ce petit conte étonnant, trouvant la force de transformer le désespoir en éclats lumineux et moqueurs. Il y a comme un petit miracle de transfiguration qui opère tout au long de cette courte histoire d’un clochard silésien à qui soudain le sort sourit. Pas de larmes sans joie, et pas non plus de bonheur sans drame, le carousel de Roth tourne pour une dernière petite virée, sur un air tragi-comique d’accordéon, avec une naïveté assumée – une sorte de dépouillement tendrement amusé auquel seul peut arriver celui qui est déjà passé de l’autre côté de l’espoir.
« Et ils ne surent plus que faire l’un de l’autre. Ils avaient gaspillé ce moment essentiel qui est donné en partage à l’homme et à la femme. Aussi décidèrent-ils de faire ce à quoi se résolvent les hommes de notre temps sitôt qu’ils ne savent plus que faire. Ils allèrent au cinéma. Et ils demeurèrent assis là, côte à côte. Mais, pour eux, il n’y eut ni ténèbres ni obscurité et c’est dans un pauvre demi-jour qu’ils se donnèrent la main, notre ami Andreas et la jeune fille. Il lui serrait la main, mais sans aucun plaisir et cela le faisait souffrir. Lui, Andreas. Alors à l’entracte, il décida de sortir dans le hall avec la jolie fille et de boire ; et ils sortirent tous deux et ils burent. »
L'Artiste du beau (1844)
The artist of the Beautifull
Sortie : 15 avril 2004 (France). Recueil de nouvelles
livre de Nathaniel Hawthorne
Chaiev a mis 8/10.
Annotation :
Autre nouvelle parue d’abord dans la United States Magazine and Democratic Review en 1844 puis deux ans après dans Mosses from an old Manse, L’artiste du Beau continue à explorer les territoires de l’imagination, en se focalisant cette fois sur le personnage d’un inventeur horloger, obsédé par sa mission d’artiste au point de tout sacrifier à sa vision idéale. Jouant avec beaucoup de nuances avec un thème assez commun, Hawthorne se plait comme à son habitude à déjouer tous les a priori de son lecteur, en maître absolu du contre pied. Ce qui tout d’abord ressemble à une allégorie classique d’un artiste en butte avec un monde trop pragmatique pour lui, se transforme petit à petit en une vision d’une richesse infinie grâce à la palette impressionnante de l’auteur et à son horreur des solutions toutes faites et trop simplistes. Décidément, la force d’Hawthorne est de ne jamais être là où on l’attendrait, et de savoir comme personne capter le réel dans tout ce qu’il a de paradoxal et d’ambigu.
Le Hall de l'imagination (1843)
Sortie : mai 2006 (France). Recueil de nouvelles
livre de Nathaniel Hawthorne
Chaiev a mis 7/10.
Annotation :
Trois courtes nouvelles parues entre 1843 et 1845 dans la United States Magazine and Democratic Review (on les retrouvent également dans le recueil Mosses from and old Manse), tournant chacune autour du thème de la rêverie et de l’imagination, avec l’humour et la légère ironie propre à Nathaniel. Le premier texte décrit un bâtiment merveilleux où se retrouvent, loin de la Terre, tous les artistes, penseurs, réformateurs, et doux rêveurs qui préfèrent le monde des songes à celui des « circonstances », le second raconte avec alacrité une réception dans un palais flottant tout aussi imaginaire, et le dernier présente un pauvre fou persuadé d’entretenir des relations privilégiées avec des morts célèbres, qu’il croit toujours en vie. Trois petits contes bien tournés, mêlant avec facétie les plaisirs de l’imagination et ses dangers, l’horreur de la brute réalité et les parfums enivrants que pourtant elle est seule à pouvoir faire respirer.
Une âme perdue (1966)
Un’anima persa
Sortie : 1 septembre 2011 (France). Roman
livre de Giovanni Arpino
Chaiev a mis 7/10.
Annotation :
Ecrit trois ans avant Parfum de femme, Une âme perdue souffre un peu des défauts inverses : cette fois, le livre a un peu du mal à démarrer mais son histoire va en s’étoffant et en se complexifiant, par contre le style de l’auteur manque ici cruellement d’originalité et de profondeur, et ne parvient pas réellement à réaliser toutes les promesses du sujet. Le problème principal tient peut-être au choix de la voix narrative, le roman adoptant la forme du journal intime, celui d’une adolescent orphelin arrivant chez sa tante et son oncle à Turin pour y préparer son baccalauréat. Ingénu et innocent, Tino se retrouve confronté à la folie et aux mensonges d’adultes corrompus qui cachent leurs turpitudes sous la façade bourgeoise des convenances. Mais l’écriture est bien trop sage et convenue pour traiter de telles abimes et rendre le vertige du jeune héros.
L'Affaire Courilof
Sortie : 1933 (France). Roman
livre de Irène Némirovsky
Chaiev a mis 6/10.
Annotation :
Nemirovsky se met dans la peau d’un jeune anarchiste russe légèrement blasé, envoyé en tant que médecin chez le ministre de l’éducation (on est avant la révolution de 1905) pour organiser sa mise à mort. Evidemment, le fait de passer tout un été avec l’ennemi, terrible extérieurement mais finalement assez pitoyable vu de près, va petit à petit miner les derniers restes de motivation du révolutionnaire apprenti. Le récit est efficace et nuancé (on évite le côté lourdingue des Justes de Camus), mais reste tout de même terriblement prévisible, l’auteure ne parvenant pas vraiment à insuffler du souffle ou du romanesque dans un texte très sage, qui ne fait qu’effleurer la situation.