Quand on connaît bien l'œuvre de Régine Deforges, on s'attend à un verbe sensuel et pour aussi saugrenu que cela puisse paraître, "Blanche et Lucie" - où l'auteure évoque ses deux grands-mères - n'échappe pas à cette règle.


Dans ce court roman qui résonne à la fois comme un hommage et comme une carte d'identité émotionnelle et sensorielle que Régine dresse d'elle-même à partir des bases de son enfance, les souvenirs sont évoqués avec beaucoup de tendresse et de puissance. Le récit est intense ; il est aussi largement fantasmé - quels souvenirs ne le sont pas ?


Quand on connaît bien l'œuvre de Régine Deforges, on s'attend en effet à un verbe fantasmé, sulfureux qui joue avec les interdits. C'est sa signature littéraire. En 2022, je mets toutefois au défi le lecteur de ne pas bondir en lisant ces lignes, décrivant le besoin d'être aimée d'une fillette de dix ans : "Il aurait fallu si peu de chose pour éviter tant de souffrances intérieures. Mon avidité à vivre, à comprendre, à aimer, était telle que je vivais dans un état de vibration permanent. Je sentais que les hommes m'aimeraient mieux, qu'ils sauraient mieux comprendre ce besoin de caresses, d'amour. Que d'eux me viendraient des révélations. D'abord, ils jouaient avec leur sexe, je n'avais jamais vu de femme en faire autant ; ils me le montraient, ils me le faisaient toucher, et cela me plaisait bien et me faisait au ventre une crispation agréable. J'ai longtemps regretté que les lois, les morales, les mœurs, interdisent les rapports sexuels entre les petites filles et les hommes. Je suis sûre que l'enfance se passerait mieux, sans les angoisses liées à la puberté, si on faisait l'amour aux petites filles qui en ont manifestement le désir. C'était mon cas."


"Blanche et Lucie" paraît en 1977. C'était hier et c'est à la fois si proche d'aujourd'hui. Le roman est présenté comme autobiographique mais jamais la narratrice ne donnera son prénom. D'ailleurs, l'auteure prévient en avant-propos : "Certains faits et personnages de ce livre sont vrais, d'autre non. Je ne sais plus très bien lesquels. Cela n'a en fait aucune importance. L'enfant confond souvent le rêve et la réalité. C'est mon cas. Je n'ai pas fini de grandir." Mon opinion était donc faite dès le début de ma lecture : j'ai préféré l'aborder non comme une autobiographie que comme un récit fantasque et fantasmé à la mode de chez Régine ; Régine la voluptueuse, celle qui aime provoquer pour mieux assumer le scandale. Son écriture est toujours aussi attachante et magnétique ; c'est une auteure qui peut donner au lecteur l'impression de déraper de sa route au tournant d'une page mais qui veille toujours à le remettre sur le bon chemin pour qu'il l'y suive avec trouble et curiosité.


Créée

le 25 juil. 2022

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Gwen21

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