Publié initialement en 1979, cet essai passionnant de Christopher Lasch n’est pas du tout une analyse de plus de l’égocentrisme ou de l’égoïsme, mais une étude de la façon dont l’évolution de la société et de la culture américaine, en particulier depuis les années soixante avec le règne des sociétés multinationales et le culte de la consommation, ont contribué à transformer la structure de la personnalité de l’homme américain - et par extension occidental -, avec des traits de caractère narcissiques de plus en plus développés (narcissique devant être compris au sens psychanalytique du terme).

Dans un monde perçu comme un endroit dangereux et terrifiant, avec la menace nucléaire, l’épuisement des ressources naturelles, le désastre écologique annoncé, croire en l’avenir est devenu difficile, d’autant plus que les medias, rapportant de manière arbitraire les désastres du monde, renforcent le sentiment d’insécurité et de discontinuité de l’histoire.
En parallèle, la perte d’expertise et d’autonomie de l’individu dans le travail avec le développement des grandes entreprises, la compétition accrue dans le travail (où ce qui compte désormais est moins la compétence que l’habileté dans les relations interpersonnelles), le déclin de l’autorité parentale en partie usurpée par l’école et surtout par les grands moyens de communication, l’érosion de la transmission et du lien avec le passé, la prolifération des images dans notre «société du spectacle», le développement d’une civilisation dominée par les apparences, le culte de la consommation, les désirs infantiles stimulés par la publicité, créent une faille béante entre le vide d’une routine quotidienne largement vide de sens et la frustration née de désirs de consommation et de gratification immédiate impossibles à assouvir.

«De fait, le narcissisme semble représenter la meilleure manière d’endurer les tensions et anxiétés de la vie moderne.»

Avec l’érosion de la crédibilité des figures d’autorité, et en particulier la figure paternelle, avec l’envahissement de la sphère privée par les forces de domination organisées, le nouveau Narcisse - soumis aux pressions de la peur de vieillir et de mourir, de la fascination pour la célébrité, à l’obsession de sa propre représentation, soumis à la peur de la compétition, au déclin de l’esprit de jeu, à la détérioration des relations entre hommes et femmes, et à la banalité de la vie quotidienne - vit dans un état de désir inquiet et perpétuellement inassouvi ; il est assailli par l’anxiété et par un sentiment d’inauthenticité et de vide intérieur, et se refugie dans un détachement cynique pour être moins vulnérable à ces pressions qui l’assaillent.

«Vivre dans l’instant, et pour soi-même, devient la préoccupation dominante.»

Voici en quelques mots un début d’aperçu (très partiel) de cet essai extrêmement riche, toujours très pertinent et sainement dérangeant, qui dresse un portrait pessimiste de l’homme occidental contemporain ayant renoncé à transformer le monde, avec une critique en creux d’une gauche américaine qui se trompe de cible, et de mouvements radicaux n’ayant pas cessé de mener des batailles périmées, face à un capitalisme particulièrement agile pour récupérer et exploiter toute frustration et désir potentiel que recouvre un combat, y compris ceux des mouvements contestataires.
MarianneL
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le 29 déc. 2013

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