CHAPITRE 1, OU, EN GUISE D'INTRODUCTION, ON S’ÉTEND UN PEU SUR L'ADMIRATION DE L'AUTEUR POUR STEPHEN KING
Ce n'est une info pour personne : j'admire Stephen King. Depuis 25 ans maintenant, depuis ce jour où, après avoir vu le film de Kubrick je décidai de lire le roman Shining. J'ai d'abord été attiré par son art de la narration, puis par sa faculté à renouveler les thèmes classiques du genre, de la maison hantée aux vampires en passant par la voiture possédée ou le cimetière indien.
Je ne sais pas si c'est l'auteur qui a changé au fil du temps ou si c'est mon intérêt pour lui qui a évolué mais, de nos jours, je suis plus fasciné par la façon qu'il a de créer des personnages profonds, avec une véritable psychologie, de les implanter dans une réalité sociale, en interaction avec d'autres personnages, et de mettre tout ce beau monde dans une situation infernale. Il y a un peu de Richard Matheson là-dedans, la sobriété en moins. J'aime la description critique qu'il fait de "l'Amérique profonde", sa paranoïa et sa folie des armes, une Amérique constamment sur le fil du rasoir, au bord de sombrer dans le chaos.
J'aime les romans longs de King. Je crois que c'est là qu'il développe le plus ses talents de conteur et de créateur cauchemardesque. ça, Le Fléau, Bazaar ou Dôme comptent parmi mes préférés de bonhomme, malgré leur fin toujours expédiée.
Avec tout ça, j'avais une envie folle de lire 22/11/63 depuis que j'avais entendu parler du livre, lors de sa sortie anglo-saxonne. Il avait a priori tout pour me plaire.
CHAPITRE 2, OU L'ON TRAITE DU VOYAGE DANS LE TEMPS
L'histoire (le prétexte ?) du livre tient sur un timbre-poste : un homme voyage dans le passé pour empêcher l'assassinat de Kennedy.
OK.
Une fois de plus, ce qui est présenté par les éditeurs comme le centre du livre n'en est, en réalité, que la périphérie. Cette histoire de voyage dans le temps et d'assassinat de Kenendy ne tient pas la moitié des quelques 930 pages du roman. Pour s'en assurer, il suffit de voir comment King expédie à toute vitesse le procédé du voyage dans le temps : un bonhomme découvre dans la réserve de son restaurant une sorte de passage qui l'emmène en 1958.
C'est tout ?
C'est tout.
Alors, bien entendu, ceux qui ont lu (subi ?) La Tour Sombre pourront y voir comme un arrière-goût de ces portes qui permettent de passer d'un monde à l'autre et d'une temporalité à l'autre. Mais force est d'admettre que l'auteur ne perd pas de temps à chercher la moindre explication.
Cependant, tout le tissage dramatique qu'il construit autour du voyage dans le temps est très prometteur. D'abord, on ne choisit pas la date ni le lieu, on atterrit dans le Maine de 1958. Et ensuite, chaque fois que l'on retourne dans le passé, on "repart à zéro", c'est à dire qu'on annule les changements qui ont déjà eu lieu lors des précédents voyages. VOilà qui est fort bien vu. A cela, ajoutons un petit paradoxe temporel comme on les aime : quel que soit le temps que tu passes dans le passé (une heure, un mois, une année ou plusieurs années), ça ne correspond qu'à deux minutes dans le présent de 2011. Moi qui ai toujours été fan de ces paradoxes temporels, je me suis bien amusé avec ça.
Autre chose encore concernant les voyages dans le temps : la résistance du passé. "Le passé est tenace, il ne veut pas être changé", ne cessera de répéter notre personnage-narrateur. Là aussi, voilà un joli précédé narratif, qui va permettre à l'auteur d'instaurer du suspense en multipliant les obstacles sur la route de Jake Epping. C'est, certes, totalement artificiel, mais ça marche.
CHAPITRE 3, OU L'ON TRAITE DE LA VEINE NOSTALGIQUE DU KING
Oui, mais voilà. Notre bonhomme va donc arriver en 1958. L'assassinat de Kenendy (si vous avez oublié la date, il suffit de lire le titre du roman), c'est 5 ans plus tard. Jake Epping, donc, a cinq ans à tuer. Cinq années où sa seule mission est de s'assurer qu'Oswald est bel et bien le seul tireur (je reviendrai là-dessus plus loin). Cinq années pour aller du Maine au Texas. ça fait long, cinq ans.
Et c'est bien là le cœur du roman, et le cœur du problème.
