La première fois que j’ai lu le nom de Thomas Vinau, c’était sans y faire attention, sur la tranche de 76 clochards célestes ou presque, avant de reposer le livre, et après m’être dit que le titre était chouette, les figures présentées intéressantes, mais que tout cela sentait quand même trop la mythologie de l’artiste maudit mâtiné de hobo : cette mythologie me laisse froid, moi qui ai été éduqué à la littérature dans une optique où c’est le texte qui compte avant tout. (Peut-être faudrait-il récrire, en 2017, un Contre Sainte-Beuve.)
Chacune des soixante-seize notices du livre consacre entre trois et quatre pages à une personnalité qu’on pourrait rattacher, d’une façon ou d’une autre, à la figure de l’outsider. Dans ce panthéon imaginaire figurent aussi bien les incontournables – Bukowski, Traven, Stevenson, London, Renard… au moins échappe-t-on à Rimbaud et Morrison – que de moins connus – Skip James, Henry Martinson, Thierry Metz…
Il est probable que si j’avais lu 76 clochards célestes ou presque à l’adolescence, j’y aurais trouvé presque autant d’hommes à admirer – mais pas autant de femmes : il n’y a que deux clochardes dans ce volume. Il y a quinze ou vingt ans j’aurais pu m’enthousiasmer pour Robert Wyatt ou pour Syd Barrett, « membre fondateur du Pink Floyd. Cobaye fondateur du LSD » (p. 38). Et c’est ce « cher monsieur Autin-Grenier », auquel est consacrée ici une chouette lettre ouverte en forme de pastiche, qui m’a mené à lire Thomas Vinau, mais ç’aurait pu être le contraire.
Car il y a incontestablement quelque chose d’initiatique dans ces bouquins. L’auteur de celui-ci le sait, qui écrit à propos de Jack London que « tous les enfants qui ont eu le courage de ne pas devenir complètement adultes lui disent merci » (p. 120). Oui : mais même pour un adulte, si le but d’un tel livre est de donner envie d’en lire d’autres – ou d’écouter du jazz ou les Beach Boys –, c’est réussi.
Il ne faudrait pas prêter à 76 clochards célestes ou presque de trop hautes ambitions : pour bien écrit qu’il soit, il n’entend pas pousser le langage dans ses derniers retranchements, ne cherche pas à tout prix le pouvoir évocateur des mots. Pour ça, Thomas Vinau écrit aussi de la poésie. Mais c’est un livre parfait pour mettre aux toilettes – ce qui pour moi n’a rien de dévalorisant, tant que c’est pour le lire.

Alcofribas
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le 31 juil. 2018

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