Cover Words (2023)
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41 livres

créée il y a presque 2 ans · modifiée il y a 3 mois
Anthologie de l'OuLiPo
8.1

Anthologie de l'OuLiPo

Sortie : 2009 (France). Poésie

livre de Paul Fournel et Marcel Bénabou

Paul_ a mis 7/10.

Annotation :

Voilà près de 900 pages que je sirote depuis deux ans. Il y a forcément à boire et à manger comme dans toute anthologie, mais c'est un délice de découvrir toutes ces idées de contraintes poétiques (qu'on a envie de faire siennes séance tenante !) : anagrammes, lipogrammes, poèmes homophoniques bien sûr mais aussi des parodies de Proust, des dialogues amoureux uniquement constitués de titres de films, ou encore des micro-récits de masturbations simultanées dans le monde ! C'est d'une drôlerie magique, parce que les Oulipiens sont animés par une foi dans le langage et dans les libertés qu'il permet, et parce qu'ils ont l'élégance de ne jamais se prendre au sérieux. Même si les idées sont souvent plus belles en soi que leurs réalisations, on ressent toujours ce plaisir d'écrire qui est communicatif. C'est aussi l'occasion de découvrir une autre facette du travail d'Hervé Le Tellier, tout aussi doué, voire plus, sur le format du fragment. L'ouvrage compte enfin des passages théoriques intéressants, les manifestes du groupe ou ce propos de Calvino sur l'idée, qui guide en réalité tous ces humbles esprits, que l'art n'est que la découverte d'une œuvre déjà existante, présente dans les mots de la même manière qu'une statue de Michel-Ange se cache dans le marbre.

La Dernière Nuit de Don Juan
7.4

La Dernière Nuit de Don Juan (1911)

Sortie : 1911 (France). Théâtre

livre de Edmond Rostand

Paul_ a mis 6/10.

Annotation :

J'ai lu cette pièce par affection pour le travail de Rostand, mais aussi parce que – lubie personnelle – je suis toujours curieux de voir comment on écrit encore des alexandrins au XXème siècle (d'ailleurs, si vous avez des références, je suis preneur). Ici, comme dans Cyrano, les vers sont souvent tronçonnés, se chevauchant entre les répliques, peut-être un peu trop à mon goût – je préfère les monologues. En tout cas c'est toujours intéressant de découvrir la manière dont on s'empare d'un mythe : Rostand le rejoue avec modernité et humour, obligeant son Don Juan, dans un dialogue avec le diable, à reconnaître ses 1003 victimes pour obtenir son salut. L'action est également déplacée à Venise, dans le cadre d'un spectacle de marionnettes, et notre héros finit transformé en pantin du Burlador, le Don Juan original dont s'est inspiré Molière. C'est une œuvre courte, publiée de manière posthume, sans doute peu révisée, et ça se ressent : c'est plaisant à lire, on retrouve le panache de Rostand au début, puis l'écriture semble de moins en moins tenue, et les enjeux assez lourdement didactiques. Il manque un peu d'audace, peut-être d'un parfum d'immoralité. À lire comme une curiosité.

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« Plus d'un sommeil d'Infante espagnole a besoin
Que j'aille le troubler dans son blanc moustiquaire. »

« Une seule épitaphe est à Don Juan permise :
"Il naquit à Séville et mourut à Venise !" »

Le Temps retrouvé
9.1

Le Temps retrouvé (1927)

À la recherche du temps perdu / 7

Sortie : 1927 (France). Roman

livre de Marcel Proust

Paul_ a mis 10/10.

Annotation :

Relu pour donner un cours à la fac.

Il faut se farcir la première partie, qui fait un peu redite par rapport à Sodome et Gomorrhe, mais ensuite quelle masterclass... C'est autant un plaisir de retrouver toutes ces petites phrases qu'on a chéries, que de comprendre la beauté des choses qui nous avait échappé la première fois. Et cette manière si admirable de boucler la boucle : c'est au moment où le héros décide enfin d'entamer son œuvre qu'elle se termine pour nous.

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« Et c’est parce qu’ils contiennent ainsi les heures du passé que les corps humains peuvent faire tant de mal à ceux qui les aiment, parce qu’ils contiennent tant de souvenirs, de joies et de désirs déjà effacés pour eux, mais si cruels pour celui qui contemple et prolonge dans l’ordre du temps le corps chéri dont il est jaloux, jaloux jusqu’à en souhaiter la destruction. »

Réglez-lui son compte
6.1

Réglez-lui son compte (1949)

Sortie : 1949 (France). Roman

livre de San-Antonio et Frédéric Dard

Paul_ a mis 6/10.

