C'était un après-midi de septembre. J'étais chez mon meilleur pote et on parlait bouquin comme d'habitude. Il m'a alors parlé de celui-ci en me disant gentiment qu'il était sûr que j'adorerai. Il me l'a tendu et j'ai rapidement lu la quatrième de couverture avant de l'ouvrir comme un trésor fabuleux. Je tombe sur la page 92 qui à elle seule pourrait résumer tout l'ouvrage:
À dix-huit ans j'étais encore vierge. Quant à Mònica, elle avait déjà couché avec un tas de garçon. Nous n'étions pourtant pas si différente, elle et moi. Le défaut ou l'excès en la matière signifiait la même chose : fuir tout engagement, renoncer.
J'ai souri parce que je sentais que déjà le ton allait me plaire et les lignes faisaient vaguement écho à ma situation, il y a quelques années en arrière. Quand je rentre chez moi dans mon petit logement étudiant, je dévore et englouti les pages en une soirée en riant et parfois pleurant devant la justesse de certains mots qui faisaient malgré eux mouche. Dans les dernières pages, je n'ai pas vraiment cru que les choses se finiraient de manière abrupte, comme s'il y avait encore tant de choses à dire mais quelque part, c'était mieux ainsi et bon Dieu que c'était un putain de bon petit livre.
J'ai toujours cherché ce livre dont j'aurais l'impression qu'il aurait été écrit précisément à mon égard. En tant que lectrice à mes heures perdues, j'avais en ligne de mire CE livre qui me chamboulerai vraiment et dont parlait si vivement les lecteurs voraces qui avaient tous le leurs. Ce qui n'était jusqu'à ce jour qu'une rumeur que j'ai poursuivie vaguement, au détours d'un prêt ou d'une trouvaille sur le Net. Voici donc, la critique la moins objective qu'il soit mais peut-être la plus complète que je puisse écrire sur pourquoi je pense que ce livre est une petite perle rare dans une littérature bien trop souvent engoncée dans le trash et les lieux communs, tout du moins de ce que j'ai pu en lire et ce que j'ai pensé de tous ces ouvrages dont je parlerai peut-être vaguement et dont j'ai sûrement oublié les titres.
Je hais la littérature LGBT d'ordinaire. J'ai pu rencontré quelques spécimens que l'on m'a prêté et d'autres que j'ai dégoté de moi-même que ce soit en français ou en anglais. Je dois dire, avec une certaine forme de préjugé culturaliste que les anglophone ont souvent le soin du dialogue et des situations, préférant souvent dans leurs itérations les plus récentes des "happy end" et de belles histoires qui d'ailleurs ont bien souvent été, à l'origine, des fanfictions.
Du côté de la France, l'impératrice Virginie Despente ne m'a jamais tiré une larme et l'underground Wendy Delorme me laisse de marbre. On est pour moi dans le trash à peu de frais qui se veut subversif mais n'est finalement qu'une forme marketée de militantisme qui finira dans le plateau télé qui se constitueront alors une image branchée à peu de frais. Bref, c'est le désert ultime et même pas un diable pour me tenir compagnie durant la route. Entre l'Antiquité et maintenant, on est passé de la poésie lyrique à une nostalgie de ces ans de grâce qui ont sans doute suivis la chute du Mur, le tout écrit par des quarantenaires désabusées pour des jeunettes en mal de sensations fortes.
Pourtant, ce n'est pas que je déteste cette littérature dans son entier, juste que je trouve la séparation entre l'outrancier et le mielleux complètement stupide car finalement, j'ai de toute façon l'impression que toutes ces auteures indépendamment de leur genre de prédilection n'ont pas vraiment de notions littéraires et cache derrière un genre défini et rudement codé, l'absence de soin lyrique et sonore dans leurs phrases. La provocation facile n'a jamais mené nulle part qu'à n'être réduit qu'à un produit de niche, pas vraiment meilleure que la daube outre-atlantique.
Quelques auteures ce sont démarquées du joli petit lot, je pense notamment à Sarah Waters qui obtint quelques nominations pour des prix littéraires de renoms et qui est souvent acclamée par les critiques. Mais au-delà de ces quelques privilégiées dont le talent n'est plus à prouver, il n'y a guère de narratrice qui vaille la peine d'être lue. Ce n'est bien entendu que mon opinion mais cela expliquera sûrement mon engouement pour le sujet traité ici.
