Ne vous fiez pas aux apparences, ce roman à deux voix n'est pas une histoire d'amour, mais plutôt une peinture noire et presque cynique des relations "amoureuses" de notre société actuelle.

Société dans laquelle chacun projette à sa façon ses attentes, ses besoins et ses angoisses dans "le couple", au sein duquel peu importe l'autre, tant que "le couple" nous permet de remplir le vide en nous-même, ce "couple" que la société nous impose comme le Graal unique et formaté de toute vie "réussie".


L'auteur ne tombe pas dans le piège de la genrification, et choisit, une fois n'est pas coutume, de faire porter le costume du "sensible romantique" au personnage masculin, et celui de la brute épaisse, à la gente dame. Peu importe, le fossé entre les deux reste le même (et en même temps, chacun dans son extrême, ils sont tellement similaires).

Et le roman nous raconte comment Charlène trouvera dans le "couple" un bed and breakfast idéal, lui permettant d'assouvir sans le moindre effort ses besoins de plaisirs physiques et gustatifs, tout en gagnant un pied à terre pratique proche de son travail. Et comment, au passage, elle calmera l'anxiété générée par la pression familiale et sociale mise sur l'addition de son âge avançant et de son célibat persistant. Quand bien même elle n'en a pas réellement envie au fond d'elle-même, elle finira par s'y plier sans trop savoir pourquoi, presque à contrecœur. En tout cas, certainement pas par amour pour Sami. Où est l'amour dans ce jugement permanent (et négatif) de ce pauvre bougre, cette volonté de vouloir l'afficher à son bras comme un trophée (parce qu'il est beau), ce manque d'intérêt et de considération pour sa personne (leur absence de discussion en dit long), dans son absence d'écoute - elle ne retient même pas l'orthographe de son prénom, qu'elle ne pense à lui demander d'ailleurs, qu'au bout de plusieurs jours !! - ?

Quant à Sami, le pauvre bougre, sous ses airs énamourés entourés de guimauve et de fleurs bleues, il ne fait pas mieux. Il tombe "amoureux" d'une inconnue, bref, d'un mirage, d'une image mentale sur laquelle il projette ses propres caractéristiques/rêves/façons de voir la vie (et en se plantant magistralement, qui plus est), avant même de l'avoir rencontrée. De la vraie Charlène, il ne perçoit pas l'ombre d'une réalité, interprète tout (mal) à sa sauce, sans capter réellement ce qu'elle aime ou déteste : il ne percute pas qu'elle souffre le martyre sur son pouf indomptable, qu'elle a envie de gerber sa Margarita, qu'elle a envie de dormir, qu'elle déteste ses fauteuils, il ose la planter minablement au milieu d'un date, bref, il est à mille lieux de ce qui se passe dans la tête de "son amoureuse". S'il "l'aime", c'est parce qu'elle a bien voulu rester auprès de lui et remplir le vide de son existence affective. Parce qu'elle est là, pas pour ce qu'elle "est". Il fait genre, le mec tolérant qui la laisse sortir deux soirs par semaine, mais il élabore un plan parfait (la faire devenir maman, parce qu' "une maman, c'est une maman tous les soirs") pour l'enfermer à demeure H24 dans un futur proche.

Tous les deux sont juste intéressés. Ils ne regardent même pas l'autre, ne voient pas du tout ce qu'il est, ce qu'il ressent, ce à quoi il aspire. Ils sont juste là parce qu'ils ont besoin d'être "en couple" et que les réseaux sociaux les ont rendus disponibles au même moment au même endroit. Et malgré les red flags incessants, malgré le fait qu'ils n'aient rien à se dire, malgré le millier de petits malaises et grains de sables qui entravent la machine, ils restent, sans vraiment savoir pourquoi, parce qu'il faut bien être avec quelqu'un. Sans s'apercevoir qu'ils ne sont pas du tout guidés par l'amour, mais par leurs peurs antagonistes (peur de vieillir et de s'enfermer pour Charlène, peur de l'abandon et de la solitude pour Sami, rendant la première fuyante, le second enfermant : bref, devenant exactement le pire cauchemar de l'autre ! Il paraît que tant que l'on a pas traité nos peurs profondes, on va systématiquement vers des personnes qui les valideront : c'est de manière très évidente ce qui se joue ici).


Ce n'est absolument pas de l'amour. C'est totalement pathétique. Et le pire, c'est que pour continuer à tenter de combler ce vide en(tre) eux (qui bien sûr ne l'aura pas été par le statut de conjoint, ce mirage qui nous dispense de réaliser notre travail d'alignement à soi), ces mêmes personnes passeront bientôt à l'étape supérieure : devenir parents.

C'est clairement ce que nous indique la fin du livre, dans une apogée cynique magistralement réaliste... et d'une tristesse absolue.

C'est également ce qui nous est dit dès la couverture, cette carte de jeu où les deux ombres de personnages sont séparés par le titre tout aussi hasardeux que le jeu de carte ("c'est arrivé comme ça, ça aurait tout aussi bien pu être un(e) autre"), chacune regardant dans une direction opposée.


Ce livre m'a laissé un goût amer. Il est tristement réaliste et pathétique. Heureusement, je pense que l'amour existe, mais ailleurs... et pas comme ça.

Adelyn
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Lectures 2025

Créée

le 13 avr. 2025

Adelyn

Écrit par

Du même critique

L'Homme qui voulait être heureux
Adelyn
9

Le grand chamboulement

Petit roman de réflexion simple et sans prétention, tu as touché sans le vouloir un point ultra sensible au fond de ma petite personne. La remise en question du personnage principal a entraîné la...

le 10 juin 2011

24 j'aime

L'Enfant perdue
Adelyn
7

Alors finalement, amie ou ennemie, la fille prodige?

J'ai lu les 4 tomes de L'amie prodigieuse à la suite, les entrecoupant parfois d'un petit polar sans prétention pour ne pas me lasser par plus de 2000 pages d'un seul bloc. C'est ce qui doit...

le 21 mai 2018

16 j'aime

Eternal Sonata
Adelyn
9

Un jeu pour les nanas

C'est incontestable, ce jeu ne peut plaire qu'aux nanas. Du design à l'OST en passant par les décors et les dialogues, tout, mais absolument tout, va rebuter tout gamer de type mâle qui se respecte...

le 17 juin 2011

10 j'aime

17