En cette triste année 2007, les Français ont à nouveau donné une preuve éclatante de leur connerie tout le long d'une campagne pour les élections présidentielles particulièrement pathétique, où il n'y avait pas un candidat pour rattraper l'autre, et qui s'est achevée sur le tristement prévisible plébiscite d'un nabot arriviste et omniprésent. Et on en a pour cinq ans, voire plus. Là, je ne vous apprends rien, en principe.
« Ben quoi, Nébal ? T'étais pas supposé nous causer d'un bouquin de SF, là, plutôt que de nous faire part une fois de plus de ta pathétique francophobie / misanthropie de jeune couillon qui se cherche entre le « rouge révolutionnaire » qui refait le monde au comptoir du bar du coin et le bobo réformiste mais pessimiste et à deux doigts de l'abandon ? »
Si si, ça va viendre. Mais c'est que – et là aussi, je ne vous apprends rien – la SF est un genre souvent politique, et c'est en bonne partie pour ça que je l'aime. La science-fiction française a par ailleurs une certaine réputation en la matière, qu'on va qualifier de « un peu » à gauche. Ca a produit des choses parfois très pénibles (je m'empresse de rappeler ici une jolie expression de Gérard Klein, en réponse à une de mes naïves questions sur le forum d'ActuSf, sur « la science-fiction politique française, qui n'avait guère de politique que le cache-sexe »...). Mais on aurait bien évidemment tort de s'arrêter à cette image-là. Et, au-delà, les écrivains français de science-fiction sont des citoyens comme les autres, et qui peuvent ressentir le besoin de s'engager. C'est ce qui s'est produit entre les deux tours du Loft présidentiel, Alain Damasio lançant un appel auprès de ses consœurs et confrères pour faire part de leur tristesse / dégoût / inquiétude quant aux résultats du premier tour, qui ne laissaient à vrai dire guère de doutes quant à l'issue du second. L'appel avait d'abord semble-t-il circulé de manière assez informelle, puis plus officielle, et s'est ainsi constituée par agrégation une liste de « trente auteurs de science-fiction [qui] s'interrogent sur la France qui se lève tôt » (comprendre : qui n'aiment pas Naboléon et sa politique, et entendent bien le faire savoir). Jolie, la liste. Je cite :
« Appel signé par Jean-Pierre Andrevon, Stéphane Beauverger, Ugo Bellagamba, Francis Berthelot, Charlotte Bousquet, Lucie Chenu, Fabrice Colin, Alain Damasio, Thomas Day, Sylvie Denis, Catherine Dufour, Claude Ecken, Jean-Pierre Fontana, Johan Héliot, Sylvie Lainé, Markus Leicht, Li-Cam, Jean-Marc Ligny, Claude Mamier, Francis Mizio, Lise N., Simon Sanahujas, Olivier Tomasini, Roland C. Wagner, Vincent Wahl, Laurent Whale, Joëlle Wintrebert... et raturé par nos dissidents Patrick Eris et Serge Lehman. »
Du beau monde, tout de même. Et ActuSf, via sa petite structure éditoriale Les trois souhaits, a donc publié cette courte anthologie (essentiellement des « short stories », entre 1 et 6 pages chacune), avec une préface de Charlotte Volper, Eric Holstein et Jérôme Vincent, et ornée d'une fort jolie couverture réalisée par Jean-Emmanuel Aubert et ledit Eric Holstein.
« Et ça vaut quoi ? »
6 €.
« Oui, mais c'était pas la question... »
Certes. Pour faire simple, bilan mitigé.
Il y a bien quelques très bons textes dans le tas. J'avoue pour ma part avoir de loin préféré les textes témoignant d'un certain accablement dans lequel je me reconnais volontiers... Deux textes sont ici à citer : « Interruption momentanée des programmes », de Fabrice Colin (pp. 11-16), adopte une forme poétique que je serais bien en peine de juger, mais traduit des émotions qui ont clairement été les miennes au soir du premier tour ; un texte très juste, très parlant, qui exprime avec force un sentiment de malaise, de dépit, voire de culpabilité, à l'égard de cette triste élection. Il faut y ajouter « Le suicide de la démocratie », d'Ugo Bellagamba (pp. 88-89), allégorie intéressante et pertinente, quand bien même – nécessairement ? – un peu lourde.
