Tout comme Grave, entrée en matière plus remarquée que véritablement remarquable, Titane le deuxième long métrage ultra-attendu de Julia Ducournau se faufile dans la catégorie des films “coups de poings dans la gueule” avec une tendance à doubler l’addition sur tous les postes : budget, casting, scènes ultra violentes et malaisantes, tout semble au cordeau d’une volonté manifeste de choquer le/la bourgeois(e) sinon des festivals tout au moins du public clairsemé qui avait frémis devant les atermoiements interminables des jeunes étudiantes cannibales. Et plus si affinités. Sur ce premier film, la critique s’était répandue en adoubant l’élue qui avait à leurs yeux trouvé dans le paysage français la sacro-sainte formule magique du film de genre coulé dans le bronze d’un film d’auteur. Titane n’échappe pas à la règle tant il puise dans cette recette cuisinée ad nauseam par David Cronenberg où la possession des corps, leurs déformations, leurs mutilations restent au cœur d’une narration qui laisse beaucoup de place à l’éprouvant. Car tout le monde est au courant et c’est tout l’enjeu : ce film sera une épreuve sinon une expérience. Violente, cathartique, exaspérante. En ressort la frustration. Formellement plus abouti et maîtrisé que Grave (le plan séquence du générique en témoigne), Titane surprend à déjà répéter les obsessions de la cinéaste sur des schèmes identiques : accident de voiture, liquides en tous genres, douches, transes musicales. Cannes avait été émoustillé il y a quatre ans, le voilà cette fois ébranlé. Pauvres chéris. En guise de préliminaire, l’histoire trace sa route et envoie par la même occasion la petite Alexia dans le décor avec pour conséquence directe de la flanquer d’une plaque de titane dans le crâne. Quelques années passent, on la retrouve danseuse légèrement déglinguée dans un salon automobile sordide avec une fâcheuse tendance à enfoncer un aiguillon où il ne faut pas ou broyer une mâchoire comme il ne faut pas non plus. Décidément.
Métal hurlant. Comme souvent avec les films de genre mal assumés, Titane se voit recouvert d’une surcouche de thématiques sociétales plombantes : la famille d’origine, celle qu’on se choisie, la place des femmes dans la société, la question du genre, de la non binarité, la transformation, du corps et de l’esprit, la maternité… toutes les cases nécessaires pour le CNC sont cochées au fil d’un script en pointillé. La faute à une froideur mortifère – même au milieu des flammes – qui transforme les personnages en silhouettes interprétées par le duo Agathe Rousselle (une révélation) et Vincent Lindon, tous deux formidables, mais qui n’exsudent jamais l’empathie ni l’émotion nécessaires pour totalement nous embarquer dans ce grand huit. Pourtant, le jeu de massacre est servi avec ses abondantes références – en plus de Cronenberg on citera John Carpenter (Christine), Andrzej Żuławski (Possession) ou Bertrand Bonello, qui joue d’ailleurs le père d’Alexia. Mais à force d’admiration et de citations, le film se replie sur lui-même, ne s’élève jamais aussi haut que ses modèles, sans être chichiteux pour autant. Car Julia Ducournau, on la connaît, aime tout envoyer balader sans se soucier du bon goût, ni du mauvais. Dans cette forme de chaos articulé qui laisse exploser ses fantasmes déviants et sa furie, le film flirte même avec le plus noir des enfers… avant de se mettre à danser.
Cœur révélateur d’une Palme d’Or un peu toc. Malgré une esthétique qui vise le vertige permanent, le déséquilibre, le scénario se radicalise, se dégage de ses contraintes, de sa vraisemblance. Il finit par avancer dans les cendres. À vue. La mécanique manque d’échouer dans le grotesque. Se retient là où Grave ne se contenait plus. Mais il vacille sur son trop plein de vide. Et puis, le débordement. Évidemment, personne ne pourra reprocher à Julia Ducournau d’essayer, avec des réussites comme cette représentation anxiogène de la cellule familiale d’Alexia et sa résolution tout en silence ou la scène finale, sur le fil du rasoir, avec sa poésie morbide fascinante. Mais le film loupe énormément de choses également, s’égare dans des longueurs inutiles et les sous-entendus, se noie dans l’éclatement des tabous (bonjour Pasolini) et des interdits cradingues qui n’asticotera pas grand monde. Faute de mieux, Titane tente par à coups de rester sur sa voie un tantinet fantastique mais se sert du genre sans jamais le travailler au corps, uniquement pour surligner son propos. Au fer. Et si le film se veut jusqu’au-boutiste dans son abolition des frontières entre hommes et femmes, humains et machines et même entre le bien et le mal, sa désincarnation si profonde le transforme en pur objet viscéral. Sans affect. Sans émotion. Sans humanité. Et c’est ici le point de rupture de Titane, body horror conceptuel et singulier, qui ne fait que se rêver en histoire d’amour tordue dans un monde à part où les cauchemars ne dorment jamais.
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