Birthday
7.9
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livre de Meredith Russo ()

Pour ce roman, je dois d'abord préciser une chose. Après avoir terminé cette lecture qui m'a grandement enthousiasmé, j'apprend à mon retours en librairie un détail sur l'autrice qui, je pense, fait alors peser un certain dilemme. Alors voici: il semble que l'autrice, transgenre, aurait été arrêtée du temps de sa vie en tant qu'homme pour violence conjugale. Pas de procès, mais beaucoup de condamnations sur les réseaux sociaux par des citoyens qui appellent au boycott. Loin de moi l'idée de débattre ici du bazar d'accusations qui sont hors du système judiciaire, en tant que libraire, ce qui m'intéresse est ce que nous allons faire de ce livre. Parce que je l'ai adoré. En outre, et c'est bien là ce qui m'exaspère, ce roman traite très bien d'un sujet très rare, à savoir l’adolescence transgenre. C'est donc coincé entre une "tache au CV de l'auteur" et son œuvre pertinente que je me retrouve à écrire cette critique.


En outre, et ça je dois dire que ça me travaille, je conçois difficilement que nous puissions tasser volontairement ce roman bien écrit, bien monté et qui pourrait aider des jeunes, alors que dans les rayons jeunesse, nous avons de œuvres qui font exactement l'inverse en valorisant éhontément des relations conjugales toxiques et des rapports violents, justement.


Donc, sachez-le, il y a des allégations contre l'autrice, mais maintenant, je m'attarde sur le sujet qui nous intéresse: le roman.


Monté en sept parties, une pour chaque année, comprit entre leur 13e et 18e anniversaire, c'est Éric et Morgan, deux garçons d'un village du Tennessee, qui vont se partager la narration. Nés le même jour dans le même hôpital, un jour de tempête de neige historique, ils sont inséparables. De part et d'autre, ceci-dit, ils ont un enjeux majeur. Pour Éric, benjamin d'une fratrie de trois garçons, c'est sa relation avec son père, un homme contrôlant, conservateur, ancré dans le vieux archétype du "mâle viril" intolérant et macho. C'est pourquoi Éric suit docilement le chemin que son père a tracé pour son p'tit dernier. On l'aura comprit, la famille est un enjeu pour Éric, car les relations entre le père et les trois enfants sont houleuses, castrantes, de moins en moins affectueuses. Tout est question de football, d'attitude "mâle" et de prestige, ce qui va à contre-sens de la nature plutôt paisible d'Éric, amateurs de livres, de guitare et de cheveux longs.


De l'autre côté, nous avons Morgan, qui à 13 ans, se remet tant bien que mal du décès de sa mère, qui a perdu sa lutte contre le cancer. Son père et lui ont du mal à communiquer, même si on sent la bienveillance de ce dernier pour son garçon. Néanmoins, Morgan vit un mal être qui s'accentue, très lié aux changements corporels de ce corps qu'il n'aime pas. Si Morgan regarde les filles, c'est qu'il aimerait en avoir les attributs. S'il regarde ne se considère pas gay, c'est qu'il ne se considère guère comme un garçon. Oscillant entre ce qu'il qualifie de "maladie" et d'un état transgenre qui n'a pas encore de nom, Morgan se sent perdu et incompris. Non seulement il ne comprend pas ce qu'il vit, il cumule les échecs à tenter de faire une vie normale. Le fait de vivre dans un état du Sud américain, de ne plus avoir sa mère, de ne pas en avoir parler ( même pas à Éric) et de vivre du harcèlement à l'école sont autant de facteurs de risques. Le drame était prévisible.


Nous suivons donc les sept journées d'anniversaires des deux amis, qui ont des sentiments ambigus l'un pour l'autre, questionnant leur orientation sexuelle, leur perspectives d'avenir et leur identité. Éric voudrait tant pouvoir soutenir Morgan, mais ce dernier se referme sur lui-même. Morgan voudrait mettre des mots sur ce qu'il vit, mais finit surtout par empirer sa situation.


