Pérégrinations littéraire : été 2018
25 livres
créée il y a plus de 6 ans · modifiée il y a environ 6 ansTravailleurs de la nuit
Sortie : 13 septembre 2011 (France). Essai
livre de Alexandre Marius Jacob et Alexandre Jacob
Marius Jouanny a mis 7/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
Ce petit recueil propose en premier lieu le magnifique discours de Marius Jacob prononcé à son procès pour expliquer pourquoi il est devenu anarchiste cambrioleur. Il est suivi d'un récit de son arrestation dans la pure tradition du feuilleton romantique du XIXème siècle. Deux éléments marquent : la verve littéraire du cambrioleur dont le radicalisme fait passer n'importe quel black block pour un enfant de chœur. Et les éléments théorique et anthropologique qu'il parsème avec grande intelligence sur la justification profonde de sa démarche. Cela fait finalement de ce petit livre un écrit idéal pour s'introduire facilement à la pensée anarchiste, tant il est accessible et rapide à lire.
Grèves et joie pure (2016)
Une arme nouvelle, les occupations d'usine, 1936
Sortie : 5 mai 2016. Articles & chroniques, Politique & économie
livre de Simone Weil
Marius Jouanny a mis 7/10.
Annotation :
Ce recueil d'articles de Simone Veil sur les grèves de 1936 permet en 100 pages de comprendre les enjeux et d'expliquer la formidable mobilisation de la classe ouvrière à ce moment de l'histoire. Il part déjà, et c'est bienvenu, de la condition d'ouvrière de l'auteure qui décrit ses journées de travail dans une usine de métallos. Son oeuvre exprime ainsi une qualité unique : mêler intimement la théorie et la pratique. Cela lui permet de formuler une thèse singulière : les ouvriers se sont soulevés principalement grâce à la victoire de Léon Blum, mais aussi parce que leurs conditions de travail insoutenables les obligeaient à se défaire pour un temps de leurs chaînes. La déchéance physique et morale du travail à l'usine ne pouvait qu'amener à des grèves de cette ampleur. D'autre part, le dernier article permet d'expliquer l’essoufflement de la grève qui s'est finalement contentée des accords de Matignon malgré des prolongations tout l'été 36.
Dans la dèche à Paris et à Londres (1933)
Down and Out in Paris and London
Sortie : 1982 (France). Autobiographie & mémoires
livre de George Orwell
Marius Jouanny a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
Dans le même style journalistique et dépouille que "Hommage à La Catalogne", George Orwell livre un récit criant d'authenticité sur ses mois de déche à Paris et à Londres, dans une misère qui lui était assez inhabituelle venant d'un milieu bourgeois. Il dresse un portrait du milieu qu'il découvre, celui concernant Paris des hôtels miteux, des chômeurs priant chaque jour pour trouver un travail, des grands restaurants parisiens qui emploient leur basse main d'oeuvre pour un salaire de misère. Celui, pour Londres, des vagabonds contraints de migrer chaque jour d'auspice en auspice pour espérer être nourris au pain rassi. La proposition de l'auteur tient dans un aller-retour permanent entre la description scrupuleuse, l'hommage rendu à tous ces hommes sans voix, et le recul théorique qui lui font se poser des questions fondamentales sur les conditions de la pauvreté et comment y remédier. Formidable portrait de son époque, traité théorique satisfaisant, voilà encore un grand livre d'Orwell.En cours.
L'Insurrection qui vient (2007)
Sortie : mars 2007. Essai
livre de Comité Invisible
Marius Jouanny a mis 7/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
Que cet essai soit devenu le livre de référence de l'anarchisme d'aujourd'hui en France n'est pas étonnant, tant sa critique de notre société est radicale. Ce, parce qu'il se révèle carrément un pamphlet contre notre civilisation toute entière. Celle-ci est décrite comme un cadavre que l'on porte sur notre dos, et qu'il nous faut balancer par-dessus l'épaule, geste bien plus difficile qu'il n'y paraît. A l'uniformité morbide de la métropole, Le comité invisible oppose une explosion de vie qui déborde à chaque instant, des émeutes de banlieue aux nombreuses expériences d'autogestion à travers le monde qu'il décrit. En cela, "L'insurrection qui vient" se veut avant tout un manuel révolutionnaire, qui ne décrit pas comment se révolutionner mais dans quel cadre politique on est susceptible de pouvoir le faire. Il glisse ensuite sur une pente romantico-révolutionnaire un peu anachronique à mon sens. En effet, si la démonstration est lucide sur l'étendue des pouvoirs de nos ennemis, elle l'est moins sur la capacité de révolte des individus. Que le peuple prenne les armes, dans la France du XXIème siècle ? Cela n'arriverait que si les CRS se mettait à mitrailler la foule à balles réelles, et encore. Pour le reste, l'invitation du Comité Invisible à s'organiser est aussi belle qu'historiquement désirable : en se défiant des organisations politiques traditionnelles, il entend redonner toute sa force subversive à l'autogestion, loin de la bureaucratie soviétique des partis politiques.
