Une chouette adaptation française par Jeux Descartes pour un jeu de rôle exceptionnel.

Ars Magica est un jeu de rôle qui se propose de nous faire incarner un mage au Moyen Âge (par défaut entre le XIIème et le XIVème siècle), au sein d’une organisation appelée Ordre d’Hermès et dans le cadre de l'Europe Mythique. On passe de l’Europe historique à l’Europe Mythique selon cette idée fondamentale que toutes les croyances communes en ce temps contenaient une part de vérité. Ainsi des êtres féeriques se cachent dans les forêts obscures, des démons se manifestent physiquement pour venir corrompre les paysans et moissonner des âmes pour les Enfers et la magie est bien réelle, présente évidemment dans les remèdes de grands-mères, pratiquée par de vieilles sorcières recluses, mais véritablement élevée au rang d’art par les thaumaturges de l’Ordre d’Hermès. L’Europe Mythique donne aussi la distance nécessaire pour permettre au Conteur de distordre la réalité historique sans encourir les commentaires réprobateurs de ses joueurs férus d’histoire. L’Europe Mythique c’est ainsi un Moyen Âge sur lequel projeter ses fantasmes et la communauté des joueurs, que le jeu baptise la Troupe, pourra ainsi se tailler une vision sur mesure, plus ou moins réaliste.L’Ordre d’Hermès est une organisation fondée en 767 par Bonisagus pour mettre fin aux nombreux conflits qui ravageaient la population des thaumaturges, chacun cherchant à s’approprier les supposés secrets de son voisin et sacrifiant ainsi beaucoup de temps qui aurait pu être employé à parfaire son Art. Bonisagus a apporté comme legs fondateurs de l’Ordre une théorie magique performante et propice au développement et au partage des connaissances mystiques, la théorie hermétique, et un rituel de protection contre la magie d’une efficacité inédite, la parma magica. Le document fondateur de l’Ordre d’Hermès est le Code Hermétique qui réprime en substance toutes les actions qui sont à même de mettre en danger l’Ordre d’Hermès ou l’un de ses membres. Ainsi du fait pour un mage d’attirer sur l’Ordre l’attention de la population vulgaire (qui doit se comprendre comme la société chrétienne, pour qui la magie est une manifestation du Malin), l’ire du Petit Peuple, de traiter avec les forces Infernales ou de nuire à un autre mage de l’Ordre. Le respect des prescriptions du Code Hermétique est assuré par seize Tribunaux dont la compétence couvre le territoire de l’Europe Mythique. Ainsi l’Ordre d’Hermès définit-il le cadre juridique au sein duquel les thaumaturges peuvent prétendre étudier à l’abri des vicissitudes extérieures. Concrètement ceux-ci se regroupent sous forme de communautés de taille variable appelées Alliances. Ces Alliances sont formées selon affinité et sont dotées d’une Charte qui en détaille les règles internes de fonctionnement. Elles regroupent l’ensemble des moyens matériels et humains nécessaires pour que les thaumaturges puissent vivre à l’abri des soucis de la vie quotidienne et se concentrer sur la seule pratique de la magie. Ces Alliances sont communément régies plus ou moins démocratiquement au sein d’un Conseil où siègent tout ou partie des mages qui en sont membres selon des critères propres à chaque Alliance.


