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le 4 nov. 2016
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La lecture du fascinant Un logique nommé Joe de Murray Leinster dans la collection « Dyschroniques » m’a fait découvrir une charmante collection, qui puise dans l’immense fonds patrimonial de nouvelles de science-fiction pour en piocher celles dont le texte résonne encore avec notre actualité. En voici un autre exemple, mais il y en d'autres.
Celle-ci est l’oeuvre d’Ann Warren Griffith, qui a fait partie de la Women Airforce Service Pilots (WASP), un service de l’Air Force composée de femmes pilotes civiles, pendant la Seconde Guerre mondiale. Après celle-ci, elle écrivit pour différentes revues, et Audience captive serait sa seule nouvelle d’anticipation.
Lors de sa parution en 1953, l’auteure a alors 35 ans. C’est un nouveau monde, l’âge d’or de la consommation américaine, où la réclame est reine avec tous ces petits mensonges mais aussi ces techniques bien plus graves pour manipuler l’opinion. Une chronologie en fin d’ouvrage en relate les différentes étapes.
L’univers décrit ici n’a pas la même force visionnaire que celui d’Un logique nommé Joe, qui annonçait l’ordinateur personnel et internet, rien que ça, mais il reste troublant. Le monde ici dépeint est régi par la publicité, incarnée dans tous les produits. Chacun d’entre eux possède un micro, rappelant fréquemment de l’utiliser.
C’est le tintamarre, c’est parfois épuisant, mais c’est la règle absolue, cela a même approuvé par la justice au nom de la liberté de promouvoir. Toute la société est ainsi régie, les annonces sont attendues, les nouvelles réclames sont jaugées. Le consommateur est à l’écoute de la marque, le rêve de tout publicitaire.
Et ce contexte est intéressant, d’autant que l’auteure en exploite certaines de ses ramifications dans la société, telle que les courses en supermarché. Les différentes manières de proposer de la publicité sont présentées, du texte accusateur, à celui qui joue sur l’empathie ou bien accompagné de petites mélodies entraînantes.
Mais l’histoire qui est proposée n’est pas suffisante. Elle est au centre, avec cette famille typique, la mère au foyer, les enfants à l’écoute des dernières réclames et le père qui est un important responsable de ces campagnes, toujours à la recherche du prochain « coup ».
Rapidement, le récit fait intervenir deux éléments qui pourraient mettre le feu aux poudres, une campagne publicitaire avec un mauvais retour, mentionnée mais oubliée après, et surtout l’arrivée d’une grand-mère rebelle à ces intrusions. Mémé ayant fait de la prison à ce sujet, suite à une désopilante affaire de boules quiès devenues illégales.
Mais il n’en sera rien, l’histoire ne progressera pas, rien ne changera. Et si on peut y voir un certain pessimisme sur cette société consumériste esclave du Grand Dieu de la Publicité (le pire qu’il soit!), sans espoirs, où le cynisme mercantile est impossible à défier, les promesses attendues ne sont pas là. Les personnages sont mal exploités, condamnés à rester eux-mêmes. Il aurait fallu remuer cette boue.
Le décor prime, la présentation est reine, sans volonté de rajouter de la fiction à ses personnages, ce qui correspond peut-être aux habitudes d’Ann Warren Griffith, journaliste. L’écriture (ou la traduction) est d’ailleurs assez plate, sans recherche de styles, avec des phrases simples et des expressions toutes faites qui n’aident pas à relever le goût de cette nouvelle. La traduction anonyme reprend peut-être celle d’époque, le texte ayant été publié en France seulement quelques mois après sa parution américaine. Elle apparaît alors assez datée, avec quelques tournures de phrase un peu trop désuètes pour être charmantes. La société régissant cette publicité intrusive est ainsi nommée « Ventriloquie universelle », ce qui n’est guère crédible pour le nom d’une compagnie.
Il reste à la nouvelle son contexte à l’ironie acide, un avertissement contre les dérives de cette société de consommation. Si nous avons échappé à ce matraquage publicitaire audio, d’autres sont toujours là et d'autres sont apparues.
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le 25 juil. 2022
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