Paul Verhoeven - Commentaires
Animé d’un esprit iconoclaste et sainement subversif, Verhoeven a su infiltrer la machine hollywoodienne pour y nicher sa vision acide et désenchantée, nourri d’un humour cinglant. Aux USA ou chez lui, son œuvre est celle d’un moraliste à la fois lucide et sarcastique, qui revendique la logique et ...
Afficher plus15 films
créee il y a plus de 12 ans · modifiée il y a environ 3 ansTurkish Délices (1973)
Turks Fruit
1 h 52 min. Sortie : 8 novembre 1973 (France). Drame, Romance
Film de Paul Verhoeven
Thaddeus a mis 6/10.
Annotation :
Ça commence comme une version trash et anticipée des "Valseuses", avec un blond loubard de cité programmé sur l’efficacité de son chibre qui enquille les meufs, et ça finit comme "Love Story", au chevet d’un lit d’hôpital, tandis que la dulcinée du même tombeur agonise crûment. Ce serait même triste et mélodramatique à pleurer si Verhoeven n’était pas si ouvertement porté sur les notations triviales, les détails putrides, les saillies provocatrices, et sur la charge à l’acide gastrique de la tartuffe petite bourgeoisie hollandaise. Selon la tolérance de chacun, on pourra donc trouver plus ou moins émouvante (ou rebutante) cette love story roulée dans les humeurs corporelles (sang, vomi, excréments), cette approche crado-porno-scato qui heurte la sensibilité autant qu’elle la stimule.
Katie Tippel (1975)
Keetje Tippel
1 h 40 min. Sortie : 6 mars 1975 (Pays-Bas). Drame, Romance, Historique
Film de Paul Verhoeven
Thaddeus a mis 6/10.
Annotation :
Fidèle à sa manière, Verhoeven roule les clichés du mélodrame historique dans la fange et nous plonge le nez dans les bas-fonds miséreux d’Amsterdam à la fin du XIXème siècle. La fille aînée d’une famille de pauvres hères y vit un destin à la Cendrillon : sortie du caniveau, elle passe de laveries sordides en bordels et en sanatoriums, toujours victime de la convoitise que suscitent son corps et son innocence sur les autres, avant de rencontrer par hasard l’homme qui la fera accéder au monde de la haute. Si le cinéaste freine, de façon toute relative, son penchant pour la provocation, il injecte une bonne dose d’ironie sarcastique à une trajectoire qui n’a cependant rien de voltairien tant se manifeste comme souvent son attachement à une héroïne libre et fière, mais poussée dans ses derniers retranchements.
Soldier of Orange - Le Choix du destin (1977)
Soldaat van Oranje
2 h 33 min. Sortie : 18 septembre 2007 (France). Drame, Thriller, Guerre
Film de Paul Verhoeven
Thaddeus a mis 6/10.
Annotation :
Aux commandes de la production la plus imposante procréée jusqu’alors par le cinéma néerlandais, le réalisateur lisse sensiblement son inspiration et rassemble dans un cadre qui lui est cher tous les ingrédients romanesques de ce qui, pendant trop longtemps, ne relève que du téléfilm de luxe. Amitiés contrariées, destins ballotés par l’Histoire, trahisons, relances et retournements dramatiques, louvoiements de l’intégrité et de la compromission… Rien ne manque à cette fresque moins réaliste que rocambolesque, si ce n’est l’essentiel : l’ironie cinglante, le goût du clair-obscur, l’ambigüité constitutive formant une vision du monde d’ordinaire imperméable aux conventions. La dernière heure a beau retrouver en partie cet esprit, il faudra attendre "Black Book" pour voir le grand film sur le sujet.
Spetters (1980)
1 h 50 min. Sortie : 4 novembre 1992 (France). Comédie dramatique
Film de Paul Verhoeven
Thaddeus a mis 6/10.
