Yann Martel aime les animaux et les allégories. Et encore plus les allégories par les animaux. Ce troisième roman entretient un lien particulièrement étroit avec son insigne prédécesseur et il en est même la résultante, s'il l'on en croît la similitude de parcours qu'entretiennent Yann Martel et son nouveau héros Henri. Ce dernier, lui aussi écrivain à succès, essuie un échec avec son nouvel effort, une tentative de fiction autour de l'Holocauste. Les éditeurs criant au blasphème, Henri rend son tablier et s'éloigne naturellement de cette vie d'auteur. Jusqu'au jour où il rencontre un morne taxidermiste, écrivain frustré à ses heures perdues qui lui fait partager sa pièce de théatre en chantier sur une ânesse (Béatrice) et un singe hurleur (Virgile) qui tentent de s'expliquer la barbarie innomée d'où ils sont parvenus à sortir. A travers cette histoire peu commune livrée par bribes, Henri croît voir se dessiner l'oeuvre qui lui a échappé.

Partant de là, Yann Martel, dans une mise en abîme assez vertigineuse, parvient à écrire le livre impossible de Henri et livre une réflexion violente et déchirante sur la cruauté humaine, à travers le prisme de ce double dialogue : entre son héros et le personnage énigmatique du taxidermiste ; et entre l'âne et le singe. Que cette cruauté s'incarne dans l'Holocauste ou quelque autre évènement importe finalement peu, la résonance est la même et les questions universelles : Comment peux t'on raconter l'irracontable ? Dois t'on même le faire ? Quel rôle doit tenir la victime ou le témoin de la barbarie ?

Ce roman vaut surtout pour les pistes qu'il ouvre au lecteur (notamment les références ouvertes de Martel à d'autres ouvrages) et moins pour les quelques réponses que Yann Martel a bien voulu accorder : d'ailleurs ces dernières sonnent inachevées, à l'image des révélations finales sur les motivations réelles du taxidermiste, et il est aussi bien envisageable que ces dernières soient erronées.
Il vaut aussi pour Béatrice et Virgile, l'oeuvre dans l'oeuvre, dont chaque passage est une merveille d'écriture.
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le 24 janv. 2012

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