Le Horla (1886)
Sortie : 1887 (France). Nouvelle
livre de Guy de Maupassant
Marius Jouanny a mis 5/10.
Annotation :
Je n'ai pas très bien compris l'engouement général pour cette nouvelle de Maupassant qui a pour seule singularité d'être un récit fantastique au sein d'une oeuvre réaliste. Pour le reste, cela aborde des questionnements sur notre perception humaine et sur le surnaturel de manière tout à fait prosaïque.
Le Pont de la rivière Kwaï (1952)
Sortie : 1952 (France). Roman
livre de Pierre Boulle
Marius Jouanny a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
Je conviens que dans son opposition entre les Occidentaux et les Japonais, Pierre Boulle manque de finesse, figurant des archétypes qui desservent la force de son récit. Le principal problème étant d'ailleurs qu'on ne parvient pas trop à savoir dans quelle mesure les description à charge contre la civilisation japonaise sont les représentations des personnages occidentaux ou celles de l'auteur lui-même.
Mais là n'est pas l'essentiel : avec la figure du colonel prisonnier Nicholson, l'auteur parvient à saisir tout le paradoxe de l'idéologie d'endoctrinement militaire. Au nom de la supériorité des Anglais, de leur discipline et leur technique, le militaire organise la construction du pont japonais comme s'il s'agissait d'une construction en faveur de son propre camp. Ainsi, Pierre Boulle que le fanatisme de l'action, bien qu'il soit idéologique, est aveugle. Il peut se révéler une ardeur passionnelle sans attache si ce n'est celle d'un objectif à accomplir. Le trouble de la perception qu'elle engendre est d'ailleurs pertinemment détaillé dans un dernier acte exceptionnel, où le nœud dramatique du récit se révèle dans un suspens savamment orchestré.
Le Mythe du « trou de la sécu » (2007)
Sortie : avril 2007. Essai
livre de Julien Duval
Marius Jouanny a mis 7/10 et a écrit une critique.
Annotation :
Voir critique.
Poèmes saturniens (1866)
Sortie : 1866 (France). Poésie
livre de Paul Verlaine
Marius Jouanny l'a mis en envie.
Annotation :
J'ai beaucoup de mal à m'immerger dans la poésie, et il faut dire que l'esprit idéaliste jusqu'à plus soif de Verlaine ne m'y aide pas vraiment. A retenter dans 20 ou 30 ans.
À nos amis
Sortie : 22 octobre 2014 (France). Essai
livre de Comité Invisible
Marius Jouanny a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
Ce deuxième opus du Comité Invisible est nettement plus abouti que le premier. Il affine déjà son analyse du pouvoir à l'oeuvre aujourd'hui en donnant une définition assez inédite du gouvernement comme gestion de crise perpétuelle. Cette définition parvient d'ailleurs à comprendre les enjeux économiques, géographiques et technologiques ("le pouvoir ne réside plus dans les institutions, mais dans les infrastructures"). Il décèle avec une grande lucidité le projet politique des multi-nationales de la Silicon Valley, qui se concrétise par une mise au ban des milliards de personnes qui ne sont pas des technocrates. Son appel à l'insurrection en devient du même coup bien moins romantique et beaucoup plus logique : il faut prendre acte de notre relégation progressive en dehors de la métropole pour faire sécession.