Depuis quelques temps, King est en mode nostalgique. Cela avait donné le très beau roman Joyland, qui se déroulait dans les années 70. Cela avait donné quelques belles pages de la saga La Tour Sombre. Cette nostalgie est aussi présente ici. King nous plonge dans l'Amérique des années 50/60, une Amérique où tout semblait plus simple, plus authentique, plus sympathique aussi. Presque une Amérique de carte postale, où les gens sont agréables et sympathisent facilement, où il n'est pas interdit de fumer dans les lieux publics, où les voitures avaient de la gueule et où les ados respectaient leurs parents. Alors, ne nous y trompons pas, King est trop malin pour céder au simplissime "c'était mieux avant" : lors de ces années-là, les Noirs n'avaient aucun droit et la peur d'une apocalypse nucléaire soviétique terrifiait la population (très beau passage concernant la Crise de Cuba). mais, dans l'ensemble, l'auteur fait revivre ce qui concerne sa jeunesse (né en 47, il avait donc entre 11 et 16 ans lorsque se déroule ce roman) avec nostalgie.
CHAPITRE 4, OU L'ON PENSE QUE KING A DU TEMPS A PERDRE
Le problème, c'est que consacrer la majeure partie d'un roman de presque 1000 pages à la seule re-création d'un passé fantasmé, c'est un peu léger. Et il faut bien admettre que King cherche à meubler son livre de bric et de broc, créant une œuvre disparate dont l'unité s'effrite progressivement. Quel est l'intérêt de la partie floridienne ? Pourquoi notre personnage-narrateur met-il deux cents interminables pages à avouer à sa chérie qu'il vient du futur ? Pourquoi les bookmakers mafieux mettent-ils cinq cents pages pour le retrouver et le tabasser, alors qu'une telle scène est évidente dès le début ?
C'est bien là le problème, le temps que met King pour résoudre des situations pourtant évidentes. Du coup, j'ai eu l'impression de lire un roman fait de remplissage, un roman qui, après un début fulgurant (les 250 premières pages sont excellentes) et avant une fin impressionnante (la dernière partie, intitulée Carton-Vert et qui occupe les 100 dernières pages environ, est excellente itou), s'étire inutilement. Jake Epping a cinq ans à perdre ? Et bien, King donne l'impression qu'il a des centaines de pages de perdre.
CHAPITRE 5, OU L'ON TRAITE DES PERSONNAGES DU ROMAN
Oh, bien sûr, tout n'est pas à jeter dans ce cœur de roman. Comme il l'aime le faire, King crée toute une communauté autour de son personnage principal. On y retrouve des personnages que l'on connaît déjà (deux des héros de ça), quelques personnages historiques (dont la famille Oswald, bien sûr) et pas mal de personnages inventés. Le problème, c'est que cette société, assez profondément manichéenne, n'aboutit à rien. D'habitude, c'est l'aspect social qui est le moteur des romans de King : l'horreur s'installe parce que les gens ne peuvent vivre en société apaisée, parce qu'ils cachent mal leurs haines réciproques. L'intervention du surnaturel est l'étincelle qui met le feu aux poudres.
Mais ici... ben, rien. la création de toute cette société n'aboutit à rien de particulier, sinon à ce remplissage de pages, une fois de plus.
Cela n'empêche pas les personnages d'avoir une vraie profondeur psychologique, au passage. King soigne particulièrement Lee Harvey Oswald, véritable personnage complexe, qui fait plus pitié que peur. Rejetant la théorie du complot, King fait d'Oswald le seul tireur du 22 novembre. Il s'en explique dans une postface, mais il faut admettre que c'est avant une procédé romanesque très utile. Suivre une théorie du complot aurait nécessité de faire intervenir la mafia, l'armée, la CIA, voire le président Johnson (pourquoi pas) et aurait réduit à néant les chances d'éviter l'assassinat. Avec Oswald en seul tireur, notre personnage a la possibilité d'empêcher le meurtre. Plus qu'une théorie politico-historique, c'est d'abord un procédé narratif.
CHAPITRE 6, OU, EN GUISE DE CONCLUSION, ON NE RECOMMANDERA PAS CE ROMAN A UN NOVICE
Alors oui, je suis déçu. Il y a certes des scènes sympathiques et réussies. Le final est superbe. Il y a de l'humour, de l'amour, du suspense, de l'émotion, etc. Mais attendez-vous à un roman stagnant. Un roman où le personnage principal passe l'essentiel de son temps à attendre une date qui arrive lentement. Et nous sommes comme lui, dans ce qui apparaît comme un temps suspendu, à nous demander pourquoi l'auteur n'a pas eu la présence d'esprit de réduire notre attente.
Ma note reste positive, certes, parce que ça se lit bien, parce qu'il y a de bons passages (et aussi sûrement parce que ça me ferait foutrement ch... de mettre une mauvaise note à un roman de King) mais je ne conseillerai pas ce livre à quelqu'un qui doit débuter dans la lecture d'un maître qui a su faire bien mieux.