Errance et salut du cadre d'entreprise
Ce bref et élégant essai est un montage parallèle des deux vies d'un cadre, divisé entre deux mondes: le monde de l'hyperconnectivité contemporaine - et le monde du recueillement monacal.
L'auteur parvient, avec une très grande justesse, à décrire l'anxiété, la tension, et le vide qui peuvent se manifester dans les corps même des personnes affairées. Il se livre alors à la création d'une catégorie anthropologique, le "gyrovague", personnage soucieux, sans cesse occupé, courant de partout, incapable de se concentrer, de prêter son attention au présent ou aux autres - qui mène une vie en apparence épanouie - mais parfaitement dysfonctionnelle, au fond.
Ces pages peuvent être comparées, dans leur lucidité et leur acuité, aux meilleures pages des stoïciens latins - mais l'issue, ou le salut, proposé par l'auteur, diffère grandement de la médecine de l'âme antique, le cadre d'entreprise se tournant résolument vers le monachisme intermittent pour s'arracher à son agitation mortifère et retrouver sens et temps.
Cette description précise et vivante de la vie monacale est du plus grand intérêt - y compris pour le lecteur athée, qui apprendra beaucoup sur cette vie coupée du monde. Un petit regret saisira tout de même ce lecteur, qui se prendra peut-être à rêver d'un autre livre, d'une suite, qui trouverait les raisons du succès de la "cure monacale", non dans la possibilité que le surnaturel existe, mais dans le fonctionnement concret d'un monastère, et les dispositions morales et psychologiques qu'il encourage.
Mais ce n'est pas le propos de notre auteur, dont la piété, même si le lecteur ne la partage pas, demeure admirable et belle, tournée vers le recueillement et une élévation de l'âme qui le placent au rang des rares auteurs chrétiens mus par la foi - et non par la passion de l'obéissance et de la réaction.
Une très belle lecture, originale et féconde.