D'autre part, il pose un regard sur les insurrections des années 2000 et 2010, des "printemps arabes" aux émeutes urbaines en occident pour mieux comprendre leurs échecs relatifs et mieux les dépasser à l'avenir. En cela, il se veut plutôt optimiste, voyant la multiplication de communes ces dernières années comme un processus de désaliénation sociale plutôt de bonne augure. Il s'émancipe enfin avec une certaine audace de la téléologie hégélienne, marxiste et communiste : il n'y aura jamais de monde sans lutte car il n'y a pas de vérité unique. Le bonheur politique serait dans le fait même de lutter : la leçon à tirer de nos divisions internes est donc qu'elle ne peuvent à terme que nous renforcer. N'est-ce d'ailleurs pas avec nos amis que l'on assume pleinement nos désaccords ? Dissoudre le pouvoir en assumant toutes les contradictions qu'entraînent le fait de vivre en société, tel est le parti à prendre.
Maintenant
Sortie : 14 avril 2017 (France). Essai
livre de Comité Invisible
Marius Jouanny a mis 6/10.
Annotation :
Ce troisième essai du Comité Invisible avance un propos bien plus décousu que ses deux prédécesseurs, comme si "A nos amis" avait déjà substantiellement tout dit. En attaquant tout azimut Nuit Debout, Mélenchon, Lordon, Ruffin, bref, tout ce qui n'est pas aussi radical que lui, le comité manque presque de tomber dans le commentaire politique primaire auquel il voudrait pourtant échapper. Presque, car il analyse plutôt bien l’essoufflement de Nuit Debout, qui en reproduisant les rituels parlementaires s'est condamné à la torpeur. Presque aussi, car il parvient à bien souligner la spécificité des mouvements sociaux en France depuis 2016, où le cortège de tête et les Black Block sont devenus les nouvelles marées montantes, loin devant les centrales syndicales bureaucratiques.
Notamment lorsqu'il décrit les actions violentes contre les banques comme réappropriation de biens privés et donc comme remise en cause de la propriété privée, il nourrit avec pertinence sa théorie de la destitution. Son credo ne tombe finalement ni dans le pessimisme pur, ni dans l'utopisme d'extrême-gauche habituel, en faisant l'éloge du geste et des liens que forment chaque action révolutionnaire, qui en abandonnant toute revendication trouvent une fin en elle-même. Et s'opposent en cela frontalement à la marchandisation de la moindre parcelle de vie que le Comité Invisible voudrait voir resurgir de tous les côtés, dans un débordement qui est l'essence de l'acte destituant.
Pauline (1838)
Sortie : 1838 (France). Roman
livre de Alexandre Dumas
Marius Jouanny a mis 9/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
A chaque fois que je crois m'attaquer à une de ses œuvres plus mineures que les autres, Dumas me bouleverse encore, à croire que je suis intemporellement lié à lui, à sa manière d'écrire et d'exprimer les sentiments. Car c'est cela au bout du compte que je retiens dans ses récits : leur lyrisme délicat et foudroyant, leur romantisme jusqu'au-boutiste sans être prévisible ou redondant pour autant. Ici, il aborde l'innocence d'une jeune bourgeoise détruite dans l’œuf par la découverte tragique d'une imposture. La narration est toujours très simple et théâtrale, mais c'est pour mieux réserver de vrais moments de surprise et d'autres de pure langueur, où je comprends pleinement ce que cela implique de vivre par procuration à travers la lecture.
Les Rêveries du promeneur solitaire (1778)
Sortie : 1778 (France). Autobiographie & mémoires, Philosophie
livre de Jean-Jacques Rousseau
Marius Jouanny a mis 8/10.
Annotation :
Ce dernier ouvrage laissé inachevé de Rousseau est d'une densité peu commune, tant il s'attarde sur des thèmes différents au fil des chapitres, mais toujours en totale cohérence et continuité avec le reste de son oeuvre. Etant une sorte de carnet intime non destiné à être lu par le public, on accède à la subjectivité de l'auteur dans son plus parfait dénuement. Rousseau plus que jamais s'appuie sur son vécu personnel et ses états d'âme pour conceptualiser les grandes idées de sa philosophie. Il dresse ainsi une éthique de la perception, souvent intuitive, toujours basée sur des exemples personnels très pertinents. Ainsi, il discours notamment sur sa propre expérience de ce qu'il appelle dans d'autres ouvrages l'amour de soi et le bonheur éloigné des préoccupations de notre société. Certes, l'auteur se répète plus que nécessaire sur son statut en grande partie réel de persécuté par la société de son temps. Mais il délivre surtout une vraie déclaration d'amour à la nature et à l'instant présent. Et propose d'ailleurs en marge une réflexion dialectique sur les notions de vérité et de justice plutôt étonnante. Autant dire qu'il y a beaucoup de chose à prendre dans cet essai.
