Du point de vue du fond, "A quoi rêvent les loups" est une tragédie au sens le plus antique et le plus absolu du terme. Laissant éclore au fil des pages une violence paroxystique et insoutenable, ce roman conte la lente descente aux enfers d'un jeune homme ordinaire, dont le destin sacrifié est annoncé dès les premières lignes du texte, incipit se posant en prophétie vouée à s'accomplir implacablement. Et l'itinéraire douloureux de ce héros qui n'en est pas un se révèle lié à, voire incarner, l'Histoire d'une Algérie à la dérive dont les enfants ne savent plus à quelles valeurs identitaires se raccrocher.
Contrairement aux apparences, l'islamisme n'est pas le réel sujet du roman, mais il est ici exemplaire de la frontière aussi fragile qu'universelle entre civilisation et barbarie, entre humanité et monstruosité. L'auteur épouse la subjectivité d'un intégriste religieux sanguinaire, laissant libre accès au parcours et à l'intériorité de cet antihéros monstrueux que la plupart d'entre nous n'essaieraient jamais de comprendre, se refusant à ne serait-ce que lui accorder le statut d'être humain. Ainsi, cette œuvre nous révèle non sans talent ni cruauté, la part d'animalité qui sommeille en chaque être, aussi sensible et intelligent puisse-t-il être. Et que cela s'explique par le contexte politique, social, familial ou historique, il suffit d'un rien pour qu'un destin bascule de la lumière aux ténèbres, et du rêve au cauchemar.
Par la violence de sa plume, Khadra éclaire donc âprement son lecteur sur lui-même, sur le monde et sur le reste de l'humanité, à l'image du poète de l'œuvre, martyr qui s'oppose jusque dans la mort à l'obscurantisme triomphant.
" Avant de mourir, Sid Ali avait demandé à être immolé par le feu.
- Pourquoi? s'était enquis Abou Mariem.
- Pour mettre un peu de lumière dans votre nuit."
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.