"Certains font l'amour par devant, d'autres par derrière, qu'importe la manière...

... puisqu'ils ne persécutent personne." (Frédéric II de Prusse)
Un traité de tolérance, ce petit recueil d'attestations et de jugements divers sur l'homosexualité au XVIIIe siècle ? On pourrait le croire, à lire la citation que j'ai choisie en titre. Cependant, il serait erroné de croire qu'on a affaire ici à une apologie de l'homosexualité - tout comme il serait erroné de croire à une condamnation. Bougres & tribades, c'est tout simplement une anthologie miniaturisée (rapport au charmant format du livre) des textes abordant le sujet, avec des choses aussi variées que des réflexions de Voltaire, des rapports de police, des poèmes pornographiques, des bons mots satiriques, des extraits de romans libertins, des définitions de dictionnaires... Et j'en passe. Ce qui est intéressant, c'est qu'à travers la variété des sources se fait jour tout un monde souterrain et bien réel de pratiques homosexuelles. Monde qui a ses "stars" (Mlle de Raucourt ou l'abbé Desfontaines, par exemple), objets du plus infâme mépris comme de la plus franche gaillardise enjouée, monde qui est bien vivant, et connu de tous... Mais qui reste tabou, ou cantonné à une littérature très particulière : polémique, libertine, ou érudite. Il y a des trouvailles très précieuses car issues de textes rarissimes, et puis on a des surprises, en découvrant que l'homosexualité était parfois à la mode à la cour (popularisée ou conspuée par les rois, tour à tour), ou en tombant sur des poèmes d'une inventivité merveilleuse dans leur métaphorisation de la sexualité homosexuelle... Bref, sous des airs de légèreté, il me semble que c'est un ouvrage précieux pour la connaissance des pratiques sexuelles réelles de la société, sous la censure qui retentit jusqu'à aujourd'hui pour tout ce qui est un peu "borderline", "underground". On rencontre les punks du XVIIIe, d'une certaine façon... Et le plus étonnant dans tout ça, c'est le caractère incroyablement permissif de la société mondaine dans sa sexualité, du moment qu'elle est suffisamment tue pour que le roi feigne de l'ignorer, en comparaison à la violence des condamnations pour pratiques "antiphysiques" chez le bas peuple, au moindre soupçon de monstration.
Il serait très intéressant d'étudier tout cela plus avant.
Quelques remarques en vrac pour ne pas trop m'étendre :
- On a de très bons textes, comme de très mauvais (une véritable anthologie, quoi, qui sélectionne selon le sujet et non sur des critères esthético-rasoirs qui seraient absurdes ici)
- L'ouvrage inclut plus ou moins bizarrement la réflexion vivace sur les hermaphrodites
- Le livre est d'une beauté kitsch assez délectable
- Vous y apprendrez tout le vocabulaire en usage concernant l'homosexualité
- Pas de discrimination : on parle autant de l'homosexualité féminine que masculine
- J'ai payé ce livre 3€ au lieu de 15.50€ dans une librairie de bouquins neufs à prix cassés qui est du côté de Bastille, il y a des perles, courez-y si vous cherchez des idées de cadeaux de Noël
- La fanatique du XVIIIe siècle que je suis vous recommande chaudement l'achat de cet ouvrage si vous voulez vous ouvrir un peu l'esprit, rigoler un petit coup, découvrir la face cachée des dictionnaires, assister à la promotion d'un projet politique sobrement intitulé "Les Enfants de Sodome à l'Assemblée nationale".
- Les mêmes sources reviennent souvent à plusieurs reprises, mais sans ordre véritable apparent, ce qui rend la lecture plus distrayante qu'édifiante mais qui fait aussi, je crois, le charme de l'anthologie : docere, delectare, mouere, comme dirait l'autre. On peut regretter que les sources ne soient pas exhaustives (j'en sais quelque chose à force de lire des trucs sur le sujet), mais ne perdons pas de vue le côté gentiment sulfureux d'un bouquin fait aussi pour intriguer les petits pervers comme moi. Bref, pari tenu : on apprend, on prend du plaisir, on est ému aussi. Une lecture conseillée.

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le 3 déc. 2014

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Eggdoll

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