Annotation :

Un ami m'a offert le premier tome de la belle collection « Bouquins » de Robert Laffont. De San-Antonio, je ne connaissais même pas le nom ! J'ai commencé par le début, ce premier épisode, écrit en 1949, des quelques 175 de la saga. Commissaire aux services secrets, San Antonio (qui n'a pas encore son tiret) va voyager de Marseille à Rome, souvent en très bonne compagnie, pour flanquer une raclée à des bandes de voyous. L'intrigue est clairement accessoire (on voit venir les rebondissements à des kilomètres et on peut aussi s'interroger sur cette division en deux récits autonomes), l'humour est délicieusement irrévérencieux et occasionne de francs éclats de rire mais c'est surtout la recherche stylistique qui m'a surpris. Frédéric Dard est nourri de lectures très éclectiques, des Pieds-Nickelés comme de Casanova ou de Céline et ça se ressent, entre la fluidité de la première personne et cet art naissant de l'analogie qui va faire sa renommée. Apparemment cette inventivité lexicale ne fera que croître puisque l'auteur sera à l'origine de près de vingt mille néologismes. Il n'est donc pas exclu que j'aille faire un tour du côté de ses productions plus récentes pour avoir une idée de l'évolution de son style.

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« Je commande une fine en me disant que si j'étais en tête à tête avec elle, je n'essaierais pas de lui enseigner la trigonométrie. »

« Je n'y voyais pas plus clair dans cette affaire qu'un aveugle qui chercherait un nègre dans un tunnel pendant le couvre-feu. »

Le Roi Lear
8

Le Roi Lear (1606)

(traduction Jean-Michel Déprats)

King Lear

Sortie : 1606 (France). Théâtre

livre de William Shakespeare

Paul_ a mis 7/10.

Annotation :

Lu avec un regard sur le texte original pour dérouiller un peu mon anglais, et surtout avant d'aller voir la (décevante) mise en scène d'Ostermeier. Après Tchekhov, je poursuis donc mon éducation théâtrale : toujours pas très pris par les sentiments, la folie shakespearienne me parlant peu, et en même temps bluffé par la variété des registres et des langues. L'impression que toutes les répliques peuvent faire l'objet de citations immortelles, donner matière à mille épigraphes de romans. Et souvenirs de Ran, forcément.

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« Come not between the dragon and his wrath. »

La Horde du contrevent
8.3

La Horde du contrevent (2004)

Sortie : 15 octobre 2004. Roman, Science-fiction, Fantasy

livre de Alain Damasio

Paul_ a mis 7/10.

Annotation :

Plus que l'univers et cette histoire de vingt-trois narrateurs, c'est la technicité, la scientificité des descriptions et des théories, leur vraisemblance en tout cas, qui m'a le plus impressionné. En fait on dirait une immense élaboration pour un concours d'écriture dont le thème serait le vent, et qui chercherait à en épuiser toutes les possibilités, jusque dans les expressions et les jeux de mots autour. Et c'est justement ce caractère ludique de l'entreprise qui emporte – à l'image notamment de cette joute littéraire grisante. Parce que d'un autre côté on a un peu l'impression qu'en ayant lu 100 pages on a déjà fait le tour du roman : les « combats » lassent vite par leur répétitivité, en fait tous ces résidus de fantasy un peu gênants, les checkpoints scénaristiques mais aussi le traitement des personnages féminins et l'érotisme prépubère (surtout au début). Dernier tic, ce mysticisme un peu grotesque dans lequel s'enlisent les 200 dernières pages, sorte de surenchère conceptuelle où la grandiloquence du ton et les climax à répétition trahissent l'incapacité de l'auteur à vraiment finir. Une fois qu'on a dit cela, il faut reconnaître que l'ambition jusqu'au-boutiste de Damasio force le respect, et on ressent un plaisir rare à parcourir une œuvre cataloguée SF qui exploite en même temps à fond ses moyens littéraires. Et, sans doute le plus important, on vit avec la Horde, et je me souviendrai de ces beaux personnages bigger than life, Caracole, Golgoth, Oroshi.

Le Parfum
7.8

Le Parfum (1985)

Histoire d'un meurtrier

Das Parfum, die Geschichte eines Mörders

Sortie : 1985 (France). Roman

livre de Patrick Süskind

Paul_ a mis 8/10.

