À l'aide ou le rapport W par MarianneL
Qui n’a pas un jour prononcé la phrase « tu es gentil » avec un peu de pitié ou de condescendance ? Voici une lecture utile, pour se rendre compte qu’il faut chérir la gentillesse, et ses acolytes désintéressés, l’envie de donner ou bien d’aider l’autre, comme ça, juste pour rien.
Dans un futur très proche - si proche -, en 2015, deux fonctionnaires du ministère de l’intérieur rédigent le rapport W, visant à mettre en place un nouvel arsenal législatif et répressif pour éradiquer toutes les actions individuelles sous forme d’une aide, d’un don ou d’un service désintéressé : donner un vêtement à un SDF, arroser les plantes ou nourrir le chat du voisin, garder ses petits-enfants chaque semaine … toutes ces activités non rémunérées qui échappent ainsi au secteur marchand, et sont présentées par les autorités comme le fait d’individus irresponsables et malfaisants.
Emmanuelle Heidsieck ourle la fiction de faits et discours réels, et dévoile ainsi tout le potentiel de violence et de destruction des relations humaines que porte en elle la marchandisation de toutes les sphères de la vie - représentée par la haine entre A et B, les deux fonctionnaires rédacteurs du rapport. Ceux qui gênent le développement de la marchandisation sont dépeints comme de vrais déviants, et la répression cible bien sûr en premier les plus faibles, les individus isolés plutôt que les associations. Toute ressemblance avec des faits réels est intentionnelle, et ce court roman, simple et efficace, fait bien froid dans le dos.
«Ce qui était intolérable pour les dirigeants, en revanche, c’est quand ces activités bénévoles concurrençaient des entreprises ou quand il s’agissait d’actes purement individuels, spontanés, impulsifs, sournois, comme, par exemple, dans l’affaire D. Il fallait en finir avec ceux qui n’en faisaient qu’à leur tête. C’était ce qu’on appelait couramment «le coup du verre d’eau» en référence à la canicule de 2003 et au fait que certaines personnes âgées avaient été sauvées simplement parce qu’un voisin les avait fait boire. Sans ce geste, on aurait largement dépassé les 15 000 morts de plus de 75 ans enregistrés cet été-là. Fort de cette expérience, il était évident qu’il y avait un marché à conquérir. Quiconque l’entraverait se verrait condamné.»