Incontournable Octobre 2022


Décidément, 2022 est une année de bonne cuvée pour la maison École des Loisirs. Après les formidables romans "Maydala Express" et "Une pour toutes", ainsi que les romans Intermédiaires de la collection Neuf "Soeur Hiver", "Mémoires de la forêt" et "L'Apprenti Conteur", voici "19 jours dans Noa", un récit fantastique sous le désert aux accents de contes. Dans ce roman original, vous y trouverez des thèmes d'une grande profondeur, tel que le voyage initiatique, l'importance de la mémoire et même, les dangers lié à cette forme de manipulation qu'on appelle "détournement cognitif ( Gaslighting). Mais surtout, c'est le récit d'une fratrie, dont la puissance des liens les préservent de l'oublie.


Cosmo porte son nom car il est né sous les étoiles. Il vit avec sa grand soeur Salma et son grand frère Noa, sous une tente, quelque part dans un désert aride. Voilà que depuis près de 18 jours, Noa n'est pas rentré de sa cueillette de dattes. Inquiets, le frère et la soeur tente de tenir leur routine, en espérant le retours de leur aîné. Alors que Cosmo se rend au puits, comme chaque jours, avant les heures trop chaudes pour circuler au-dehors, il croise la route d'un fennec au museau tâché. Lorsqu'il sera surpris par une tempête de sable le lendemain ( 19e jour sans Noa), c'est ce fennec qui la guidera sous le puits. le jeune garçon bascule alors dans un monde sous-terrain, où vivent toute sortes d'entités fantastiques, mais non la moindre est le fennec lui-même, répondant au nom de Sorel. L'adolescent se montre d'une étrange amicalité teinté de despotisme, affichant tantôt une bienveillance amicale, tantôt un besoin de contrôle nourrit de mensonges. Sorel s'est auto-proclamé "Roi de Souterre", dont le talent métamorphe n'est pas le seul atout dans sa manche. Cosmo se laisse peu à peu séduire, mais quand il rencontre Valeureuse, qui vit sous terre également, il se fait mettre en garde. Sorel est en réalité malveillant et fera tout pour le garder sous terre avec lui. Cosmo a cependant un atout lui aussi: il arrive à jouer sa kora sans même avoir apprit à le faire et les visions qu'il en génère lui donne un nouvel aperçu du monde. Ce don le protégera du plus grand péril de cette grotte enchantée: L'Oublie. Sur son chemin, il fera la rencontre de deux autres enfants: Valeureuse, qui le met d'emblée en garde contre Sorel, et le petit "Belette", enfant abandonné.


Wow, quel univers créatif! Je flaire quelques inspirations de contes, avec cette "chute" dans un monde sous terre, telle Alice dans le terrier, mais également la réécriture du personnage de Peter Pan dans la série "Il était une fois", où le Chef des enfants perdus était un adulte dans un corps d'enfant tyrannique et cruel. Je reconnais aussi ce mythe bien réel des pays du Moyen-Orient qui veut que les enfants aux yeux clairs soient maudits, mythe découvert dans le roman adulte "Aria", de Nazanine Hozar, et qui explique l'abandon du personnage de la Belette par les siens. La batelière m'a évoqué le passeur qui fait transiter les morts sur le Styx, dans la mythologie grecque, surtout avec les étranges créatures noires qui sillonnaient les eaux tout autours.


C'est un récit intemporel, d'une grande beauté, où un garçon sera mit à l'épreuve bien malgré lui, mais qui en sortira plus sur de lui, plus fort et avec une plus fine connaissance de lui-même. Certains passages manquaient peut-être de fluidité, surtout les moments où les personnages se parlaient. J'avais l'impression que durant ces conversations à trois, l'un des trois étaient complètement hors décor ou étrangement statique, comme si le temps s'arrêtait pour lui. Hormis cela, le récit coule bien.