Annotation :
Cette chronique rugueuse s’ouvre un registre bêtifiant (courses de moto et blagues potaches sur fond de disco) pour mieux déranger par son âpreté dès qu’apparaît la femme, garce fatale et cynique. Car si l’opportuniste n’est pas avare de ses charmes, elle réclame en retour une promotion sociale dont la quête oblige ses trois prétendants à oublier leur belle amitié et leurs doux enfantillages pour se frotter abruptement aux dures réalités de l’existence. Avec noirceur et crudité, Verhoeven dresse ainsi le portrait de trois adolescents déchus en n’épargnant rien de leurs sordides désillusions, illustre la désespérance et le quotidien sinistre d’une banlieue d’Amsterdam à la manière d’un Pialat batave, et souligne le destin étriqué de ces godelureaux censés perdre peu à peu les rêves fous de leur jeunesse.
Le Quatrième Homme (1983)
De vierde man
1 h 42 min. Sortie : 25 mars 1992 (France). Drame, Thriller
Film de Paul Verhoeven
Thaddeus a mis 8/10.
Annotation :
Une araignée piégeant les mouches dans sa toile, une rencontre incongrue avec un mystérieux cortège d’enterrement dans une gare de province, un bouquet de fleurs rouges associé à quelques baquets de sang d’abattoir… Autant d’images fascinantes, distillées le long d’un psycho-thriller fertile en visions maléfiques, fantasmes (homo et hétéro) sexuels et délires blasphématoires, et dont l’onirisme ésotérique n’est pas sans évoquer par anticipation le cinéma de Lynch. Construit avec une rigueur d’architecte, le film excelle à semer une multitude de petits cailloux pour mieux nous perdre dans un labyrinthe vertigineux entre cauchemar et réalité, chimère créatrice et paranoïa mythomane, et mêle avec une audace sardonique le symbolisme le plus cru et le fantastique le plus vénéneux. Énorme.
La Chair et le Sang (1985)
Flesh + Blood
2 h 06 min. Sortie : 2 octobre 1985 (France). Aventure, Romance
Film de Paul Verhoeven
Thaddeus a mis 8/10.
Annotation :
Chaos et violence dans l’Europe moyenâgeuse, où tortures et trahisons servent de toile de fond à un affrontement sans merci, où un prince abandonné par ses troupes assiste impuissant à la désintégration de son royaume d’ombres. Oubliées les images d’Épinal, la beauté propre des fresques médiévales : Verhoeven plonge dans les entrailles et les soubresauts d’une époque barbare avant qu’ils ne cèdent la place aux raffinements de la Renaissance. Sur les traces d’un groupe de mercenaires semant la mort et la désolation, il reconstitue le début du XVIè siècle avec un grand souci d’exactitude historique : entre la fureur des batailles sanguinaires et l’ombre menaçante de la peste, l’épopée impose une crudité presque nauséeuse, et dresse le beau portrait, à contre-courant, d’une femme libre.
Top 10 Année 1985 : http://lc.cx/UVt
RoboCop (1987)
1 h 42 min. Sortie : 20 janvier 1988 (France). Action, Policier, Science-fiction
Film de Paul Verhoeven
Thaddeus a mis 8/10.
Annotation :
Avec son ticket d’entrée à Hollywood, le cinéaste prend cette fois la direction du futur, un avenir suffisamment proche pour lui permettre d’achever une première peinture décapante de la société américaine contemporaine, entre dérives sécuritaires et fascisme technologique, surveillance publique et privatisation des institutions policières. Là encore, le film ne fait dans la demi-mesure : ponctuée d’éclats bien saignants, de piques sarcastiques, de réflexions acerbes dont l’humanisme désillusionné se cache sous une ironie presque vindicative, la dystopie sociale se double d’une fable amère sur l’humanité volée d’un héros à la recherche de son identité et de ses origines – nouvelle créature de Frankenstein hantée par la résurgence de ses souvenirs. Le tout servi avec l’efficacité brute d’un film d’action explosif.
Top 10 Année 1987 : http://lc.cx/UVy
Total Recall (1990)
1 h 53 min. Sortie : 17 octobre 1990 (France). Science-fiction, Action, Aventure
Film de Paul Verhoeven
Thaddeus a mis 9/10.