Béatriz et les corps célestes raconte l'histoire d'une jeune Madrilène un peu paumée dans sa vie et qui décide de poursuivre ses études loin de sa ville natale pour échapper à la gravitation malsaine de sa meilleure amie Mònica, une jeune femme issue de la petite bourgeoisie qui à l'ambition de devenir astronaute mais qui semble tomber irrémédiablement dans des affaires louches au fur et à mesure des pages qui décrivent sa longue descente. "L'enfer n'est pas un lieu où tu vas si tu n'es pas Chrétien, c'est l'échec des plus grandes ambitions de ta vie" (Immortal Technique - Leaving The Past)1.
On suit donc ces tranche de vie de Béatriz, entre ses relations, ses angoisses et ses peines, ses maigres joies et sa passion pour l'astronomie qui transparaît toujours au détours de ses réflexion, et la sulfureuse meilleure amie qui n'est jamais loin de ses pensées, le tout avec un certain sens poétique et sans jamais virer dans le graphique par manque de choses à dire ou d'idées à explorer.
L'histoire se découpe en trois temporalité qui prennent à mesure que les pages s'enchaînent une plus ample profondeur. On suit la protagoniste entre ses études à Édimbourg, la fin de son adolescence à Madrid, son retour quatre ans plus tard et au milieu de ces imbroglios, Béa qui se dévoile de plus en plus, dans ses qualités comme ses défauts, nous brossant un portrait très juste d'une jeune étudiante pleine d’espoir mais qui ne parviendra au bout de ses peines à travers un long chemin de croix.
[...] j'ai échoué à Édimbourg par hasard. De ma vie je n'avais jamais imaginé aller suivre des études en Écosse. Mais c'est ainsi que vont les choses... Parfois je me dis que les décisions les plus importantes, je les ai toujours prises sans faire exprès. Quand je suis arrivée à Édimbourg, je pensais qu'avec ma majorité, la vie s'accélérait, qu'elle serait de plus en plus riche et intense. Je ne me doutais pas que j'étais à deux doigts d'arriver au point mort.
Il y a certes, ce côté aventureux et fanfaron de ces âges un peu ingrat où l'on n'est pas vraiment un adulte et plus vraiment un enfant, mais il y a aussi toute cette partie de l'histoire qui relate la difficulté parfois que l'on a à traîner ses valises de passé derrière soi quand on doit se concentrer sur l'avenir. C'est ce dernier aspect que je trouve le plus intéressant et le plus intelligemment mené. Ce n'est pas juste des angoisses factices et faciles que l'on peut trouver absolument partout que ce soit chez les amateurs ou les professionnels. Ce n'est pas larmoyant à souhait pour l'être et donner une dimension mélo-dramatique à des récits bien souvent descriptifs et vide de sensation, comme si décrire le sentiment était une barrière infranchissable, un interdit étrange qui faute de moyens techniques ou de créativité me fait dire qu'on touche là au sujet tortueux de l'érotisme dans l'art en général et cette critique est déjà bien trop longue.
Même si j'ai personnellement été touchée par cette histoire, cela ne m'a pas empêché de la trouver longuette par moment, notamment les passages sur la fin du Lycée à écumer les bars et boîtes de Madrid qui m'ont semblé parfois un peu rédhibitoires et trop "narratifs" si je peux le dire ainsi et par conséquent un peu moins poétiques. Il me semble aussi que c'est un livre qui ne plaira pas à tout un chacun peut-être parce que fondamentalement ce n'est là qu'une complainte post-adolescente mais elle a au moins le mérite d'avoir une rédaction de qualité et de pouvoir peut-être évoquer à une certaine nostalgie pour certain ou un écho du présent pour d'autres. Mais dans l'ensemble, on est là devant ce qui n'est pas considéré comme chef-d’œuvre mais qui en a pourtant toutes les qualités apparentes.
Nos actes et nos amours sont la répétitions d'actes et d'amours passés, et c'est pourquoi dans un livre, nous trouverons toujours une réponse à certaines de nos questions. L'ennui c'est que nous ne comprendrons jamais rien à ce qui est écrit avant de l'avoir vécu d'une manière ou d'une autre, et il me semble que je commence seulement à comprendre certaines phrases que j'ai lues il y a longtemps.