C'est étonnant ce que ce petit roman jeunesse de 250 pages peut contenir. C'est un roman addictif, rondement mené, intéressant, exotique, sportif et porté sur la quête identitaire et de genre, sous une plume facile à lire aux pointes poétiques.
D'abord, il s'agit de mon second roman traitant du phénomène "Bacha Posh", le premier étant "Cachée sous mon turban", une biographie, où une jeune fille de 10 ans passe autant d'année dans la peau d'un adolescent puis d'un jeune homme. Dans ce roman-ci, Farrukh/Farrukhzad est travestie plus tôt, à l'âge de 5 ans, jusqu'à ses premières règles, à 15 ans. Et force est de constater que ce phénomène est plus répandu que je le croyais. C'est d'autant plus vrai que plusieurs romans jeunesse portent sur la question.
Donc, côté histoire, nous avons Farrukh, 15 ans, un afghan qui caresse le rêve de faire participer la première équipe d'aviron afghane aux Jeux olympiques. Ce rêve ambitieux n'est pas sans heurts: piètre matériel, pas d'entraineur qualifié ni même de vestiaire. Mais au-delà du matériel, les huit rameurs et Farrukh, leur barreur, sont motivés et unis. Les choses prennent une tournure positive quand une francaise, Maude, accepte de leur confier un "8" ( le bateau) moderne et léger avec les rames en fibre de carbone également plus sophistiquées. Cependant, Maude s'impose comme entraineuse, dans un pays où la femme n'a guère plus de droits que les animaux et où la place de la femme est dans la maison. Ce qui est bien dommage puisque, visiblement, elle sait de quoi elle parle. Néanmoins, Farrukh affronte bientôt un évènement qui lui retire à la fois ses rêves et sa liberté: Il devient une femme.
C'est assez difficile et révoltant de voir que dans certains pays, être un femme relève pratiquement de l’handicape, voir de la punition. du jour au lendemain, pour une simple histoire de saignements, Farrukh n'a plus le droit d'être scolarisé, de se promener seul dans les rues, ne peut plus exposer sa tête et son corps aux hommes et ne peut plus faire de l'aviron. de quoi rendre fou. Pourtant, après une brève période de révolte, Farrukh/Farrukhzad prend conscience que certaines barrières sont purement abstraites, solidifiés par des dogmes religieux archaïques et des mentalités rigides qui se perpétues entre les générations. Elle/Il décide d'agir.
J'ai beaucoup aimé ce personnage entre deux sexes, bien que Farrukh, pour des raisons évidentes, se sente plus "garçon" que fille. Sa détermination est belle à avoir et son esprit intelligent rend également compte d'une bonne capacité d'introspection. Contrairement à ses sœurs, Farrukh a pu vivre librement et jouir d'une éducation en bonne et due forme, ce qui explique en bonne partie pourquoi il est si difficile d'y renoncer ensuite. Farrukh a une conscience du monde très élevé et une curiosité insatiable qu'il nourrit assidument. D'une certaine manière, le condamner au rôle féminin est une sentence de mort pour son esprit.
Un personnage tel que lui/elle illustre l'absurdité absolue du système entre les genres qui a court dans cette partie du monde, puisqu'il démontre tout le potentiel de ces filles, temporairement travesties, qui se perd juste sur la question du sexe. le clivage entre garçons et filles est abyssal et en apparence, insurmontable.
Le phénomène des Bacha Posh amène une dimension intéressant sur la question de l'identité et de ce qu'on attend de chaque genre. En créant ces "filles masculinisées", on assiste pratiquement à la naissance d'un troisième genre, qui ne répond pas aux standards des deux autres. Il y a de quoi faire des débats animés et des réflexions profondes ( Avis aux profs!).
Ensuite, ce roman aborde plusieurs thèmes intéressants: l'aviron, un sport assez méconnu de la littérature et que je me suis vraiment plu à découvrir, le rapport de genre au Moyen-Orient, la religion musulmane, la famille et l'homosexualité, légèrement abordé. Je me faisais justement la réflexion quand à Sorhab et ses tendances homosexuelles: quand le monde est si étroitement divisé entres les genres, est-ce vraiment une surprise que les garçons et adolescents développent de l'affection entre eux, sans même parler d'homosexualité? Ils vivent, pour ainsi dire, qu'entre eux et les femmes, s'ils en croisent, sont cachées sous des burkas.
Si le cadre est exotique, on ne s'y perd pas: autrement dit, c'est peut-être une histoire se déroulant en Afghanistan, mais il n'y a pas beaucoup de mots exotiques ou de concepts nouveaux laissés sans explications. On s'y retrouve très bien et c'est formidable de découvrir ce pays surtout connu pour la guerre et le terrorisme. Là, on aborde aussi le pan culturel et social du pays.
La fin m'a semblé abrupte: j'en aurais vraiment souhaité plus! On s'attache très vite à Farrukh et il me semble qu'il/elle aurait pu accomplir encore plus. Je ne peux que me figurer que c'est le cas, faute de plus d'informations. Ceci-dit, c'est une bonne fin, qui illustre que le cri de ralliement de l'équipe d'aviron est carrément un principe de vie pour Farrukh: "La fierté est dans le combat".
En somme, "Bacha Posh", c'est l'histoire d'une jeune afghane qui connait son potentiel en tant que personne et le récit est le chemin qu'elle a choisi de suivre: celui de la lutte pour sa liberté et son identité. C'est en quelque sorte la genèse d'une battante, sur fond d'espoir chez de jeune afghans de concourir pour l'honneur de leur pays. Un roman très pertinent, à découvrir assurément, qui met en perceptive notre propre société.
Pour les profs: Ce roman ne comporte pas de scène de violence, de sexe ou de propos injurieux. le langage rappelle celui des ados de la France.