Annotation :

Je suis assez surpris par les notes contrastées parmi mes éclaireurs, comme si elles étaient surtout basées sur le souvenir trompeur d'une lecture forcée au lycée. Pourtant, au-delà du fait que c'est sans doute un des meilleurs livres pour commencer à lire, c'est aussi un roman à tous points intéressant pour des lecteurs plus aguerris. On peut déjà avoir du mal à croire que ces pages ont été écrites en 1985 tant on dirait un roman classique, du XIXème siècle en tout cas, dès son brillant incipit dont la généralité rappelle celui d'Anna Karénine, mais aussi par son personnage, Grenouille, qui peut faire penser à Des Esseintes. Car si Le Parfum est un formidable document sur l'hygiène de l'époque et sur les techniques de parfumerie, distillation, macération ou enfleurage, c'est aussi une histoire d'une grande finesse psychologique, pleine d'un sarcasme délicieux, où tous les êtres qui ont le malheur de rencontrer Grenouille sont finalement aussi vils, fourbes et égoïstes que lui. Mais le plus passionnant tient évidemment à la dimension olfactive : Süskind nous rappelle par son entreprise que le but premier de la littérature, c'est de mettre des mots sur les choses, et il y a une vraie jubilation dans la nomination, d'autant plus que l'odorat est sans doute le plus ineffable des sens. L'auteur rend bien compte aussi à quel point les odeurs laissent des impressions mentales, que l'on peut ensuite rassembler dans un musée de la mémoire. Bref, c'est un grand roman baroque, moralement dérangeant – j'ai aussi pensé à Lolita –, Süskind comme son personnage ne reculant devant aucun obstacle. La fin est ainsi étonnante, outrancière et mégalomane, mais le tout tient par un équilibre étrange, presque miraculeux.

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« Car les hommes pouvaient fermer les yeux devant la grandeur, devant l'horreur, devant la beauté, et ils pouvaient ne pas prêter l'oreille à des mélodies ou à des paroles enjôleuses. Mais ils ne pouvaient se soustraire à l'odeur. Car l'odeur était sœur de la respiration. Elle pénétrait dans les hommes en même temps que celle-ci ; ils ne pouvaient se défendre d'elle, s'ils voulaient vivre. Et l'odeur pénétrait directement en eux jusqu'à leur cœur, et elle y décidait catégoriquement de l'inclination et du mépris, du dégoût et du désir, de l'amour et de la haine. Qui maîtrisait les odeurs maîtrisait le cœur des hommes. »

Fin de partie
7.5

Fin de partie (1957)

Sortie : 1957 (France). Théâtre

livre de Samuel Beckett

Paul_ a mis 8/10.

Annotation :

En fait, Beckett c'est un peu Shakespeare qui se serait radicalisé. Comme une des pièces de l'Anglais, mais où il ne resterait que les fous. Et Fin de partie, c'est d'abord un souvenir d'hypokhâgne avec cette réplique géniale qui fascinait ma prof de lettres : « HAMM. — On n'est pas en train de... de... signifier quelque chose ? » Beckett est vraiment le roi du méta et des jeux de mots, mais pas des jeux de mots gratuits, ceux qui vont venir remotiver les expressions figées, et remettre en question le langage qu'on utilise tous les jours. (D'ailleurs il est évident, comme quand on lit l'anglais d'un Nabokov, que cette perception originale a à voir avec une sorte de conscience extra-linguistique, le français n'étant pas la langue maternelle de Beckett.) Il faudrait aussi consacrer une thèse aux infinitifs chez Beckett, à leurs aspects grammaticaux (« finir de perdre »). Bref, l'absurde, c'est toujours un fragile équilibre entre juste assez de sens et juste assez de non-sens.

(Et la mise en scène au Théâtre de l'Atelier avec Denis Lavant et Frédéric Leidgens est top !)

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« HAMM. — Clov !
CLOV (absorbé). — Mmm.
HAMM. — Tu sais une chose ?
CLOV (de même). — Mmm.
HAMM. — Je n'ai jamais été là. (Un temps.) Clov !
CLOV (se tournant vers Hamm, exaspéré). — Qu'est-ce que c'est ?
HAMM. — Je n'ai jamais été là.
CLOV. — Tu as eu de la veine. »

Le Comte de Monte-Cristo
8.3

Le Comte de Monte-Cristo (1844)

Sortie : 1844 (France). Roman, Aventures

livre de Alexandre Dumas

Paul_ a mis 9/10.