*Attention, dilvugâche
Sorel est un antagoniste très particulier pour un univers jeunesse, j,en ai rarement vu de semblables. D'habitude, les "méchants" maquent de nuances et sont directement désagréables. Sorel appartient à un autre genre: celui du manipulateur intéressé. Alternant entre sa façade sympathique, amicale et même prévenante, il bascule sur une autre facette, celui du tyran. Sorel emploie, comme je l'ai évoqué plus haut, du "détournement cognitif", que les anglo appellent "gaslighting", c'est-à-dire "une forme d'abus mental dans lequel l'information est déformée ou présentée sous un autre jour, omise sélectivement pour favoriser l'abuseur, ou faussée dans le but de faire douter la victime de sa mémoire, de sa perception et de sa santé mentale"( Source: Dictionnaire Merriam Webster). En gros, Sorel manipule la perception de la réalité de Cosmo, en utilisant ses propres paroles contre lui, mais déformées pour le favoriser, minimise toutes les crasses qu'il lui fait en les banalisant ou en les éludant, lui ment ouvertement, utilise même ses émotions pour susciter de la pitié ou avoir ce qu'il veut. Sorel est un excellent manipulateur, on voit une sacrée panoplie de techniques de manipulation mentale de type détournement cognitif tout au long de l'histoire. C'est un profil qu'on connait beaucoup mieux dans la violence conjugale, de nos jours, mais il importe de savoir que ces manipulateurs se retrouvent aussi dans les relations amicales, fraternelles ou même professionnelles. Je suis donc vraiment ravie de voir ce profil apparaitre dans un roman jeunesse intermédiaire! C'est en observant le genre de paroles et comportements qu'on peut mieux s'en prémunir. Sorel nous montre surtout qu'il a de grosses lacunes sur son estime de soi, et plutôt que de verbaliser ses craintes d'être seul à jamais dans la grotte, fera des pieds et des mains pour contraindre Cosmo, Valeureuse et les autres enfants ayant eu le malheur d'atterrir dans la grotte, d'y rester. Pire, il s'impose en tant que "souverain", trônant au sommet d'une hiérarchie reconnue de personne, qui lui sert à combler ses caprices et ses plaisirs sans la moindre compassion ou empathie pour ceux qui les subissent. Comme ses pauvres ombres qu'il a joyeusement estropiées. Elles n'en gardaient aucune blessure, mais elles étaient terrorisées par le fait d'être déchirées ainsi. le passage où Sorel a tué un poisson en alléguant qu'il constituait la seule source de nourriture, alors qu'il possédait en réalité des vivres, a choqué Cosmo. Ce passage marque un tournant dans la perception qu'on peut avoir de Sorel, qui se montre vraiment cruel. Sorel manifestera deux fois de la vulnérabilité, laissant croire qu'il vit de la solitude et du dépit, mais son chantage émotif, ses manoeuvres déloyales et son talent pour la manipulation font de lui un personnage qui inspire de la pitié. Contrairement à Cosmo, qui est empathique, bienveillant et même naïf, Sorel ne semble pas avoir été capable de créer des liens suffissent forts pour lui inspirer un retours dans le monde.Il faut dire que sa cécité guérie et son éternelle jeunesse lui sont préférables au vieillissement et au retours au noir.


Car c'est bien ce que cette grotte offre, de la guérison, des pouvoirs et une jeunesse éternelle, mais en contrepartie, elle prend les souvenirs. Cette dualité est d'ailleurs intéressante pour le lecteur, qui verra Sorel prendre les premiers et accepter le second, alors que Cosmo, Valeureuse et le petit Belette choisirent l'verse. Pour Cosmo et ses amis, rien ne vaut la famille, le vrai monde et la mémoire. le récit est donc initiatique en ce sens où Cosmo sera confronté aux deux facettes, tantôt séduit par ce monde amusant et magique, combinés aux petits soins de Sorel, tantôt à la perte de ses souvenirs, surtout celui de son frère disparu, à sa soeur laissé dans la tente et ce monde qu'il aimerait explorer. Cosmo évolue donc beaucoup dans cette grotte. Il est donc question du murissement, dans le sens de "grandir". Il me plait de penser que la nature du don de Cosmo, sa capacité lire le passé - et donc la vérité- à travers son kora, est liée à son amour fraternel et à celui qu'il a reçu de sa mère.


