[Avis tiré de ma fiche de lecture du livre, d'où le manque de transitions, le caractère descriptif avant tout, etc.]
1914-1918, La grande guerre des classes est un pavé qui est en fait très simple à lire. Le langage est clair et on sent que Pauwels fait un réel effort de pédagogie sans tomber dans de trop gros raccourcis. Le point de vue est global et l’auteur n’oublie jamais de multiplier les développements concernant la situation dans chaque pays.
La première partie du livre longue de plus de cent pages est une sorte d’introduction à la Grande Guerre. Pour introduire 14-18, il faut passer en revue tout le XIXe siècle voire remonter à la Révolution française selon Pauwels.
L’auteur met en avant le caractère contre-révolutionnaire de l’idéologie nationaliste qui a souvent été adoptée par les élites (bourgeoises et nobles travaillant alors aux mêmes intérêts dans beaucoup de pays européens contrairement à ce que l’on peut croire, malgré quelques dissensions), hormis en France au moment de la Révolution et de quelques autres exemples historiques qui mêlent patriotisme et socialisme. Cette idéologie nationaliste venant d’en haut sert à contre-carrer le projet internationaliste du socialisme et à externaliser les conflits sociaux (au lieu de les internaliser au sein du pays, ce qui radicaliserait les relations entre les classes sociales et ce qui risquerait donc de faire monter la côte du socialisme). C’est-à-dire : faire la guerre et conquérir des territoires. L’impérialisme étroitement lié au nationalisme sert à profiter des matières premières dans les pays étrangers (ainsi que de la main-d’œuvre pas chère) et à intégrer les prolétaires au système capitaliste qui profitent alors d’une partie des richesses du pays (analyse léniniste classique) ainsi que des postes dans les colonies. L’Église et les puissances religieuses en tous genres profitent aussi de l’impérialisme. Les missionnaires religieux ramènent des croyants dans le sein de Dieu tout en intégrant les populations des pays colonisées à la civilisation colonisatrice.
Les puissances impérialistes créent des alliances qui se retourneront à la veille de la Grande Guerre. Les socialistes ne sont plus réellement révolutionnaires et les élites adoptent l’idéologie de la guerre, le social-darwinisme, ou bien la philosophie de Nietzsche. Malgré le caractère réformiste de fait des partis socialistes, ces derniers montent en popularité et gardent un discours qui effraye les élites. Cela dit, ces mêmes socialistes de fait réformistes tournent souvent le dos à l’internationalisme et développent un « social-chauvinisme ». Au même moment, une vague de féminisme secoue la société patriarcale anglaise. Face à tous ces problèmes, face à la peur que le prolétariat toque à la porte, les élites des puissances impérialistes ne souhaitent plus qu’une chose : une « bonne guerre ». Une bonne guerre contre-révolutionnaire dont naîtra… la révolution d’Octobre 1917. Ailleurs, notamment en France, en Belgique et en Grande-Bretagne, le mécontentement sera tel que des lois sociales devront être adoptées vers la fin et après la guerre par les classes dominantes afin de calmer le jeu. Dans les années 20 et 30, des gouvernements populistes de droite ou fascistes arriveront au pouvoir en jouant mieux que les régimes précédents le jeu de la popularité (en se faisant passer pour des révolutionnaires, des anti-capitalistes, etc., alors qu’ils défendront tous très bien les intérêts des classes dominantes).
Commence alors la majeure partie du bouquin qui traite de la Grande Guerre en tant que telle. L’attentat contre l’héritier du trône austro-hongrois et sa femme a lieu, et ce n’est pas un réel casus belli selon l’auteur. C’est un nationaliste Serbe du Sud qui l’a tué. Un ultimatum austro-hongrois est envoyé à la Serbie qui ne l’accepte pas dans son entièreté. La Serbie est à l’époque protégée par la Russie dont la France est l’alliée. Mais la Serbie est aussi sur le passage de la grande voie ferrée Berlin - Bagdad que veut construire l’Allemagne (et qui servirait à ramener les ressources qui seraient pillées ou achetées très peu chères loin à l’Est du pays). L’Allemagne soutient donc l’empire austro-hongrois et déclare la guerre à la Russie et à la France. Ces deux nations ont intérêt à faire la guerre à l’Allemagne afin de mettre un coup d’arrêt à ce projet de grande voie ferrée de Berlin à Bagdad.
Ailleurs, l’auteur montre que la nette structuration en classes sociales de la société se retrouve parfaitement au sein des armées, si ce n’est de manière exacerbée. Les paysans seront ceux qui mourront le plus pendant la guerre. Les officiers sont mieux nourris que les simples soldats, ils dorment dans des endroits plus confortables et s’éloignent de la ligne de front pour rester au chaud et en sécurité. Cette différence de traitement est constante, les soldats s’en rendent compte et détestent cela. D’ailleurs, les clivages linguistiques sont parfois énormes, les officiers anglais ne comprennent rien à l’irlandais, les officiers français ne comprennent pas l’occitan parlé par certains soldats, etc.
À l’arrière, les élites n’hésitent pas à profiter de l’excuse de la guerre pour casser dès le début de la guerre les droits sociaux acquis avant la Grande Guerre et pour casser le syndicalisme au maximum.
La vision romantique de la guerre est rapidement annihilée par la réalité d’une guerre en fait largement mécanisée. Beaucoup de soldats meurent tués par balles sans avoir vu un seul ennemi. La désillusion est grande et très rapidement la joie de partir en guerre retombe, que ce soit sur le front ou à l’arrière du pays. Et puis, peu importe le nombre très élevé de morts puisque ce sont des plébéiens qui meurent en grande majorité. Cela dégraisse cette vilaine masse.
D’ailleurs, les membres de cette masse, lorsqu’ils sont sur le front, osent parfois fraterniser avec les soldats d’en face qui font partie de la même classe sociale. Les trêves de Noël sont détestées par les officiers. Lors de ces moments, les simples soldats se plaignent de cette guerre absurde dont il ont plein le dos.
Le bouquin continue sur sa lancée et énumère les différentes batailles qui seront les cimetières de millions d’hommes. Les chiffres et la description de l’indifférence des élites de l’armée font froid dans le dos. La vie du petit soldat de base est méprisée et vaut moins que rien.
Les USA rentrent en guerre non pas pour sauver la démocratie, mais bien sûr dans les intérêts de sa classe dominante. Elle se positionne de manière à pouvoir partager le butin impérialiste sur le cadavre de l’Allemagne le moment venu. Elle assure au passage par son implication dans la guerre le remboursement de ses prêts auprès des Britanniques et consorts.