Annotation :

Quel plaisir de lecture ! C'est un pavé énorme, mais je ne me souviens pas avoir dévoré des pages aussi vite depuis mon adolescence. Prison, trésor, duel, poison, ça c'est du roman d'aventures, mais ce n'est pas que ça, puisqu'avec les mondanités qui occupent les deux derniers tiers, c'est aussi un roman politique et social, sur les pouvoirs de l'argent et la montée de la bourgeoisie pendant la Monarchie de Juillet. Le génie de Dumas et de Maquet est multiple : celui de l'écriture, avec cette mise en scène cinématographique avant l'heure où l'on « voit » les plans, celui aussi de la focalisation, puisqu'à l'instar de Jean Valjean, Edmond Dantès est le sujet de multiples travestissements et métamorphoses (il a le même don d'ubiquité), et du point de vue interne de la prison, on va passer à un point de vue externe à travers le personnage relais de Franz (qui, comme dans Les Détectives sauvages par exemple, va permettre de prendre du recul et d'auréoler le comte de mystère) et même à un point de vue omniscient à Paris, où le comte est devenu la main de Dieu parmi les hommes. Il y a clairement quelque chose de nietzschéen avant l'heure dans ce personnage fascinant, dévoré par sa volonté de puissance, et absolument déterminé par l'école de la vie qu'a représenté pour lui la prison. On retrouve ainsi cette ambiguïté des sentiments déjà présente dans Les Trois Mousquetaires, et Dumas, fin connaisseur du cœur humain, ressemble dans ses meilleurs moments, par la primauté accordée à son récit et quand il ne flirte pas avec le pathos ou le manichéisme (mais ce sont des syndromes du siècle : je pense à l'arc narratif convenu, très Roméo et Juliette, autour de Valentine et Morrel, ou les antagonistes de théâtre de boulevard un peu trop marqués), à un Hugo délesté des gros sabots de la moralité et, en cela, me paraît beaucoup plus moderne.

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« Adieu, je retourne loin des hommes qui se font tant de mal les uns aux autres. »

Le Malade imaginaire
7

Le Malade imaginaire (1673)

Sortie : 1673 (France). Théâtre

livre de Molière

Paul_ a mis 7/10.

Annotation :

C'est quand même biographiquement légendaire, ce passage auto-ironique où Argan, joué par Molière mourant, dit « crève » à son auteur, ce qu'il fait réellement, quelques heures après la quatrième représentation de la pièce. Sinon, Jean-Baptiste relève encore des choses intemporelles, sur le placebo (le doliprane n'a fait que remplacer la saignée), l'appât du gain ou les prescriptions parfois complètement contraires des médecins. Cela donne envie de se mettre vraiment à Montaigne, dont les réflexions nourrissent le discours du rationnel Béralde. Et puis c'est encore une pièce où les domestiques prennent le dessus sur les maîtres, ce qui donne lieu à des passages très jouissifs, comme celle de la mort feinte d'Argan.

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« BÉLINE. — Quelle perte est-ce que la sienne, et de quoi servait-il sur la terre ? un homme incommode à tout le monde, malpropre, dégoûtant, sans cesse un lavement, ou une médecine dans le ventre, mouchant, toussant, crachant toujours, sans esprit, ennuyeux, de mauvaise humeur, fatigant sans cesse les gens, et grondant jour et nuit servantes et valets.
TOINETTE. — Voilà une belle oraison funèbre. »

Juste la fin du monde
7.5

Juste la fin du monde (1990)

Sortie : 19 août 2020 (France). Théâtre

livre de Jean-Luc Lagarce

Paul_ a mis 5/10.

Annotation :

Très peu pour moi, ces soliloques bourgeois et adolescents, à grand renfort d'épanorthoses, sur à quel point la famille c'est-pas-du-gâteau. Pas étonnant que Dolan se soit engouffré dans la brèche. L'idée est belle, le contenu raseur voire pas loin du ridicule. Et puis j'ai l'impression qu'on en fait une lecture biographique romantique qui déforme notre jugement du texte. Mais bon, je vais l'étudier avec mes élèves, j'espère changer d'avis.

Roberto Zucco
7.5

Roberto Zucco (1988)

suivi de Tabataba - Coco

Sortie : 1990 (France). Théâtre

livre de Bernard-Marie Koltès

Paul_ a mis 7/10.

Annotation :

En matière de théâtre contemporain, je suis déjà beaucoup plus fan de ce style-là, moins prétentieux. Le refus de la psychologie fait un bien fou ici, l'humour pince-sans-rire aussi, en décalage permanent avec la situation. On ne connaît pas l'histoire de Zucco, il tue tout le monde sur son passage mais on s'y attache quand même. C'est bien du Minuit, dans la droite lignée d'un Beckett, à la fois léger et plein d'un désespoir kafkaïen.