Ars Magica est un jeu de rôle historique car il a été un laboratoire où ont été expérimentés de nombreux concepts, dont certains préexistaient mais dans des jeux moins populaires (en particulier certains concepts étaient déjà exploités dans Pendragon). La grande originalité d’Ars Magica est de conter l’histoire d’une Alliance sur plusieurs décennies, sous la forme d’une Saga. Les joueurs incarnent les différents membres de cette Alliance et non seulement leur mage. Ils sont donc susceptibles de changer de personnage au cours de la Saga et au gré des turpitudes des scénarios ; l’Alliance est véritablement le personnage central d’une saga d’Ars Magica, création commune de la table, aussi bien du Conteur que des joueurs. Ainsi une Saga s’intéresse autant à la vie quotidienne au sein de l’Alliance qu’aux aventures à l’extérieur de ses murs. C’est là l’affirmation du concept de storytelling cher à Marc Rein·Hagen que celui-ci reprendra et popularisera définitivement dans la gamme World Of Darkness. A ce titre le joueur est invité à chiffrer les traits de caractère de son personnage et ceux-ci sont pris en compte techniquement par le système de jeu (de manière simple et efficace, au contraire de l’usine à gaz Pendragon et n’en déplaise à Greg Stafford).
Évidemment impossible de parler d’Ars Magica, un jeu au cœur duquel se trouvent les mages hermétiques sans préciser que son système de magie est extrêmement complet. Il apporte au concept de magie une vraie crédibilité en l’abordant comme une science à part entière (ou plutôt comme un Art car la magie sait aussi conserver une grande part de mystère) et une très grande souplesse. Les thaumaturges sont ici des érudits et des rats de laboratoire qui consacrent beaucoup de temps à parfaire leur Art et à tenter de repousser les limites connues de la théorie hermétique.
Ars Magica est donc un jeu de campagne dans un univers aux thématiques riches et variées. Côté intramuros il propose aux joueurs la difficile tâche de diriger une communauté (l’Alliance), d’en établir les règles de fonctionnement, de gérer au quotidien les conflits qui ne manquent jamais de survenir dans un tel environnement, de faire preuve (ou non) de diplomatie, d’incarner des personnages dans le temps et de faire évoluer ceux-ci. Côté extramuros il propose aux joueurs d’explorer l’Europe Mythique, la société vulgaire, la chrétienté et la tentation Infernaliste, le mystère et la Féérie, la quête du pouvoir et la magie, l’équilibre fluctuant entre tous ces pouvoirs. Mais aussi, pourquoi pas, de s’inscrire dans les événements historiques. Et dans tous les cas de figure il s’agira d’appréhender la dimension politique des relations entre l’Alliance et ces multiples pouvoirs car, quand bien même l’Alliance chercherait à exister en dehors de la société, elle habite cette société et ne saurait demeurer éternellement à l’écart.


Le chef d'œuvre de Jonathan Tweet et Mark Rein.Hagen a connu cinq éditions en version originale (en anglais) ; les deux premières éditées par Lion Rampant, la troisième par White Wolf et les deux dernières par Atlas Games. La première édition française, éditée par Jeux Descartes, est la traduction de la troisième édition, la mise en page et la charte graphique ayant été refondue avec bonheur à cette occasion. Sous ce gros grimoire (fragile) de 390 pages se cache celle qui constitue à mon sens l’édition la plus aboutie de la gamme. Il s’agit de l’aboutissement du processus de maturation de la première édition. On sent qu’elle bénéficie d’une longue expérience de jeu, avec des règles claires, détaillées mais sans être omniprésentes et qui laissent une large place à l’imagination de la Troupe. La quatrième édition est repartie de zéro et, en dépit de quelques bonnes idées ici ou là, est très mal équilibrée et croule sous les systèmes. Ce qui est rédhibitoire pour un jeu qui est prévu pour être joué sur le long terme. La cinquième édition reprend la base de la quatrième mais a subi un gros travail de débogage. Ce n’est pas une mauvaise édition, c’est même plutôt une réussite, mais je trouve que la volonté de TOUT prendre en compte par les règles tue un peu la spontanéité et l’imagination. La magie y perd un peu de son mystère. Enfin bouquin américain oblige la réalisation graphique est calamiteuse. Cette cinquième édition a été bien mal traduite par Ludopathes, et le livre original qui était déjà très technique et assez lapidaire est devenu largement hermétique à l'occasion. Il repoussera assez logiquement tout MJ dont il constituerait le premier contact avec Ars Magica (sans parler d'un futur MJ dont il serait le premier contact avec le jeu de rôle) tant il est mal écrit, sans passion affichée, et concentré sur le système de jeu en consacrant la portion congrue à l'univers.

bunnypookah
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le 19 avr. 2016

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