Dans tous les sens
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L’ambition de l’ouvrage est d’analyser la relation entre Balzac et une ville qui « est à la fois l’épicentre de la Comédie humaine et “une fille, une amie, une épouse” pour Balzac » (quatrième de couverture). Un peu plus pompeusement peut-être, Balzac, Paris se veut « exploration de la cathédrale balzacienne et enquête sur son architecture ». (Peut-être eût-il aussi fallu rappeler qu’une partie non négligeable de cette cathédrale se trouve ailleurs qu’à Paris.)
Il me semble que les titres des huit chapitres mettent assez bien en lumière ce que l’ouvrage peut avoir de déstructuré : « Pourquoi Paris », « Un migrateur », « La rue », « Les quartiers », « La presse », « Les éditeurs », « Au théâtre » et « Les amis, la politique, le “réalisme” de Balzac parisien ». Plutôt qu’à des analyses ou à des synthèses véritables, il faudra s’attendre à un catalogue – un catalogue qui n’est parfois pas éloigné, sur son principe, de celui que J.L. Borges attribue à un certain Franz Kuhn (1) dans « La langue imaginaire de John Wilkins ».
De fait, le (long) quatrième et le cinquième chapitres consistent avant tout en des énumérations / classifications de lieux, associés à tel ou aspect de la Comédie humaine : Bianchon habite à tel endroit, Rastignac déménage d’ici à là, etc. On y cherche en vain une analyse, et certaines pages de Balzac, Paris ressemblent un peu à ces travaux d’érudits locaux, de type « Histoire des rues de X » (2), dans lesquels on apprend qu’avant 1992, le restaurant situé 12 rue Vautrin était un magasin de cycles, qui succéda en 1921 à la bonneterie qui avait brûlé en 1887… C’est très bien documenté, il existe des pavés de cinq cents pages écrits (et lus) ainsi par des passionnés ; ça n’est pas forcément, me semble-t-il, la meilleure façon de rendre justice à Balzac.
Le reste de l’ouvrage propose par bonheur des réflexions plus synthétiques : « Le Paris décrit par Balzac évolue suivant les dates où se déroulent les romans – et non, bien sûr, selon la date où ils sont écrits. Mais à mesure que Balzac avance en âge, on voit souvent ces dates se rapprocher » (p. 80) – pertinentes y compris lorsqu’elles ne portent pas strictement sur Paris : « Les courtisanes balzaciennes ont bien des traits communs avec leur créateur, le mépris des règles, l’imagination, l’insouciance du risque, le sens du féerique » (p. 108).
D’ailleurs, les remarques les plus intéressantes sont souvent des digressions – de même que pour le flâneur, le hasard croisé en chemin a plus de poids que la destination. Il me semble d’ailleurs qu’une de ces remarques aurait fourni à l’ouvrage deux angles d’attaque plus tranchants que cette étrange suite de chapitres : « La “conviction d’authenticité” balzacienne, on la ressent avant tout dans […] deux thèmes […] : l’Or et le Plaisir » (p. 190). Y a-t-il un seul lieu balzacien qui ne soit tourné dans au moins une de ces directions ?
Outre qu’il n’exclut pas le Balzac journaliste et dramaturge, Balzac, Paris a un dernier mérite : rappeler ce que Balzac ne dit pas. « Le peuple est le grand absent de la Comédie humaine » (p. 186), « Balzac a donc laissé de côté des pans entiers, politiques et urbanistiques, du Paris de son temps » (p. 189), ce sont des mises au point qu’il est toujours bon de faire. La cathédrale a aussi ses ouvertures.
(1) Qui lui-même l’« attribue à certaine encyclopédie chinoise »…
(2) Où X peut être aussi bien Paris que Rennes ou Pouilly-en-Auxois.
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Créée
le 20 oct. 2020
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