« Art »
7.3

« Art » (1994)

Sortie : 10 octobre 1994. Théâtre

livre de Yasmina Reza

Paul_ a mis 6/10.

Annotation :

Ma foi, j'ai trouvé le vaudeville assez rafraîchissant. C'est sûr que la réflexion sur l'art est superficielle, mais en fait elle est surtout un prétexte pour s'intéresser à l'amitié : peut-on être ami sans être hypocrite, quelles concessions doit-on faire pour vivre avec l'autre, etc. On est à mi-chemin entre le spectacle grand public et le théâtre d'auteur mais je trouve que ça reste assez bien écrit, les répliques fusent, ce qui doit donner lieu à des mises en scène assez amusantes.

Un long silence interrompu par le cri d'un griffon
7.4

Un long silence interrompu par le cri d'un griffon (2023)

Sortie : février 2023. Récit

livre de Pierre Senges

Paul_ a mis 7/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

Quel est le lien entre l'ascétisme monacal, la page blanche des écrivains et le cinéma muet ? C'est ce à quoi s'échine Pavel Pletika, lui jadis si disert, qui va s'emmurer dans le silence au moment où le régime stalinien décide de le faire parler. Si Perec s'était donné pour tâche d'épuiser le réel, Senges semble lui épuiser l'irréel en écrivant cette encyclopédie imaginaire du silence, précédée d'une biographie de son auteur tout aussi imaginaire. On est dans la lignée de Bartleby et d'Oblomov, de cette littérature négative, du renoncement, où les idées peuvent naître et être avortées dans la même phrase. Les premières pages peuvent désarçonner avec ces associations à première vue sans queue ni tête, mais c'est parce que le vrai et le faux (masques, ersatz, apocryphes...) y cohabitent dans un même régime. Comme un Chevillard, Senges joue facétieusement avec le possible, le virtuel, l'absurde – d'où une prédilection non dissimulée pour les énumérations. Il évite les lieux communs tout en montrant bien, avec ironie, qu'il les évite, et cette littérature contemporaine post-Borges, trop consciente d'elle-même, peut parfois fatiguer. Pourtant c'est un livre fragile et très précieux à la fois, parce qu'il ouvre les portes de l'imaginaire, parce qu'il fait rêver à plein d'autres livres. Et puis quand Dantès, Cottard et Casanova sont côte-à-côte dans une même phrase, je suis forcément acquis.

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« Ce silence qui gâche la vie au lieu de la distraire, sous les espèces d'une longue abstinence ou de l'anémie consécutive à l'abstinence, le mutisme abruti passant pour l'extrême plateau surélevé de la sagesse quand elle a obtenu satisfaction de tout ; le silence macabre célébré par des cadavres dansant au bras des prophètes de la disparition de tout, le silence de ceux qui ont trouvé la voie et de l'ennui profond dans les odeurs de bois ciré, de placard, d'humidité et de parures de lit. Pletika redoute aussi le silence misanthrope et fier de l'être, dans une cabane, la même cabane abrutissante depuis saint Antoine, le silence des miséricordes, des séminaires, des fleurs séchées sur une console, des Annonciations et des boîtes à biscuits sans biscuits ; le silence du cloître, lui aussi toujours le même: un psittacisme de silence. »

Penser, classer
7.6

Penser, classer (1985)

Penser/Classer

Sortie : 1985 (France). Essai

livre de Georges Perec

Paul_ a mis 9/10 et a écrit une critique.

Les Filles du feu
7.6

Les Filles du feu (1854)

Sortie : 1854 (France). Roman, Recueil de nouvelles

livre de Gérard de Nerval

Paul_ a mis 8/10.

Annotation :

Cinq ou six longues nouvelles chacune sous l'égide de sa patronne, Angélique, Sylvie, Octavie, Isis et Corilla, et autant d'aimables romances sans lendemain, rêveries du promeneur solitaire, pèlerinages bibliophiles, contemplations proto-proustiennes sur les noms de pays, sur cette France de Saint-André-des-Champs, celle des paysans et des vieux seigneurs. Nerval est un nostalgique du désenchantement du monde, et sa prose confirme toute son érudition historique et sa curiosité pour les différents héritages mystiques, déjà l'objet d'un syncrétisme dans Les Chimères. Ainsi l'histoire aux yeux de l'écrivain ressemble un peu à un énorme palimpseste dont les pages les plus anciennes remontent parfois à la surface de manière inattendue. Dans la déroutante "Angélique", il semble inventer le docufiction ou plutôt une sorte d'enquête historico-littéraire à la Borges, tandis que dans "Sylvie" ou "Octavie", il joue sur le motif du double féminin, installant grâce à la puissance de la première personne, un peu comme chez Maupassant, ce doute fantastique qui met une douce confusion entre le rêve et la réalité, les souvenirs se transformant souvent en fantasmes. L'écriture, naturelle et spontanée, semble se dessiner sous nos yeux, et il y a ce charme de la phrase dix-neuvièmiste, gagnant çà et là, par ses accents de prophétie antique, une puissance poétique incomparable.