On a trop rarement la chance d'avoir de genre de récit à la fois pertinent et porteur d'espoir, spécialement en ce qui attrait au transgenre, encore assez peu représenté en littérature jeunesse, comparativement aux homosexuels et bisexuels, dont on dispose une bonne base désormais. Non seulement très touchant parce que nous avons beaucoup de précisions sur leur état mental et psychologique, c'est aussi touchant de voir une si belle amitié en action. J'ai trouvé bien aussi de voir le désarrois et la détresse du papa de Morgan, qui était désemparé faute d’instruction sur le sujet, mais qui avait réellement à cœur le bien être de son enfant. En accord avec cette vieille mentalité qui traine encore dans certains endroits, les hommes ne font pas dans les sentiments, les émotions et l'écoute: ce sont des rocs, des durs. Voyez le résultat. C'est d'ailleurs un peu ça le drame dans ce livre: on ne parle pas, que ce soit des émotions ou du transgenre. On y connait l'homosexualité, en revanche, et d'ailleurs, nombre de personnages s'en moquent allègrement, ce qui est assez en phase avec l'état social sur le sujet dans cette partie des USA. Mais le transgenre? Le mot fini par apparaitre vers la fin, avec la psychologue et le réseau de soutient. On pourra donc dire que le fait de ne pas connaitre cette singularité combiné à l'intolérance ambiant n'ont certes pas aidés, mais c,est un milieu dans lequel des jeunes transgenre vivent réellement. Ça ajoute au fait que ce genre de roman est important, pour aborder le sujet, pour propager l'info et normaliser la condition transgenre. Comme pour tout ce qui constitue une minorité sociale, d'ailleurs.


J'ai trouvé également que Éric faisait un personnage masculin merveilleux, très loin de ces bad boy ténébreux qui sont souvent au cœur des relations toxiques évoquées précédemment. Loin de ces cœur d’artichaut à beau visage aussi. Éric a un QE vraiment digne de mention, une force d’empathie et une tendresse remarquable. Une perle ce gars! Toujours là pour son ami. J'ai presque envie de dire qu'il est trop beau ( dans les deux sens du terme) pour être vrai, mais on a envie d'y croire.


Morgan a un côté saboteur, presque masochiste, une âme à vif. Un sacré contraste avec Éric, en somme. Mais ça ne se voit pas avant un moment, quand sa colère et son mal être passe par les comportements déviants. On a un lent crescendo avec Morgan, entre ses 13 et ses 16 ans et ça m'aura même étonné qu'il n'ait pas confié ses soucis à au moins un des personnages, parce que ça faisait mal à voir ( enfin, lire plutôt).


Comme l'autrice est elle-même transgenre, je suppose que ça explique en partie la justesse du sujet. Mais son écriture aussi est bien menée. L'idée de monter le roman avec cette structure était bien trouvée, on a couvert 5 ans d'adolescence avec ce procédé et ainsi pu voir l'évolution des deux protagonistes assez bien. Alterner entre Éric et Morgan aussi était intéressant, d'une part parce que leurs enjeux étaient différents, mais aussi parce qu'on peut ainsi voir le regard de l'un sur l'autre, la nuance entre ce qui parait ou non.


Petit constat: vers la fin, on peut apercevoir un déterminant assez nouveau: le "iel", qui désigne les personnes à la fois ( ou ni l'un ni l'autre) homme et femme.


Autre petite précision: au début du roman, il est bien spécifié que de propos offensant pour la communauté LGBTQ sont présents, parce qu'il y a des personnages homophobes et intolérants ( ou juste ignorants).


Vous trouverez quelques numéros et sites de support aux personnes transgenre à la fin du roman, également.


Alors, je conclus en disant que, n'eut été cette nouvelle concernant l'autrice, j'aurais aimé le mettre dans mes incontournables du mois. Ce qui se passe au privé pour l'autrice ne change rien au fait que son œuvre est salutaire et peut-être même bénéfique pour la littérature jeunesse moderne. Je demeure convaincu que c'est un bon roman pour mieux cerner un potentiel état d'esprit d’adolescent transgenre, nous mener sur cette route pas encore très connue ni comprise qu'elle constitue. Et j’ajoute que c'est une belle histoire d'amour, qui repose sur le respect, la communication, la complicité et le désir d'aller de l'avant ensemble, critères qui sont souvent manquants dans bon nombre d’œuvres jeunesse dites "romantiques" américaines, troquées pour la beauté, le statut et l'argent.


S'il y a des allusions à la sexualité, il n'y a pas de scènes sexuellement explicites. S'il y a des bagarres, il n'y a pas de scènes de violence outrancière. C,est donc un roman destiné aux adolescents à partir du premier cycle secondaire ( 13 ans et +).

Shaynning

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