Dans une dimension parallèle, Titane est un film sublimement chaotique. Ici et là, de savoureuses bribes laissent entrevoir une vision profondément originale et jouissive du cinéma selon Ducournau. Je pense à un Vincent Lindon quasiment violet devant son miroir, bombant un torse manifestement aussi musclé que malade, courte scène distillant une sublime étrangeté qu'un Nicolas Winding Refn dernière version ne renierait sûrement pas. Je pense également à une autre scène comportant une danse d'Alexia et de son faux père après s'être escarpés autour d'un plat de spaghettis bolognaises, commençant par la beauté pour glisser vers la violence, pur produit chaotique que j'aime beaucoup, personnellement. La scène de la réanimation featuring la Macaranera est tout aussi chaotique et peut-être géniale à cet égard.
Le personnage de Lindon apporte ce que n'apportait pas jusque-là le personnage principal : de la vie, de l'humour. En effet, Alexia est monolithique, ni antipathique ni empathique. La réalisatrice a exprimé son amour pour la mythologie dans une récente entrevue. Cette information aide grandement à comprendre Titane. Cela explique beaucoup le personnage d'Alexia, ou plutôt (et surtout) tel que voulait le construire Ducournau. Alexia est une étrange créature, hybride, au fond irréelle. Ce lien subtilement produit entre mythologie antique et un sujet bien dans l'ère du temps comme celui de la transidentité est original. Reste à savoir s'il est réussi.
Par ailleurs, L'étrange rapport paternel peut aussi s'expliquer par cette inspiration mythologique, où il est courant que l'ambiguïté et la transgression soient de mise.
Mais tout cela reste spéculatif, car à mon sens Titane ne réussit pas cet étrange projet, complexe mais dont le plan est théoriquement bien là. Ducournau met une pincée de body horror à la Cronenberg (que dis-je, des poignées entières : il suffit de voir le nombre de moments qui forcent le regard sur le corps d'Alexia qui évolue, ça devient très lourd et répétitif, voire grotesque puisque l'on ne peut que difficilement croire à cette grossesse cachée par de simples bandages), une pincée de mythologie, une pincée de Nicolas Winding Refn, et le tour aurait dû être joué. Mais non, et j'en suis le premier attristé. En résulte un film instable, certes organique comme le voudrait certainement Ducournau, mais organiquement malade, intérieurement je veux dire.
Les dialogues parfois pauvrets n'aident pas beaucoup, il suffit de se remémorer la scène du premier meurtre où un fan vient emmerder Alexia. Comment y croire une seule seconde ? C'est tellement caricatural, ça sonne si faux.
Ensuite vient une violence complaisante, une violence pour la violence afin de choquer le petit spectateur, on l'appréciera ailleurs (Peckinpah, Tarantino) quand une très bonne mise en scène et un très bon montage viennent rendre le tout réellement jouissif, ce qui ne me semble pas être le cas en l'espèce.
Titane est pourtant souvent drôle de manière volontaire, plutôt léger dans le ton parfois, ce qui paraît presque contradictoire avec la premier degré que nécessite la mise en place du caractère mythologique du scénario. D'où une couche supplémentaire d'étrangeté rajoutée au film, dont la maitrise aurait pu donner du génial, mais qui par son manque de perfection donne un film involontairement malade.