J'ai aussi apprécié la vive Valeureuse, qui a vu clair dans le jeu de Sorel. Quelle force de caractère que d'être capable de lui tenir tête. Elle a un atout elle aussi, avec des fleurs étoilées qui redonne la mémoire. Des fleurs que Sorel a préféré détruire plutôt de laisser ses prisonniers s'accrocher à leur mémoire ( un beau sabotage pour sa propre mémoire également). Mais si les fleurs lui laisse ses souvenirs, c'est à sa force seule qu'elle doit sa révolte contre le tyran. Sans elle, Cosmo serait perdu. Dans tous les sens du terme.


Un élément qui interpelle également est celui de la famille reconstituée. Ultimement, les trois enfants perdus regagnent la surface et Cosmo retrouve Noa, qui s'était fait mordre par un serpent et a du prendre une convalescence chez de bons samaritains. Sans même tergiverser, Salma et Noa adopte Valeureuse et Aimé ( le vrai nom de la Belette). Cosmo apprend également qu'il n'a pas le même père que ses aînés, mais vu l'amour qu'il leur porte, ce détail lui semble peu important. Nous avons donc une famille reconstituée! Et qui décident de parcourir le désert ensemble.


La grotte est un lieu fabuleux. On y trouve de multiples éléments, dont une batelière aux yeux turquoises qui a des airs de passeuse du Styx, des ombres grises qui se comportent comme des fantômes, des animaux et insectes métamorphes, une toile vivante qui sert de module de jeux, un lac rempli de créatures qui s'apparente à des sangsues hérissées, des lueurs enflammées qui servent de lumière dans ce monde sous terre et même un jardin moussu sous une immense braise faisant office de soleil. Une convergence d'éléments magiques dont nous n'auront pas de détails. Ils sont là, un point c'est tout. Elles n'ont pas forcément de liens ensemble, comme si cet endroit est un simple écosystème un peu bizarre. L'idée n'est donc pas élucider le mystère de tous ces éléments, ils servent de décor et on sent que Sorel est plus un envahisseur encombrant qu'une réelle part de ce monde.


Je remarque aussi le décor au-dessus, une rare incursion dans un monde désertique, quelque part au Maghreb. Les personnages sont donc de peau foncé, vivent comme les gens du désert, ont des prénoms exotiques et la kora est un instrument à corde de l'ouest africain. Tout ce beau décor est franchement le bienvenu dans une littérature jeunesse occidentale encore très représentée par la France, le Royaume-Unis, le Canada et les États-Unis. Davantage de diversité ethnique et culturelle est franchement rafraichissant.


Enfin, vous remarquerez la présence d'illustrations somme toute sobres, en aquarelle, dans les tons dominants ocres, noirs et bleus, souvent des représentations des lieux et quelques rares fois des personnages. J'apprécie leur présence, car elles mettent un visuel sur ces lieux hors de l'ordinaire. La couverture est d'ailleurs vraiment accrocheuse.


Ce fut donc une excellente lecture, à de nombreux égards différente de ce que je vois d'habitude, un peu dans la lignée de "Soeur Hiver", qui nous fait voyager entre magie, folklore et pays scandinaves au même titre que "19 jours sans Noa" avec le Maghreb. Un tome unique qui fait naviguer sur des thèmes encore peu exploitées, dans un décor onirique.


Pour un lectorat à partir du troisième cycle primaire, 10-12 ans, ou les lecteurs habitués de la 4e année primaire ( 9 ans).

Shaynning

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