En 1984, de nombreux médiatiques, visiblement intéressés au maintien d'un relatif optimisme dans les populations, s'empressèrent de clamer très fort que George Orwell s'était entièrement trompé dans cet ouvrage jouissant pourtant et non sans raison d'une assez grande et persistante célébrité. D'après eux, la société décrite dans "1984" n'avait aucun rapport avec la notre.
Toutefois, depuis cette date, un certain nombre d'évènements et d'évolutions laissent à penser que ce soulagement était peut-être prématuré.
Ainsi, on ne peut s'empêcher de constater que les féroces hordes d'Al Qaida, tantôt vaincus, tantôt ressurgissant de l'ombre sous un autre nom (aujourd'hui Daech), présentent d'étranges similitudes avec l'armée de l'ombre d'Emmanuel Goldstein l'ennemi du peuple et son armée de comploteurs invétérés, tels que les décrit Orwell. Phénomène qui a eu pour principale conséquence le renforcement général du contrôle policier et des logiques sécuritaires et un formidable recul des libertés individuelles.
A qui profite le crime ?
De même, la perte progressive de tout langage signifiant chez nos élites dirigeantes, pourrait bien laisser croire que la Novlangue, qu'Orwell décrit longuement dans son ouvrage, a finalement trouvé sa place dans notre modernité et ses démocraties de pure façade.
Aussi, la multiplication des caméras et des systèmes de contrôle et de surveillance évoque fâcheusement Big Brother.
Également, nous pouvons voir désormais presque chaque jour, comme dans "1984", que ce qui était vrai hier est devenu faux aujourd'hui et que strictement rien ne s'oppose à ce que cela soit rétabli comme vrai demain selon ce que décideront ceux qui savent si bien penser à notre place.
Il est vrai qu'Orwell savait fort bien penser par lui-même pour sa part.
La principale difficulté que certains rencontreront à la lecture de cet ouvrage tient à sa vérité même en ce qu'elle a de particulièrement intolérable dans son actualité et qu'Orwell formula ainsi :
"L'idée lui vint que la vraie caractéristique de la vie moderne était, non pas sa cruauté, son insécurité, mais simplement son aspect nu, terne, soumis."
Voilà ce que beaucoup ne veulent pas entendre par ce que cela dit de leur propre existence et préféreront donc écarter en prétextant un défaut romanesque. Le monde de 1984, qui est donc bien aussi notre monde sous de nombreux aspects, se caractérise en effet par cette réaction commune au plus grand nombre : "Cela est vrai mais je ne veux pas le savoir."
Peut-être est-ce bien pour cela que tout continue ....