Annotation :
Deuxième incursion dans la SF, deuxième réussite éblouissante (en attendant encore mieux). En posant la question de savoir si l’humain est maître du progrès technologique ou s’il en est la victime, le cinéaste orchestre une machination diabolique à base de retournements identitaires, de manipulations complexes et de contradictions perceptives : fantasmes schizophréniques d’un manipulé du cérébro-spinal, rêverie d’un cobaye lobotomisé ou réalité d’une mission commando contre un tyran planétaire, spectateur, régale-toi. Le spectacle, jouissif et emporté par l’humour musclé de Schwarzie, porte pleinement la marque du cinéaste : excès graphiques, décors criards, violence outrancière (les yeux exorbités, totalement abusé) ne sont pas gratuits, mais révèlent un goût mordant de la subversion et de la provocation. J’adore.
Top 10 Année 1990 : http://lc.cx/UuE
Basic Instinct (1992)
2 h 07 min. Sortie : 8 mai 1992 (France). Drame, Thriller, Érotique
Film de Paul Verhoeven
Thaddeus a mis 7/10.
Annotation :
Curieusement (ou non), ce qui reste sans doute le film le plus fameux de l’auteur est peut-être le plus rentré, intériorisé, mental. Non pas qu’il abdique quoi que ce soit de sa sulfureuse personnalité, mais tout ici est calculé au millimètre, dans un jeu de dupes corsé d’érotisme (pas si torride que ça) et de perversité qui agence un suspense trouble et alambiqué juste comme il faut autour du meurtre, de la séduction et de la folie, où tous les personnages ont un passé qui ressemble à une poubelle mal vidée. Verhoeven décline les leçons du thriller hitchcockien en un puzzle fascinant, dont la sophistication froide renvoie à la servitude aux pulsions primaires (vieille histoire d’Éros et de Thanatos) et s’amuse à rejouer sur un mode progressiste l’éternel jeu des rapports hommes-femmes.
Showgirls (1995)
2 h 11 min. Sortie : 10 janvier 1996 (France). Comédie dramatique
Film de Paul Verhoeven
Thaddeus a mis 9/10 et a écrit une critique.
Annotation :
C’est un conte, bien sûr. Un "Alice in Horrorland" jouant de son décor, de ses protagonistes, de sa mécanique éprouvée, rivalités, ascension, conflits d’égo, épilogue on the road again, pour modifier en permanence, quasiment scène par scène, la ligne de partage entre bons et mauvais. En plongeant sa jeune danseuse dans le stupre infernal et la vulgarité marchande de Vegas, il désigne son exploitation, son mensonge et sa laideur monstrueuse mais ne ménage au public aucune position de repli ni de surplomb, et jette tout bonnement l’Amérique au bûcher de ses vanités. La grande beauté du film est de préserver le parcours de son héroïne verhoevienne en diable, qui s’immerge dans un monde obscène mais refuse de se compromettre, qui travers la fosse à purin, jusqu’à la gloire, sans trahir ses amis ni se renier elle-même.
Starship Troopers (1997)
2 h 09 min. Sortie : 21 janvier 1998 (France). Action, Science-fiction, Guerre
Film de Paul Verhoeven
Thaddeus a mis 9/10 et a écrit une critique.
Annotation :
Comment pirater de l’intérieur l’idéologie lisse de l’industrie hollywoodienne, et dépenser des dizaines de millions de dollars pour la plus féroce et iconoclaste des attaques contre le système ? Supérieurement retors et intelligent, Verhoeven largue sa bombe à fragmentations en la masquant sous un hommage primaire à la SF bourrine des années 50. La satire est dévastatrice, fonctionnant par inversion : des garçons et des filles jolis comme des poupées californiennes, propagandistes d’un fascisme aux dents blanches, se font écharper par des monstres arachnéens. À travers le combat voluptueux de la silicone et du numérique, le cinéaste adopte une démarche quasiment brechtienne, dont l’incendiaire puissance de frappe n’est, aujourd’hui encore, sans doute pas très bien perçue par tout le monde.
Top 10 Année 1997 : http://lc.cx/UPQ
Hollow Man - L'Homme sans ombre (2000)
Hollow Man
1 h 52 min. Sortie : 20 septembre 2000 (France). Thriller, Science-fiction, Épouvante-Horreur
Film de Paul Verhoeven
Thaddeus a mis 7/10.