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« Sur cette plage désolée où je me promenais pensif, je faillis un jour être dévoré par les chiens. »

« C'est alors que je fus tenté d'aller demander compte à Dieu de ma singulière existence. »

La Grande Beune
7.3

La Grande Beune (1996)

Sortie : janvier 1996. Roman

livre de Pierre Michon

Paul_ a mis 8/10.

Annotation :

Écriture du fantasme, fantasme de l'écriture. Avec sa cohorte d'épithètes antéposées et de datifs éthiques, le style de Michon est fulgurant, quelque part entre Flaubert pour la période qu'on imagine passée à l'épreuve du gueuloir, et Céline pour le génie de l'hypallage et de la formule, les deux réunis pour la science de l'image précise et jamais lue. Dans cette peinture du désir animal, l'atmosphère n'y est pas pour rien non plus, au fin fond d'un Périgord qui ressemble cette fois à du Giono ou du Faulkner. La fin du texte, déjà court en soi, est assez abrupte et frustrante dans tous les sens du terme, et on peut comprendre que Michon ait voulu le reprendre.

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« Te voyant, me disais-je, peut-être elle va sans un mot renverser la tête, trembler comme tu trembles, te saisir là où tu veux la saisir, et les jupes dans ses mains elle se donnera là, contre ce bouleau, dans ces flaques où seront tombés ses sequins, où pétriront ses paumes, où tu verras l'image de ses seins, et plus secouée qu'un arbre dans le vent ses grands cris renversés feront partir des corbeaux. »

Les Deux Beune
7.4

Les Deux Beune (2023)

Sortie : 23 mars 2023. Roman

livre de Pierre Michon

Paul_ a mis 7/10.

Annotation :

En ajoutant une "Petite Beune" à la Grande près de 25 ans après, Michon décide de réaliser le fantasme de son personnage. La raison en demeure mystérieuse. En tout cas si le style n'a pas changé et offre notamment une scène mémorable de regards dans l'auberge, cette deuxième partie est un poil moins forte parce qu'elle flirte avec un érotisme cheap que Michon parvenait à éviter, ou du moins justifiait davantage par une ambiance peut-être plus travaillée dans la première partie.

Cahier de Douai
7.8

Cahier de Douai (1870)

Sortie : 1870 (France). Poésie

livre de Arthur Rimbaud

Paul_ a mis 8/10.

Annotation :

Rimbaud n'est pas encore tout à fait le voyant d'Une Saison en enfer et des Illuminations, on sent encore l'influence de ses aînés, Villon, les classiques, Baudelaire ou Verlaine, mais il y a déjà cette naïveté charmante et cette liberté de ton qui ont fait la légende de poèmes tels que « Première soirée », « Sensation », « Roman » et bien sûr « Le Dormeur du val ».

Poèmes et problèmes

Poèmes et problèmes (1969)

Poems and Problems

Sortie : 1 septembre 2001 (France). Poésie

livre de Vladimir Nabokov

Paul_ a mis 6/10.

Annotation :

Difficile de faire plus snob comme lecture, d'autant plus que l'édition est trilingue. Au-delà du joli titre du recueil, le projet est évidemment séduisant car il est vrai que la poésie et les échecs se ressemblent (comme la chasse aux papillons), on parle de composition dans les deux cas, et il s'agit de faire preuve d'inventivité dans le cadre d'une contrainte, qu'elle soit le mouvement d'un cavalier ou la métrique d'un vers. Cependant j'ai eu du mal à être touché par les poèmes russes comme anglais du maître, il y a toujours cette précision du naturaliste dans l'image mais je ne suis pas sûr que son style, peut-être trop encombrant, trop lourd, convienne tout à fait à la légèreté qu'exige la poésie. Quant aux problèmes, ce ne sont quasiment que des mats avec le roi enfermé, ils sont très intriqués, très prise de tête, à l'image finalement de ce qu'exige Nabokov de son lecteur.

La Vitesse des choses
8.4

La Vitesse des choses (1998)

La velocidad de las cosas

Sortie : septembre 2008 (France). Roman

livre de Rodrigo Fresán

Paul_ a mis 8/10.