L'Appel de la forêt (1903)
(traduction Pierre Coustillas)
The Call of the Wild
Sortie : 2000 (France). Roman, Aventures
livre de Jack London
Marius Jouanny a mis 8/10.
Annotation :
Jack London propose dans son premier roman une introspection totale dans la vie des mineurs d’or du grand nord américain qu’il a lui-même expérimenté. Dans un style concis et direct il propose donc une tranche de vie réel, qui a pour originalité d’être vécue à travers la subjectivité d’un chien de traîneau. Les descriptions font donc la part belle à une sensibilité animale qui place le lecteur dans un rapport à l’altérité unique et marquant.
Une société à refaire
Vers une écologie de la liberté
Sortie : 1988 (France). Essai
livre de Murray Bookchin
Marius Jouanny a mis 8/10.
Annotation :
Synthèse très dense de la pensée de Murray Bookchin, l'un des fondateurs de l'écologie sociale, cet essai croise anthropologie, histoire, philosophie et économie pour effectuer à la fois une critique de notre société et en déduire une vision utopique d'une société écologique et sans domination. Là est d'ailleurs la principale thèse de l'auteur : à rebours du marxisme, il considère que c'est la domination de l'homme par l'homme qui a engendré la domination de l'homme sur la nature, et non l'inverse. Il est donc nécessaire de combattre et abolir tous les rapports de domination de notre société pour espérer l'établir sur des bases écologiques. Il fustige ainsi les réflexions écologiques se basant sur une opposition essentielle entre la nature et l'homme, ou sur un spiritualisme écologique de bas étage : pour lui, l'homme est capable par la raison de vivre en harmonie avec la nature. Se nourrissant de la pensée et des actions anarchistes et démocratiques de l'Athènes antique à Fourier jusqu'à Kropotkine, ses espoirs ne réside pas dans un retour du militantisme ouvrier tel qu'il était il y a un siècle. Ils ne résident même pas par un renversement brusque du pouvoir : seule une culture de la démocratie directe, s'étendant par des assemblées locales peut prendre le dessus sur l'Etat et le capitalisme.
Beaucoup d'éléments de réflexion m'ont passionnés : la tension dialectique entre la revendication de justice (qui est une impasse, car elle nie les inégalités) et celle de liberté (qui amène à la véritable égalité, instaurée par la société, celle entre des individus qui sont inconditionnellement inégaux selon leur âge, leur condition physique, etc.). Les éléments historiques apportés sont aussi très enrichissants, tant il tend à démontrer qu'entre l'Athènes antique et 1793 les exemples de démocratie directe et de revendications libertaires ne manquent pas. Enfin, il donne pleinement son sens à la notion d'intérêt générale non pas comme somme des intérêts particuliers, mais comme cheminement historique vers des rapports harmonieux entre l'homme et la nature.
La bande dessinée, mode d'emploi
Sortie : janvier 2008 (France). Vie pratique
livre de Thierry Groensteen
Marius Jouanny a mis 7/10.
Annotation :
Thierry Groensteen livre un ouvrage prétendant délivrer une introduction accessible à l'analyse théorique de la bande dessinée. En tant qu'universitaire, il ne rempli évidemment pas cet objectif à la perfection, tant l'ouvrage pullule de références et de maniérisme universitaire habituel. Cependant on voit qu'il s'efforce d'être clair, concis et pédagogue, et s'il s'adresse au lecteur connaisseur plutôt qu'au néophyte il ne s'adresse pas uniquement à la sphère universitaire, ce qui est déjà remarquable. Le cheminement argumentatif de l'essai tend plus à une revue des différentes pistes de réflexion possible qu'à une thèse particulière, mais c'est exactement ce qu'on attend de lui. Il va donc passer en revue sans prétention à l'exhaustivité mais avec exigence les registres, dynamique de récit, du dessin narratif, pour esquisser en creux ce qui fait la spécificité du médium bande dessinée. La partie sur le jugement esthétique est moins intéressante, mais la conclusion sur le plaisir spécifique à la lecture de la bande dessinée l'est nettement plus, parvenant à formuler en quoi le texte et l'image sont indissociables plus que dans n'importe quel autre art.
