Lolita, c'est la première œuvre que je me suis empressé de noter quand j'ai débarqué, jeune et ingénu, sur SensCritique. Jamais un style ne m'avait autant bouleversé dès les premiers mots : ces premiers mots, si beaux dans leur simplicité et leur contradiction, que le lecteur se plaît si vite à mémoriser, à scander, à psalmodier comme une incantation... C'est en cela que Lolita n'est pas tant un roman qu'un poème, un long poème en prose, l'épopée du narrateur Humbert Humbert au pays des nymphettes.
Parlons des nymphettes, ces jeunes filles pré-pubères, qui attirent tant l'œil de Humbert Humbert, et par là même l'œil du lecteur, qui converge, gêné, rebuté, dans la même direction, pris au piège dans la trame et le prisme de la voix narrative. L'œuvre de Nabokov est profondément ambigüe – et non pas simplement versée dans la pédophilie – de par sa capacité à répugner et à séduire en même temps. Aux critiques et censures l'auteur réplique, souvent de manière détournée et ironique (comme dans la très jubilatoire postface), que son livre ne porte aucun jugement moral, sans pour autant être immoral. « Le bon lecteur est celui qui cherche le plaisir artistique », dit-il.
De la même manière, Lolita n'est ni un roman russe, ni un roman américain. C'est un roman sur l'Amérique, une cartographie de la terre et du corps, un corpus, un entrelacs de références habilement invoqués qui construisent et déconstruisent le mythe et fantasme du rêve américain.
Le passage de la séparation tant redoutée est un exemple parmi tant d'autres : Lolita prend la fuite le 4 juillet, et gagne enfin une indépendance analogue à celle du peuple américain.
Et puis, ça se lit juste pour palper l'ego démesuré de notre formidable chasseur de papillons qui transpire puissamment de la narration d'Humbert Humbert : « I am always fascinated by the admirable ways foreigners – or at least naturalized Americans – use our rich language. »
Vous l’aurez compris, ce livre est scandaleusement grandiose. Cela ne devrait pas être permis de publier une chose comme celle-là.
PS : Dieu sait combien Nabokov était pointilleux sur les traductions, et sachant qu’il n’a pas pu contribuer à la traduction française comme il le souhaitait, si vous en avez la possibilité, lisez-le en anglais. Le truc prend une tout autre dimension.