Pour être honnête, si j’ai lu jusqu’au bout ces 100 raisons, c’est en raison de l’évidente générosité de leurs auteurs. À raison, quelques-unes des rubriques de l’ouvrage sont consacrées aux différentes manifestations de la passion qui anime plus d’un amateur d’imaginaire (festivals, fanzines, éditeurs bénévoles ou presque, etc.) : je reste convaincu que si les généalogistes ou les pêcheurs à la ligne mettaient autant d’énergie à défendre leur hobby, la moitié de la population française passerait ses soirées à rechercher ses ancêtres et ses week-ends à taquiner l’ablette. Plus sérieusement, s’il y a un domaine dans lequel la littérature dite générale gagnerait à s’inspirer des rayons du sous-sol, c’est celui de la propagande – au sens apolitique du terme (1). Dans ce sens, les 100 raisons d’aimer l’imaginaire, développées sur à peine plus de pages et sous-titrées « Petit Éloge de la science-fiction de la fantasy et du fantastique », accomplissent leur mission.
Mais voilà : ces gens ont l’air passionnés d’imaginaire comme don Quichotte l’est de lecture. D’une admirable sincérité, mais sans discernement : le héros de Cervantès lit absolument tous les textes qui se présentent à ses yeux, y compris les feuilles volantes dans la rue. Le petit livre de la collection « Hélios » met sur le même plan des œuvres fondatrices de l’imaginaire (Wells, Tolkien…), des auteurs dont la renommée est déjà (et à jamais ?) balbutiante, des classiques de la littérature dite de jeunesse (Harry Potter, Lewis Carroll…), des incontournables de l’horreur (Lovecraft, King…), des sagas commerciales et bien d’autres catégories… Je crains que cette propension à faire feu de tout bois, censée illustrer la richesse d’un pan négligé de la littérature, ne fasse que montrer un manque de recul.
Ce manque de recul est sans doute la ligne directrice de ces 100 raisons. De fait, tous les poncifs à la mode y passent. On rappelle l’évasion que permet l’imaginaire – alors qu’après tout, passer ses nuits sur Fortnite ou fumer vingt joints par jour, c’est aussi s’évader. On souligne ses vertus civiques en s’appuyant sur 1984 ou Fahrenheit 451 – tout en taisant par exemple la xénophobie foncière de toute l’œuvre de Lovecraft. On insiste sur sa variété en énumérant genres, sous-genres et sous-sous-genres – sans émettre l’idée que ces classifications répondent avant tout à des impératifs commerciaux.
De fait, j’ignore dans quelle mesure l’appellation littératures de l’imaginaire est une création éditoriale. Là encore, les auteurs l’utilisent à l’envi sans jamais en relever les insuffisances – il me semble qu’on pourrait y inclure Rabelais tout autant que le Rapport de Brodeck, Éric Chevillard que Madame Bovary. Mais c’est un autre symptôme touchant les rayons du sous-sol, auquel cet ouvrage n’échappe pas : la quête de respectabilité passe par la création ou l’acceptation de n’importe quel pseudo-outil d’analyse, aussi cuistre et inconsistant soit-il : quand on me parle de littérature non mimétique, je hausse les sourcils (2).
Je crois vraiment que la meilleure façon de servir ces littératures de l’imaginaire consiste à ne pas les distinguer de la littérature dite générale, mais juste à écrire, publier et promouvoir de bons livres qui proposent quelque chose de littérairement valable. À la servir comme Nathalie Prince la sert dans son anthologie du Petit Musée des horreurs, par exemple. Étant entendu qu’un livre d’Alain Damasio ou de Mark Z. Danielewski a toutes les chances d’être meilleur que le quarante-troisième Amélie Nothomb ou le cinquante-septième Jean d’Ormesson.


(1) Que la province accueille proportionnellement beaucoup d’éditeurs de littérature dite de l’imaginaire – mais aussi de poésie contemporaine ou de bande dessinée, par exemple – tandis que la noblesse du roman et de l’autofiction tient ses quartiers dans un arrondissement parisien n’est sans doute pas le fruit du hasard. L’imaginaire aussi peut cultiver son entre-soi parfois un peu snob, mais il me semble que ce n’est pas dans le même but.


(2) Dans cette optique, on peut encore dresser un parallèle avec la bande dessinée – pardon, le roman graphique, ou art séquentiel narratif graphique.

Alcofribas
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le 9 nov. 2019

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