Les Aventures d'Arthur Gordon Pym (1838)
The Narrative of Arthur Gordon Pym of Nantucket
Sortie : 1858 (France). Roman
livre de Edgar Allan Poe
Marius Jouanny l'a mis en envie.
Annotation :
J'ai tenté les deux premiers chapitres. J'ai été assez vite lassé d'une narration trop dilatée à mon goût par rapport à ce que je peux attendre d'un livre d'aventure maritime.
Le Droit à la paresse (1880)
Réfutation du « Droit au travail » de 1848
Sortie : 1883 (France). Essai, Politique & économie
livre de Paul Lafargue
Marius Jouanny a mis 7/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
En théorisant un "droit à la paresse" contre le "droit au travail", le pamphlet de Lafargue de 50 pages invoque l'un des terreaux malheureusement un peu oublié du communisme (et notamment par les régimes communistes du XXème siècle) : la réflexion anthropologique que l'homme n'a pas de raison de vivre dans une logique productiviste et que c'est justement l'exploitation judicieuse du temps où il ne travaille pas qui amène le progrès social et technique. Cela part aussi d'une autre réflexion : puisque la nature nous a pourvu de passions et de désirs à assouvir, pourquoi faudrait-il passer notre vie à les nier et les castrer, quand on peut raisonnablement les laisser s'épanouir ? De là provient quelques-unes des grandes revendications de la gauche, celle de la réduction du temps de travail et de l'accès aux loisirs. La recomposition actuelle du capitalisme montre à quel point il ne suffit pas d'employer son temps à autre chose qu'au salariat pour s'émanciper, tant ce sont nos loisirs qui aujourd'hui nous aliènent le plus. Mais Lafargue l'avait finalement bien compris, car il démontre finalement qu'une abolition des classes permettrait aux prolétaires de s'émanciper du travail et aux bourgeois de s'émanciper d'une condition oisive et luxueuse qui n'est pas sans impact négatif pour leur santé et leur bien-être.
Du côté de chez Swann (1913)
À la recherche du temps perdu / 1
Sortie : 14 novembre 1913. Roman
livre de Marcel Proust
Marius Jouanny l'a mis en envie.
Annotation :
J'ai lu 80 pages, et une chose est sûre : je compte bien m'y remettre un de ces quatre pour aller le plus loin, tant la proposition de Proust est souvent affolante de virtuosité formelle et de génie réflexif. Car il développe en creux une théorie sur la mémoire, le temps et les sensations qui n'a rien à envier à beaucoup de philosophes. D'autres passages plus anecdotiques et fastidieux me rebutent un peu et surtout me laissent penser que je ne suis pas encore dans les bonnes dispositions pour lire Proust. Cela viendra.
La Conversion (1953)
Go Tell it on the Mountain
Sortie : 1 octobre 2004 (France). Roman
livre de James Baldwin
Marius Jouanny a mis 7/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
La lecture est assez déroutante, tant elle entremêle les époques et les personnages d'une même famille de Harlem. Tant aussi, elle ne lésine pas sur de longues pauses dans le récit pour décrire le rapport des personnages au divin et au pêché. Car avant même d'être un roman sur la condition des noirs-américains, il porte sur la croyance religieuse et la possibilité de transcender sa condition et ses actes par le fervent amour de Dieu. Mais James Baldwin est lucide sur cette "conversion" : les saints ne sont pas ceux que l'on croit, et les pires actes ne seront jamais absous pour notre conscience. Malgré le désespoir et le tragique du récit, cette réflexion sur Dieu lui permet aussi quelques notes d'espoir, par le plus jeune personnage du récit. Certaines portions du récit sont plus appréciables que d'autres, selon l'empathie que l'on a pour les différents membres de la famille. Mais la conclusion permet de lier le tout avec une grande cohérence. Un premier roman perfectible mais annonciateur de grandes ambitions, en somme.