Annotation :

Des histoires, des microfictions en train de s'écrire sous nos yeux et qui semblent nées sur un bout de serviette, avec cette ambiguïté permanente autour du je (auteur, narrateur, personnage, lecteur ? vivant ou mort ?) qui pousse un peu plus loin les vertiges borgésiens. Fresán est moins brillant et jouissif que David Foster Wallace avec qui il partage le goût pour le contemporain et les situations loufoques et poétiques, mais il est aussi plus attachant par sa simplicité, par une forme de naïveté même. J'ai été séduit par le micro, par l'idée à l'échelle de la phrase ou du paragraphe, un peu moins par le macro qui part dans tous les sens. L'auteur travaille plus des motifs qu'une intrigue à proprement parler, ce qui peut être frustrant pour nous autres, lecteurs de classiques qui ne nous sommes pas encore déconstruits. Au bout du compte c'est un livre qui donne furieusement envie d'écrire mais qui pour moi n'a pas offert une expérience de lecture renversante.

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« Grâce à Dieu, je suis athée. »

La Peau de chagrin
7.3

La Peau de chagrin (1831)

Sortie : 1831 (France). Roman

livre de Honoré de Balzac

Paul_ a mis 7/10.

Annotation :

Romantic Balzac is the best Balzac. L'ouvrage est sans doute trop composite dans sa construction, les enjeux narratifs soulevés par la peau étant retardés par une longue partie centrale. Mais l'autoportrait du romancier en artiste ascétique y est touchant, tout comme le portrait de cette « femme sans cœur » qui le malmène. En fait plus je lis Balzac et plus je me rends compte combien son influence sur Proust est grande : dans les thèmes bien sûr, la comédie sociale et l'analyse des intermittences du cœur, mais aussi dans la relativité des points de vue (Rastignac a l'air tellement cynique ici) et, de façon plus surprenante, dans cette langue sous-estimée et pourtant si forte, colorée, déjà pleine d'analogies. On n'en a jamais fini avec le XIXème siècle.

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« Ah ! vive l’amour dans la soie, sur le cachemire, entouré des merveilles du luxe qui le parent merveilleusement bien, parce que lui-même est un luxe peut-être. J’aime à froisser sous mes désirs de pimpantes toilettes, à briser des fleurs, à porter une main dévastatrice dans les élégants édifices d’une coiffure embaumée. Des yeux brûlants, cachés par un voile de dentelle que les regards percent comme la flamme déchire la fumée du canon, m’offrent de fantastiques attraits. Mon amour veut des échelles de soie escaladées en silence, par une nuit d’hiver. Quel plaisir d’arriver couvert de neige dans une chambre éclairée par des parfums, tapissée de soies peintes, et d’y trouver une femme qui, elle aussi, secoue de la neige : car quel autre nom donner à ces voiles de voluptueuses mousselines à travers lesquels elle se dessine vaguement comme un ange dans son nuage, et d’où elle va sortir ? »

Les Fausses Confidences
6.9

Les Fausses Confidences (1737)

Sortie : 16 mars 1737 (France). Théâtre

livre de Marivaux

Paul_ a mis 6/10.

Annotation :

Jamais grand-chose à dire sur Marivaux : ça s'avale en une heure, c'est amusant et toujours bien troussé mais j'aurai oublié l'intrigue dans une semaine. Et puis c'est toujours la même pièce.

Ubu Roi
7

Ubu Roi (1896)

Sortie : 25 avril 1896. Théâtre

livre de Alfred Jarry

Paul_ a mis 7/10.

Annotation :

Rabelaisien et shakespearien – autant Macbeth que Richard III – jusqu'à l'absurde. Jarry s'amuse avec la langue et ça tient, étrangement.

On ne badine pas avec l'amour
7.1

On ne badine pas avec l'amour (1834)

Sortie : 1834 (France). Théâtre

livre de Alfred de Musset

Paul_ a mis 7/10.

Annotation :

Très drôle et rafraîchissant – surtout grâce aux seconds rôles d'ivrognes. La langue, volontiers aphoristique comme dans la tirade fameuse reproduite ci-dessous (même si Musset en a pompé les deux dernières phrases à Sand), est tendue comme chez Racine et le sujet, digne des Deux Étendards, renvoyant dos à dos l'amour de Dieu et l'amour humain, n'est pas si souvent traité. Dommage que cela soit si court, la pièce se termine au moment où elle semble commencer.

