Hercule au pays des Khirgizs

J'adore cette collection, je suis fier de vivre dans un pays qui a permis de telles publications. Il s'agit d'une épopée qui daterait peut-être des XIIIe-XIVe s., et qui se revendique khirgize. On y trouve quelques éléments musulmans, mais qui semblent plaqués : le fond est chamanique, et les realias sur la vie quotidienne des éleveurs-nomades à cheval foisonnent.

Une mythologie inattendue de la steppe, centrée sur un héros plus fort et courageux qu'intelligent, une sorte d'Hercule, quoi : Er-Töshtük, fils d'Eleman, qui vit des voyages et des épreuves.

Er-Töshtük naît, un vieillard à barbe blanche lui donne son nom d'Er-Töshtük, "virile poitrine". Il va récupérer les chevaux que l'intendant de son père, Sarban laissait vaquer pour son compte. Il retrouve ses huits frères, de grands dadais. Ses neuf fils demandent à être mariés, et Eleman demande Sarï-Bay ses neuf filles. La plus belle, Kenjeke, revient à Töshtük. Mais arrive la sorcière Jelmoghouz, une femme-monstre à sept têtes qui peut enfourcher des objets ménagers pour voler et se transformer. Elle menace Eleman de mort, et ce dernier lui confie la Lime qui renforme l'âme de Töshtük, qui devient très faible. Heureusement celui-ci, aidé par le cheval Tchal-Kouyrouk, sorte de Pégase qui peut grandir et rapetisser à volonté, voire se transformer à osselet pour que Töshtük le range dans sa poche, parvient à la cacher ailleurs.

Las ! la Jelmoghouz pourchasse Töshtük et le précipite dans le gouffre du monde souterrain, où les pouvoirs du héros sont réduits. Il rencontre une série de rois, qu'il aide en les débarrassant de leurs ennemis puis en usurpant leur trône de manière ma foi fort rustre. Puis il se fait de nombreux amis : quatre géants : Mâmit-qui-ne-laisse-échapper-le-chamois, super-rapide ; Mâmit-l'Ecouteur-de-la-Terre, qui entend tout ce qui se passe de très loin ; Mâmit-le-tourbillon, très léger ; Mâmit-vue-perçante, qui voit tout de loin ; mais aussi un tigre, un ours, et la reine des fourmis. Le monde souterrain vit sous la férule d'un tyran, le géant Kök-Döö (ou Géant Bleu). Sa fille, Kül-Ayïm, amoureuse de Töshtük, avait demandé à la Jelmoghouz de le ramener sous terre. Töshtük se fait bouvier et prend l'habit d'un Teigneux, et Kül-Ayïm obtient sa main grâce à une cérémonie de lancer de pomme. Mais le Géant Bleu envoie ce gendre au statut indigne dans des missions périlleuses pour s'en débarrasser (chasse, recherche de poulains). Au cours d'une mission, il rencontre l'Aigle Noire géante, qui a son nid dans L'Arbre géant d'où naissent tous les animaux. Il sauve les aiglons qu'allaient dévorer un serpent géant, se faisant ainsi de l'Aigle une alliée : l'Aigle l'avale, reconfigure ses os pour le rendre plus fort, puis le recrache.
De retour, le Géant Bleu démasque Töshtük et l'oblige à passer sept épreuves, souvent truquées avec l'aide de la Jelmoghouz. Töshtük les remplit avec l'aide de ses alliés rencontrés précédemment : la Bûche de Fer (avec l'aide de Konok-Bay, lieutenant du Géant Bleu qui passe dans le camp de Töshtük) ; la course de chevaux ; la course à pied ; ramasser des grains de mil éparpillés dans la plaine ; lutte contre un tigre ; lutte contre un ours ; recherche du Chaudron-à-Quarante-anses au Pays-sans-Retour (où Thcal-Kouyrouk se tape l'essentiel du travail, un combat sous un lac). De retour, Töshtük affronte le Géant Noir, puis le Géant Bleu. Il demande ensuite à l'Aigle de le ramener dans le monde de la surface : l'Aigle le porte avec sa femme d'en-bas et sa suivante, mais Töshtük doit se découper de la viande des jambes pour que l'oiseau ne tombe pas d'inanition.

De retour en haut, Töshtük trouve un héros tombé dans une fosse, "Oreille-de-Fonte", qu'il aide à sortir, mais qui se révèle un vil fêlon, qui le laisse pour mort. Il est en effet invincible, car son âme est cachée dans un endroit secret. Ressuscité par l'Aigle, qui le remâche encore pour le rendre mille fois plus fort qu'avant, Töshtük obtient par la ruse le renseignement sur le lieu secret : l'âme d'Oreille-de-Fonte est cachée dans une cage à sept oiseaux enfermée dans le ventre d'une chèvre, dans un lieu au confin du monde. Töshtük le ramène, et avec l'épouse et la servante, règle son compte au méchant. Il rentre, retrouve sa bien-aimée Kenjeke, qui l'a fidèlement attendu pendant sept ans (sa grossesse n'a même pas avancé), et tout le monde banquète, le vieux Eleman léguant ses richesses au peuple et mourant fort commodément.

J'aime beaucoup la mythologie bizarre du chamanisme, avec ses objets auxquels on attache une âme, ses figures de géants allongés et menaçants, ses animaux étranges, ses pouvoirs merveilleux à la fois étonnants et pas si éloignés de notre merveilleux occidental. Beau dépaysement, je vous conseille le voyage, d'autant que l'édition est fort bien faite, au vu de la complexité qu'a dû revêtir l'établissement du texte et sa traduction.