Réflexions sur les causes de la liberté et de l'oppression sociale (1934)
Sortie : 1934 (France). Essai, Politique & économie
livre de Simone Weil
Marius Jouanny a mis 10/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
Quelle claque ! Je ne sais pas par où commencer, tellement Simone Weil propose à seulement 25 ans une proposition de théorie politique définitive et d'une densité inouïe, en seulement 150 pages. Son but n'est pas de rentrer dans les détails, mais de définir de grands principes novateurs à un usage pratique : que faire pour combattre les oppressions sociales ? L'essai s'articule d'abord comme une synthèse critique sur les différentes formes de domination et la possibilité (remise en question avec une grande lucidité) d'une révolution pour les abolir. C'est pourquoi tout le premier chapitre s'efforce de faire une critique cohérente du marxisme : en prouvant à quel point Marx croyait trop en l'incapacité du capitalisme de survivre à ses propres contradictions, elle démontre le caractère messianique de sa pensée, qui se retrouve logiquement dans la rhétorique stalinienne.
Elle développe ensuite sa propre analyse du pouvoir, qui ne cessant jamais de transformer ses conditions d'existence échappe à toute caractérisation définitive. Là est la grande force de sa thèse : plutôt que de se cantonner à une analyse des oppressions telles qu'elles sont à son époque et à en conclure des solutions toutes faites, elle en détermine les principes généraux avec l'aveu de l'insuffisance de sa réflexion. Le principal trait qui rend sa thèse quelque peu fataliste, c'est que la hiérarchisation des tâches de notre société est très difficilement réversible, tant elle revient au galop à la moindre occasion. Elle touche ainsi du doigt le caractère infernale de la technocratie et la bureaucratie, bien avant les analyses sur les régimes totalitaires.
Sa réflexion se porte ensuite sur le machinisme et l'aliénation que constitue le travail à la chaîne, qu'elle a pu connaître d'elle-même en travaillant dans une usine de métallurgie. En découle une définition originale de la liberté, comme utopie théorique où les hommes pourraient s’atteler à un ouvrage pratique imprévisible qui solliciterait en permanence leur capacité de raisonner. En cela, elle réhabilite la réflexion utopique pour mieux mesurer à quel point notre propre condition est éloigner de l'idéal théorique sciemment inatteignable.
Je ne saurais rassembler ici tous les traits de génies de la seule pensée à ma connaissance qui réconcilie More et Machiavel, Rousseau et Marx. En invitant à renoncer à la croyance que le moindre parti, quel qu'il soit, serait à même de diriger une révolution, son exhortation est finalement la même
Quand la gauche essayait
Sortie : octobre 2000 (France). Essai
livre de Serge Halimi
Marius Jouanny a mis 8/10.
Annotation :
Cette analyse historique de la gauche française au pouvoir au XXème siècle vaut le détour, bien qu'il ne faille pas avoir peur des pavés de 600 pages. Mais finalement, la lecture est très fluide tant ce récit aux acteurs variés (Herriot, Blum, De Gaulle, Thorez, Marchais, Miterrand...) se lit comme un bon roman. Halimi, ne tombant ni dans le dogme du refus absolu du réformisme, ni dans aucun dogme des partis en présence (PS, PCF et Parti Radical principalement) parvient à donner une trajectoire historique cohérentes à ces quatre expériences du pouvoir, à savoir le Cartel des gauche des années 20, le Front Populaire de 36, le gouvernement issue du CNR et l'arrivée de Miterrand au pouvoir.
Au-delà de la mauvaise foi et de tout analyse déterministe, il soupèse chaque contrainte qui pesait sur les épaules de ces dirigeants éphémères pour déterminer quelle était leur véritable marge de manœuvre. Le constat est sans appel : accablée par les théories économiques orthodoxes, et par des contraintes d'ordre économiques, diplomatiques qu'ils exagèrent constamment, les réformistes n'ont jamais pu tirer au mieux de leurs possibilités. Pire, ils ont souvent défendus les intérêts capitalistes mieux que la droite elle-même, par peur des représailles. Ainsi, l'auteur réhabilite le poids du choix et des représentation qui le guide pour mener une politique lorsqu'on gouverne un Etat. Et à ce petit jeu-là, les socialistes et les communistes ont souvent manqué de flair. Mais ils ont aussi appris des erreurs des expériences précédentes, pour aboutir sur des acquis sociaux majeurs. Le bilan est donc mitigé, mais fataliste uniquement sur le constat d'une gauche actuelle qui, transformée par les techniques de management et l'idéologie néo-libérale, n'essaye plus.
