Le flux de conscience, l’autofiction, le nouveau roman, l’absurde, le minimalisme, tout ça, etc. : en 2013, ce n’est plus si facile d’écrire un livre qui soit à la fois relativement novateur, aisément lisible et consistant. "Alias Ali" s’attaque, comme s’il n’existait pas déjà des dizaines et des dizaines de livres à son sujet, à la vie de Cassius Clay, devenu Mohamed Ali, en juxtaposant pendant six cent cinquante pages des fragments souvent courts éclairant sous divers angles la carrière du boxeur : se succèdent ainsi des propos d’un entourage dont le comportement va du dévouement au parasitisme, d’adversaires plus ou moins inoubliables, de journalistes, d’écrivains, dont Frédéric Roux lui-même. Les fragments suivent généralement la chronologie ; en tout cas, la composition du livre est rigoureuse.
Les propos sont parfois drôles (« Ça tenait plus de la transfusion sanguine que du sport. », p. 549), parfois consternants (« un virage à trois cent soixante degrés ! », p. 271), parfois anecdotiques, souvent contradictoires (« C’était pas un coup de tête, c’était une droite ! Jerry Quarry. | C’était un coup de tête… Jerry Quarry. », p. 419). Surtout, régulièrement, même lorsqu’ils concernent le sport, ils outrepassent le cadre sportif : « Faut de l’imagination pour survivre… ou alors il en faut pas du tout ! » (p. 389) ou « La détresse religieuse est, pour une part, l’expression de la détresse réelle et, pour une autre, la protestation contre la détresse réelle. Karl Marx » (p. 206). De fait, il n’est pas nécessaire d’apprécier la boxe pour apprécier "Alias Ali" — tout comme Ali lui-même représente bien davantage qu’un boxeur.
Aucune des sources utilisées n’est précise : la plupart du temps, rien qu’un nom ; un journaliste, un lecteur habitué à la presse sérieuse, regretteront peut-être cela. Mais c’est bien de littérature qu’il s’agit, et Frédéric Roux n’oublie pas qu’Ali est l’une de ces figures du XXe siècle américain — Elvis, Marilyn, Kennedy… — devenues très tôt des personnages de fiction ancrés dans une mythologie moderne. Comme dans tout mythe, les éléments factuels importent moins que les idées générales et les thèmes affectifs qui le structurent.
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