A l'occasion de la sortie en salles de Romulus, la toile fourmille à nouveau de rétrospectives dédiées à la célèbre saga aussi polymorphe que sa créature emblématique en une époque lointaine où un blockbuster pouvait assumer sa distinction créative face à son illustre modèle, démarche bien révolue depuis. Au sein de cette tétralogie où les deux premiers opus sont unanimement salués et où le quatrième volet est (hélas) souvent conspué, l'objet de tous les débats réside néanmoins dans le troisième épisode, vilain petit canard de la franchise autant pour le désaveu public d'un David Fincher qui a tracé sa route loin de la science fiction depuis et refuse même d'évoquer en interview cette œuvre de jeunesse (il n'en démord pas encore aujourd'hui), de sa production tristement célèbre pour son déroulement laborieux et ses multiples itérations que pour aussi, il faut bien le dire, l'audace du projet final avec son ambiance carcérale drastiquement différente de ses compères. Je vous laisse aller consulter les innombrables vidéos et articles qui décortiquent toutes les versions annulées d'Alien 3, les rares éléments communs entre ses multiples variations du script et les maigres composantes narratives qui ont subsisté dans l’œuvre finale (malgré son caractère farfelu, j'étais assez intrigué personnellement par la proposition d'une planète monastique avec une communauté religieuse, la foi n'étant d'ailleurs pas vraiment absente du Alien 3 que nous connaissons tous); aujourd'hui, nous allons nous intéresser à la version de William Gibson, célèbre auteur du Neuromancier œuvre fondamentale du Cyberpunk, et dont la proposition de scénario rejeté a déjà fait l'objet d'une adaptation en comics et dans le cas présent d'une série audio (et non d'un livre audio lu par un narrateur...), sans doute plus en raison de la popularité de l'écrivain que de la qualité de son récit, mais on va y revenir très vite.
Autant évacuer d'entrée de jeu ce qui risque de rebuter les fans : Ripley passe l'intégralité du récit dans le coma tandis que Hinx et Newt sont conscients durant la majorité des évènements; drôle d'inversion d'Alien 3 qui échappe à toute logique narrative et semble vraisemblablement résulter d'une contrainte imposée d'écarter le personnage de Ripley dans la crainte que Sigourney Weaver ne voudrait pas reprendre son personnage emblématique. Qu'à cela ne tienne car Gibson va rapidement se désintéresser des protagonistes d'Aliens (James Cameron aurait sans doute gueulé...) pour s'intéresser davantage à une vaste conspiration galactique pour acquérir l'emprise de la créature xénomorphe : c'est indéniablement la facette la plus prometteuse de cet Alien 3 façon William Gibson, son analogie, pas toujours très subtile mais efficace, avec la guerre froide, l'humanité réitérant ses vieilles querelles sur l'échelle galactique avec des frontières spatiales qui délimitent certaines factions humaines : le Xénomorphe est ici au cœur d'une nouvelle course à l'armement, où chacun craint que l'adversaire ne l'ait déjà devancé dans la maîtrise de la créature; les enjeux deviennent ainsi beaucoup moins intimistes que le Alien 3 de Fincher et même si la peinture des communistes avec leurs accents russes n'est pas spécialement finaude, Gibson parvient néanmoins à poser les bonnes questions en s'interrogeant sur la capacité de l'humanité à pouvoir s'unir contre un ennemi commun. A ce titre, le scénario se permet même de lorgner vers une théorie persistante chez les fans : celle que les Aliens sont effectivement une arme à l'origine et il anticipe même Covenant, mais dans le bon sens cette fois ci, en présentant une mutation de l'infection par voie respiratoire, l'Alien s'adaptant tel un virus pour mieux répandre l'infection (l'inverse serait étonnant, pas vrai? :p), le tout dans une ambiance finalement très paranoïaque.
Malheureusement cette approche prometteuse est bien trop rapidement désamorcée dans la deuxième partie du récit où tout finit évidemment par partir en couilles, d'un côté comme de l'autre : les Aliens ça ne se contrôle pas mais que voulez vous, les humains sont décidément très cons, quelque soit leur orientation idéologique et Alien 3 renoue ainsi avec un simple survival, fort peu efficace dans le cadre de cette série audio. La raison en est simple : le récit s'éparpille beaucoup trop dans une myriade de protagonistes peu intéressants dont la plupart sont réduits par leur fonction dans le cadre de la station spatiale et dont on se moque pas mal de deviner à l'avance qu'ils finiront dans l'estomac d'un Alien. Un défaut pour le coup davantage imputable à Gibson, pas vraiment réputé pour l'empathie suscitée par ses personnages au sein de ces mégalopoles torturées, et il n'est pas difficile de penser que son scénario a été justement rejeté à cause de cette froideur chirurgicale, aucun personnage ne constituant vraiment de lien émotionnel tangible pour le spectateur; Hinx ne tire d'ailleurs pas grand parti de son temps de présence dans le récit, se contentant d'être le bras armé des survivants, et il n'est ainsi pas très étonnant de constater que Bishop est sans doute le personnage le plus approfondi de l'ensemble, officiant même en tant que narrateur dans le cadre de cette série audio.
Dès lors à cause de cet écueil, il devient plus difficile d'accepter les autres tares de ce scénario avec en premier lieu un certain je-m'en-foutisme par rapport à la vraisemblance de certains évènements : les Aliens deviennent ainsi soudainement capables d'infecter les androïdes et ces derniers mutent même en hybrides parce que Ta gueule c'est Magique! On passera également sur un affrontement final digne de Jurassic World (paye ta référence :p) et des péripéties pas franchement inspirées dans la dernière partie; bref, pour faire simple, la Lore est ici prometteuse mais le déroulement de l'intrigue assez calamiteux et nul doute qu'il y aurait eu besoin de retravailler ce script pour la version cinéma, sans pour autant devoir forcément jeter à la poubelle toutes les idées intéressantes de Gibson dans sa métaphore politique. Cela étant dit, j'avoue avoir été assez surpris de constater que ce script semble avoir de nombreux fans aux États-Unis mais peut être est ce juste la minorité bruyante d'Internet qui s'est exprimée à l'occasion de la sortie de cette série audio; il faut dire que celle ci bénéficie d'un atout de poids pour les aficionados : la présence de Lance Henriksen et Michael Biehn au casting vocal de la version originale pour reprendre leurs rôles emblématiques, ce qui doit quand même favoriser sacrément l'immersion. Comme toujours pour les séries audios, je ne juge ici que la version française (je suis à l'aise avec l'anglais mais pas au point de m'écouter une série entièrement audio dans cette langue) et malheureusement, même si le doublage reste de bonne facture, il peine à assurer une véritable continuité vocale avec les voix des regrettés Marc Alfos et Mel Hondo (je vous recommande par ailleurs cette chouette vidéo dédiée à la VF des films originaux : https://www.youtube.com/watch?v=wdGAC-dPrg4 )
A ce titre, je dois avouer avoir également trouvé la composante audio de cette série assez timorée par rapport aux excellents Fleuve des Profondeurs et Mer des Désolations mais peut être est ce simplement parce que je deviens plus exigeant en la matière avec le temps. Quoiqu'il en soit, cet Alien 3 Gibsonien demeure une curiosité sympathique pour découvrir une réalité alternative vers laquelle la franchise aurait pu évoluer à cette époque (avec toutes les répercussions qu'elle impliquerait pour la suite de la série) mais en tant que série audio ou même ébauche de scénario, cela reste un récit perfectible à bien des égards et très franchement inférieur à l’œuvre de Fincher pour ma part. Mais c'est sans doute là que le débat commencerait, j'imagine. :p