Penser, classer
7.6
Penser, classer

livre de Georges Perec (1985)

P) Sommaire


Sommaire – Généralités – Infra-ordinaire – Style – Sémiologie – Humour – Énumération – La bibliothèque de Babel – Le monde et le moi – Citation 1 – Citation 2 – Maurice Blanchot – L’art de perdre – Conclusion


E) Généralités


Penser/Classer est un recueil posthume de treize textes de Perec, la plupart publiés dans des revues. Les éditeurs ont eu l’idée de rassembler ces textes autour de l’article éponyme « Penser/Classer », où l’écrivain se pose la question du lien entre la pensée et le classement des choses.


N) Infra-ordinaire


Comme à son habitude, Perec regarde avec un œil neuf ces choses du quotidien tellement vues qu’on ne sait plus, justement, les regarder : objets sur la table de travail (sont-ils vraiment utiles ?), bibliothèque (comment la ranger ?), acte de lecture (« Un monsieur qui lit sur la plage est-il sur la plage pour lire, ou lit-il parce qu’il est sur la plage ? ») ou lunettes (comment faisait-on avant qu’il n’y en ait ?).


S) Style


Ecriture sobre et caméléonesque, s’adaptant sans cesse en fonction de son objet, alternant phrase courte et cadence longue au besoin, sans images ou alors avec des images précises et rigoureuses, ne se refusant pas de temps à autre un petit aphorisme mordant (par exemple : « La psychanalyse ne ressemble pas vraiment aux publicités pour chauves : il n’y a pas eu un ‘‘avant’’ et un ‘‘après’’. »).


E) Sémiologie


Quand il s’intéresse à la mode, Perec traque ces signes qui saturent notre société à la manière de Barthes dans ses Mythologies : « la mode ne produit ni des objets ni des faits, mais seulement des signes ».


R) Humour


Farceur mais spirituel, pince-sans-rire (à l’anglo-saxonne), un tantinet absurde, à la fois naïf et cynique.


Ainsi, quand Perec imagine la tyrannie d’une mode unique :


« Il n’y aurait, en un instant donné et en un domaine donnés qu’une seule chose à la mode : par exemple les chaussures de basket, ou le chili con carne, ou les symphonies de Bruckner. Ensuite on changerait : bottes d’égoutier, tarte des Demoiselles Tatin, sonates d’église de Corelli. Pour donner davantage de poids à la chose (et permettre aux dirigeants de notre pays de faire plus efficacement face aux crises économiques qu’ils ont à affronter) on pourrait supposer que ces impératifs uniques aient valeur de loi : les populations seraient en temps utile averties par voie de presse des conditions dans lesquelles elles seront désormais tenues de se chausser, de manger et d’écouter de la musique. »


/) Énumération


Dans Penser/Classer, il y a : un soliflore, une taverne digne des Trois Mousquetaires, Louison Bobet, une bibliothèque limitée à 361 ouvrages, quatre restaurants chinois respectivement situés à Paris, Sarrebrück, Coventry et New York, des titres de chapitres de vieux manuels d’histoire, une recette de lapin aux chipolatas, une citation des Liaisons dangereuses, l’indice de Classification Décimale Universelle (C.D.U.) du commerce extérieur des moteurs Diesel (621.436:382), un générateur d’aphorismes aléatoires.


C) La bibliothèque de Babel


Comme les bibliothécaires borgésiens, Perec voudrait faire tenir le monde dans un livre.


L) Le monde et le moi


Dans un de ses textes les plus touchants, intitulé « Les lieux d’une ruse », l’écrivain essaye de mettre des mots sur ses quatre années de psychanalyse. Si Perec est si terriblement attachant, c’est aussi parce qu’il y a une gravité derrière sa légèreté, un W ou le souvenir d’enfance derrière La Vie mode d’emploi, un « eux » derrière La Disparition.


A) Citation 1


« Je parcourais allègrement les chemins trop bien balisés de mes labyrinthes. Tout voulait dire quelque chose, tout s’enchaînait, tout se laissait décortiquer à loisir, grande valse des signifiants déroulant leurs angoisses aimables. Sous le miroitement fugace des collisions verbales, sous les titillements mesurés du petit Œdipe illustré, ma voix ne rencontrait que son vide : ni le frêle écho de mon histoire, ni le tumulte trouble de mes ennemis affrontables, mais la rengaine usée du papa-maman, zizi-panpan ; ni mon émotion, ni ma peur, ni mon désir, ni mon corps, mais des réponses toutes prêtes, de la quincaillerie anonyme, des exaltations de scenic-railway.
Les ivresses verbeuses de ces petits vertiges pansémiques ne tardaient jamais à s’estomper, il suffisait pour cela de quelques secondes, quelques secondes de silence où je guettais de l’analyste un acquiescement qui ne venait jamais, et je retournais alors à une morosité amère, plus loin que jamais de ma parole, de ma voix. »

S) Citation 2


« Comment je pense quand je pense ? Comment je pense quand je ne pense pas ? En cet instant même, comment je pense quand je pense à comment je pense quand je pense ? »


S) Maurice Blanchot


On en revient à cette réflexion de Blanchot, que je n’arrive pas à retrouver mais que j’ai lue, je crois, dans La Préparation du roman de Barthes : le plus sûr moyen d’écrire, ça reste d’écrire sur son incapacité à écrire (ou à penser, ce qui revient au même). Si l’inspiration de Perec paraît intarissable, c’est peut-être parce qu’il puise à la source même de la littérature, à l’acte primitif d’écriture, qui consiste à mettre des mots sur les choses.


E) L’art de perdre


Perec dit que le besoin perpétuel de nommer et de classer les choses vient de notre peur d’un monde sans repères. Et en même temps il est bien conscient que ces classements ne durent pas : « à peine ai-je fini de mettre de l’ordre que cet ordre est déjà caduc ». Sans pour autant s'en attrister : c’est un perdant magnifique, gai devant tout savoir, joyeux de ne pouvoir épuiser un réel inépuisable. Comme disait Cyrano : « C’est bien plus beau lorsque c’est inutile ! »


R) Conclusion


Rarement un texte mineur n’aura paru aussi majeur.

Paul_
9
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le 5 mai 2023

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