Annotation :
S’il freine quelque peu son ironie provocatrice, le cinéaste n’en trouve pas moins à exercer sa veine subversive à travers cette relecture moderne de l’homme invisible, qui insiste sur la dimension sexuelle puis criminelle du mythe (déjà présente dans le roman originel de H.G. Wells). Moraliste et pessimiste, Verhoeven s’approprie la technique la plus moderne pour la mettre au service d’un récit à l’ancienne. La volonté de puissance, la paranoïa et l’assouvissement des bas instincts en situation extrême nourrissent une réflexion cinglante sur la finalité du progrès, la nature de l’homme, les pouvoirs du désir une fois transgressées grâce à la science les limites de l’identité, sans que jamais cet aspect ne prenne le pas sur le suspense d’un divertissement supérieurement exécuté.
Black Book (2006)
Zwartboek
2 h 25 min. Sortie : 29 novembre 2006 (France). Drame, Guerre
Film de Paul Verhoeven
Thaddeus a mis 8/10.
Annotation :
De retour dans son pays, le réalisateur aborde frontalement le sujet complexe de la Résistance, dont il dresse un tableau saisissant de noirceur et de lucidité carnassière. La trajectoire emblématique d’une héroïne animée par la rage de survie et meurtrie par le chaos de son époque dessine un superbe portrait de femme indépendante, qui oscille entre les codes romanesques du film de guerre, d’espionnage ou d’aventures. Sans compromis dans sa vision du monde et des êtres, l’auteur trouve dans la réversibilité permanente des pôles manichéens et des apparences, le jeu dérisoire des revirements idéologiques, la matière d’une fresque dense, feuilletonnesque, pleine de péripéties folles et de suspense échevelé, qui fait déplacer les positions théoriques et bouscule les idées reçues. Remarquable.
Elle (2016)
2 h 10 min. Sortie : 25 mai 2016. Drame, Thriller
Film de Paul Verhoeven
Thaddeus a mis 9/10.
Annotation :
Dix ans d’inactivité n’auront pas entamé le tempérament iconoclaste et l’audace joueuse d’un artiste qui a rarement été aussi pleinement maître de ses moyens. Avec cet exercice d’équilibriste entre tableau de mœurs, thriller bizarroïde et portrait d’une femme transformant ses gouffres intérieurs en incoercible énergie, Verhoeven envoie valdinguer les codes d’un certain cinéma franco-bourgeois pour en faire jaillir un éblouissant bouquet de questions en suspens. Filmé au rasoir, avec une clarté rhétorique qui n’exclut ni le trouble ni la gravité, le film parvient à juguler névroses et faiblesses de personnages auquel il laisse toujours une chance – mieux, il célèbre leur faculté à se régénérer, à puiser dans l’épreuve et le conflit une force nouvelle, et promeut un humanisme vitaliste, paradoxal, tout à fait caractéristique de son auteur.
Top 10 Année 2016 : https://lc.cx/JSbQ
Benedetta (2020)
2 h 06 min. Sortie : 9 juillet 2021. Biopic, Drame, Historique
Film de Paul Verhoeven
Thaddeus a mis 8/10.
Annotation :
Il n’est pas de sujet plus verhoevenien que ce portrait de femme trempé dans l’ambivalence de la comédie humaine, qui rappelle que n’être (délibérément) pas subtil n’exclut pas d’être (foncièrement) très intelligent. L’auteur y travaille en actes la question de la croyance, sa mise à l’épreuve des institutions religieuses, son amplification par le spectacle, sa traduction matérialiste aux émois du corps – citadelle de chair et de sang, vecteur de jouissances, de douleurs et de désirs où tout s’active. La force franche et la beauté parfois déroutante du film résident dans ce prosaïsme irréductible par lequel le concret se nourrit au mystique, la manipulation se mêle au sentiment, le mordant de la satire ajoute à la gravité du drame. Il neutralise ainsi toute provocation pour atteindre, sans jamais la boucler, la plénitude du sens.