Rue de la Sardine (1945)
Cannery Row
Sortie : septembre 2000 (France). Roman
livre de John Steinbeck
Marius Jouanny a mis 9/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
Steinbeck décrit en 200 pages la vie d'une rue d'un quartier populaire en Californie, entre réalité et fiction (il y a vécu une partie de son enfance, on peut deviner qu'il s'inspire d'expériences vécues) avec une simplicité et une sensibilité qui mettent bien en valeur le caractère utopique du mode de vie des habitants. Compagnons de la débrouille, quelques jeunes oisifs ont élus domiciles dans un garage baptisé "le Palace", tandis qu'un couple vit dans une grande chaudière abandonnée. Des ouvriers complètent un tableau dont le petit commerce d'un chinois, celui d'un médecin sans diplôme et d'une maison de prostituée sont les liants. Plutôt que de tomber dans le simple misérabilisme, l'auteur cherche à démontrer comment la joie peut apparaître au sein de cette misère palpable, en l'occurrence par une manière de vivre en marge qui laisse rêveur. Le seul point d'ombre est le manque de recul de Steinbeck sur les pratiques patriarcales (violences conjugales, notamment) qui sont un peu banalisées dans la manière dont il les raconte. Pour le reste, il glorifie l'entraide des plus démunis sans pour autant en occulter les limites, dans un microcosme qui suscite l'étonnement à chaque page.
Chronique des indiens Guayaki (1972)
Sortie : 1972 (France). Essai
livre de Pierre Clastres
Marius Jouanny a mis 9/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
Pierre Clastres raconte son intégration au sein d'une tribu primitive d'Amérique du Sud d'une petite centaine d'hommes, les Aché Gatu. Moins analytique que dans "La Société contre l'Etat", il n'en dresse pas moins une étude de cas de sa théorie anthropologique très dense et passionnante. Les rites, le savoir oral et les pratiques des Aché sont interprétés brillamment, comme autant de signes de représentations du monde uniques en leur genre. On y a apprend que les Aché sont volontiers hédonistes, et que leur grande contradiction est de considérer toutes les autres tribus hormis la leur comme inférieure à eux, alors qu'ils s'efforcent constamment d'abolir tout rapport de domination et toute hiérarchie à l'intérieure même de leur tribu. Pierre Clastres ne lésine pas sur les détails, quitte à tomber dans la surrinterprétation ou dans l'anecdotique, mais cela ne fait que rendre la vie et le déclin de cette tribu encore plus touchant. La conclusion, dénonçant le génocide amérindien, en est d'autant plus désespérante, tant il est déchirant de constater la disparition de cultures entières à la richesse insoupçonnée comme celle des Aché Gatu.
La Pesanteur et la Grâce (1947)
Sortie : 2002 (France). Journal & carnet
livre de Simone Weil
Marius Jouanny l'a mis en envie.
Annotation :
J'ai lu les cinq ou six premiers chapitres de cet essai de Simone Weil, et compte bien m'y replonger dès que j'aurai lu d'autres de ses livres plus accessibles. Car celui-ci, s'il théorise brillamment le rapport de l'homme à Dieu, se révèle plutôt être un manuscrit inachevé, où beaucoup de tournures de phrases devaient certainement être revues par l'auteure qui est décédée avant d'avoir pu finir cet essai. La lecture s'avère donc assez frustrante, et je me la réserve quand j'aurais mieux apprivoisé l'oeuvre de Weil.
La Guerre des mondes (1898)
War of the Worlds
Sortie : 1898 (Royaume-Uni). Roman, Science-fiction
livre de H. G. Wells
Marius Jouanny a mis 7/10.
Annotation :
Lire l'un des romans fondateurs de la science-fiction moderne est intéressant en soi, tant il contient les germes de la démarche de tant de cinéaste et d'auteurs après lui, sur le plan de la crédibilité scientifique comme sur le plan de la construction d'un univers apocalyptique immersif et terrifiant. Mais le livre contient aussi un intérêt en lui-même, tant il réfléchit sur la sociabilité de l'homme civilisé dans les situations extraordinaires, et tant il peaufine un univers riche que le lecteur traverse de manière assez trépidante dans une bonne partie du bouquin. Concernant le premier et le dernier quart, le rythme est un peu trop lent et artificiel, on sent que l'auteur étire un peu trop les scènes pour les rendre crédible au détriment de la fluidité du récit. Mais cela se lit tout de même toujours très bien aujourd'hui.