Le surréalisme littéraire a tendance à m’agacer : son caractère épiscopal, sa haine de la fiction et de l’aventure en particulier, le fait qu’une myriade d’escrocs artistiques s’en soient par la suite réclamés, l’absence totale d’attachement personnel qu’un Éluard ou un Aragon m’inspirent – pour ne pas parler de Breton… – et surtout cette mention qui me semble inscrite en filigrane de toute la production littéraire surréaliste : nous savons mieux que tout le monde ce qu’est la poésie, Nous sommes la Poésie.
Avec les Belges, c’est un peu différent. (« Surréalisme belge », ça peut avoir l’air d’un pléonasme…) Parce qu’ils semblent moins attachés à leur personne, par exemple : « J’aimerais assez que ceux d’entre nous dont le nom commence à marquer un peu, l’effacent. » (p. 20) écrit ainsi Paul Nougé à André Breton. On lit par ailleurs dans la présentation (p. 7) que « L’image qui rend le mieux compte de sa dissolution [celle du surréalisme] serait celle du delta d’un fleuve, dont le courant principal se transforme en d’innombrables tracés, dont aucun ne peut prétendre à lui seul recueillir les eaux originelles. » De fait, il y a là de tous les courants et de tous les contre-courants ; mais globalement, l’ensemble des textes présentés ici se rattachent à une même branche. (Je sais, foutre des courants et des branches au lieu d’une seule métaphore, c’est assez merdique...)
Et si j’ai trouvé plus d’intérêt dans cette anthologie que dans la plupart des textes surréalistes français que j’ai eu l’occasion de lire, ce n’est pas que le surréalisme belge fût moins politique : la théorisation, la centralité de la question de l’action poétique, l’annexion – ou la prise en otage – par la politique de certains textes, annexion dont les auteurs desdits textes semblent eux-mêmes conscients, tout cela se retrouve aussi en Belgique. Mais il n’y a pas cette figure de Pape-Inquisiteur qu’incarne Breton.
Et il y a de la poésie mémorable. Tiens, un peu au hasard, et comme je n’ai pas le courage de copier entièrement « C’est à cause de Lorrie » de Scutenaire (p. 139-140), quelques vers de Christian Dotremont (p. 255 et 257, tirés de « L’Avant-Matin ») : « Et ton cœur, petit songe armé du grand réel, / quel matin l’as-tu mis sur ton front, sur ta joue ? » ou encore « Ton sourire est encore une troisième lèvre / où je mets un baiser qui va jusqu’au grand jour… » Voilà.
Évidemment, j’ai évoqué au début de cette critique le surréalisme belge tel que cette anthologie donne à le découvrir : elle regroupe des textes d’André Souris, Paul Nougé, Camile Goemens, Marcel Lecomte, Louis Scutenaire et Irène Hamoir (dite Irine), René Magritte, E.L.T. Mesens, Albert Valentin, Fernand Dumont, Achille Chavée, Marcel Mariën, Christian Dotremont, Jacques Lacomblez, Marcel Havrenne, Paul Colinet, Paul Bourgoignie, Pierre Puttemans, du Daily-Bul de Tom Gutt et de « Tracts et déclarations collectives ». Avant ma lecture, seuls trois de ces noms me parlaient… Et j’ai bien envie de me plonger dans les Inscriptions de Scutenaire.

Alcofribas
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le 15 avr. 2017

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