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« Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux et lâches, méprisables et sensuels ; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées ; le monde n'est qu'un égoût sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange ; mais il y a au monde une chose sainte et sublime, c'est l'union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux. On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux ; mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière et on se dit : j'ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois ; mais j'ai aimé. C'est moi qui ai vécu, et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui. »

Le Pion
6.6

Le Pion (2020)

El peón

Sortie : août 2022 (France). Roman

livre de Paco Cerdà

Paul_ a mis 7/10.

Annotation :

Un roman de journaliste sur la guerre froide, avec comme toile de fond une partie d'échecs entre Bobby Fischer et Arturo Pomar, le premier grand maître espagnol, tous deux instrumentalisés par leurs gouvernements respectifs. Il y a un énorme travail de documentation derrière ces 77 courts chapitres, l'auteur refusant la béquille de la fiction, et la métaphore filée du pion pour évoquer ces innombrables victimes d'injustices et dissidents isolés fonctionne étonnamment bien. Au final ce montage de vies minuscules ressemble à une réflexion sur l'individuel et le collectif, sur notre responsabilité et nos servitudes.

Le Jeune Homme
6.2

Le Jeune Homme (2022)

Sortie : 5 mai 2022. Roman

livre de Annie Ernaux

Paul_ a mis 5/10.

Annotation :

Toujours un côté Proust pour les nuls chez Ernaux : le grand sujet de l'amour dans le temps y semble toujours traité plus simplement. Le titre d'ailleurs est assez mensonger parce qu'il n'y en a que pour Annie, la narration dans son nombrilisme ne donne jamais accès à l'altérité de ce jeune homme, ne lui garantit pas de dignité. Et puis éditorialement cette trentaine de pages ressemble quand même à un addendum inutile à son œuvre.

Oblomov
8.2

Oblomov (1859)

(traduction Luba Jurgenson)

Обломов

Sortie : 1859 (France). Roman

livre de Ivan Gontcharov

Paul_ a mis 8/10.

Annotation :

Quels personnages attachants ! Oblomov, le premier, donnant lieu parfois à une identification effrayante. La justesse des notations psychologiques est assez ahurissante, entre la léthargie, la procrastination, l'idéalisation, le déni... J'ai surtout aimé ces dialogues avec Olga, qui m'ont paru d'une grande modernité dans leur manière de donner accès aux pensées des personnages en direct, presque concomitamment aux répliques. Et puis comme dans tout grand roman, Gontcharov ne juge jamais Ilia, il ne prend pas de parti mais laisse la question de comment vivre sa vie ouverte pour le lecteur.

L'Acacia
7.6

L'Acacia (1989)

Sortie : 1 septembre 1989. Roman

livre de Claude Simon

Paul_ a mis 8/10.

Annotation :

Il faut un certain temps d'adaptation à cette (très) longue phrase, et le roman demanderait sans doute une relecture pour y voir plus clair dans les personnages et la chronologie. Mais ce qui ébahit, comme chez Cendrars, Michon et d'autres autobiographisants, c'est la précision des images, qu'on devine pourtant recréées, augmentées par l'écriture. Cette lumière dans les arbres, ce galop des chevaux sont éblouissants, et en même temps je préfère quand Simon se fixe à des destinées, comme à celle du magnifique personnage de la mère. Le sensoriel n'est pas assez subordonné au romanesque à mon goût.

L'amour
7.4

L'amour (2023)

Sortie : 17 août 2023. Roman

livre de François Bégaudeau

Paul_ a mis 6/10.

Annotation :

Très intéressant de confronter au Bégaudeau-critique le Bégaudeau-écrivain : en connaissant déjà ses idées, son manifeste esthétique en quelque sorte, on a l'impression d'être mieux armé pour appréhender son œuvre, plus prompt pour la juger aussi. Ainsi n'est-on pas surpris en découvrant cette écriture presque blanche, pleine de discours indirect libre (son amour de Flaubert bien sûr et d'« Un cœur simple »), langage parlé aussi faisant l'économie des virgules comme il l'affectionne chez beaucoup d'écrivains contemporains, et surtout cette manière de souligner sa propre ironie qu'il louait chez Senges, et qui devient un peu plus lourde ici. Le refus de la psychologie paraît aussi trop fabriqué. Bref, la prose de Bégaudeau est moins fluide que son parler, elle sent un peu la sueur comme dirait Sartre. Et en même temps sur le fond le pari semble gagné au long cours puisqu'au fil des pages et des saisons que parcourt ce couple, les couches de choses (à la Perec) s'empilent pour former un mille-feuille presque magique, avec un final particulièrement émouvant. C'est surtout l'art de la synthèse, comme chez une Ernaux, qui est impressionnant.

Paul_

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