Au-delà, on trouvera également quelques jolies réussites dans des textes plus offensifs, mais qui prennent le parti de l'humour ou de l'absurde pour exprimer leur désapprobation (ce qui m'a toujours paru plus intelligent et efficace que la haine, voir plus bas...). On peut citer ici Roland C. Wagner, avec le très drôle et pertinent « « La gratuité c'est le vol » déclare le ministre des Finances » (pp. 22-23) prenant l'allure d'un discours éclairé par une laconique dépêche AFP ; Francis Mizio, qui, avec « S'en sortir en 2010 : facile » (pp. 24-26), livre l'effrayant portrait d'un travailleur dont le corps est soumis aux lois du marché ; Claude Ecken, dont « Les nouvelles Béatitudes » (pp. 42-43) sont tristement lucides (sans doute un des meilleurs textes de l'anthologie) ; Jean-Marc Ligny, qui m'a agréablement surpris avec « Pour une démocratie plus nette, des élections modernes ! » (pp. 44-45), « courrier officiel » assez pertinent (pourquoi « surpris », alors ? Parce que, quand bien même j'avais beaucoup aimé AquaTM, pour l'heure ma seule lecture du Monsieur mais ça va vite changer, j'avais été un peu gêné par sa vision très simpliste et caricaturale de la politique contemporaine... mais là, ça va) ; Johan Héliot, qui, avec « Appel urgent » (pp. 50-52), retrouve l'humour absurde, tragique et kafkaïen de Brazil ; Alain Damasio, à l'origine de l'appel, et qui livre quant à lui deux textes très courts et très réussis, « Définitivement » (pp. 64-65) prenant l'apparence d'un extrait du Petit Robert 2007 (édition révisée...), tandis que « Disparitions » (p. 91) dresse le cinglant et hilarant portrait de l'omniprésent Sarkozy (sans doute un des textes les plus lucides de l'ensemble). Dans un genre un peu différent, il faut également mentionner ici Catherine Dufour, dont j'enfreins avec cette note les « Mentions légales » (pp. 92-93) qui viennent clore le volume, et enfin l'étrange texte du « dissident » Serge Lehman, « Un ancien dissident à nouveau autorisé à publier » (pp. 55-56), qui vient briser un peu la tendance au manichéisme de l'anthologie en taquinant ses comparses, et en premier lieu l'initiateur Damasio, proclamé « secrétaire général de la section science-fiction du Bureau des Ecrivains pour le Progrès et l'Antifascisme » (semble-t-il parce que, bien qu'approuvant le fond, il ne se reconnaissait guère dans la méthode).
Pour le reste, c'est très variable. On trouvera pas mal de textes plutôt médiocres, se contentant d'enfoncer des portes ouvertes ou d'émettre des jugements un peu naïfs sur le nouveau Patron, mais qui restent acceptables ou au pire négligeables. Inutile de détailler davantage, c'est du vite lu, vite oublié.
Hélas, mais c'était tristement prévisible, on trouve aussi quelques textes franchement ridicules, simplistes et haineux, se complaisant bêtement dans un lapidaire, et, au choix, paranoïaque ou délibérément mensonger « Sarko = facho ». Je me contenterais d'en citer ici les deux pires exemples (histoire de me faire des amis). Il en va ainsi du texte de Jean-Pierre Andrevon, déjà publié avec quelques coupures dans Libération, mais cette fois in-extenso, « Un certain 6 mai 2007 » (pp. 66-70), texte supposé décrire à la première personne les 100 premiers jours de la présidence de Nicolas Sarkozy, mais qui se révèle uniquement absurde et haineux, fondé sur du vide, stupide et sans intérêt. Sarkozy a déjà bien assez d'aspects critiquables comme ça, inutile d'en inventer d'autres, cela ne fait que décrédibiliser la critique en général... Andrevon est un vieux soixante-huitard, ce qui est toujours agaçant, et on en voit ici les pires travers ; il a heureusement montré d'autres facettes plus louables, ainsi avec son très bon roman Le Travail du Furet, et je dois prochainement lire Le Monde enfin, qui m'a l'air très alléchant ; j'espère ne pas me retrouver au final devant le même constat... Ceci dit, la palme de la bêtise, je la donnerais pour ma part sans hésiter à Stéphane Beauverger, dont le « Sécurité / impunité (scène vécue à venir) » (pp. 20-21) est tout simplement hors-sujet, succombant à certains égards au piège du volontarisme prôné par Sarkozy et de son omniprésence médiatique en lui imputant une responsabilité qui ne saurait de toute évidence être la sienne. Là encore, c'est se tromper de cible. L'anthologie aurait à mon sens gagné à ne pas être parasitée par ce genre de pamphlets bas du front, qui font plus le jeu du nabot arriviste qu'autre chose...
Au final, Appel d'air constitue ainsi une initiative louable et légitime, mais où l'on trouve à boire et à manger, le pire comme le meilleur. Certainement pas une lecture indispensable, mais un document intéressant, dans ses qualités comme dans ses défauts, et sur lequel il sera sans doute fort intéressant de revenir d'ici, oh, allez, un peu moins de cinq ans... en principe.