Tirés de son blog, ces articles pamphlétaires, souvent rédigés avec l'accent à chaud d'un coup de sang, interrogent pour commencer la légitimité d'un ouvrage, qui fait passer le petit billet de blog intimiste à la postérité et aux feux de la rampe.
Toutefois, on apprécie ce côté « picorage », qui permet de flâner à droite à gauche pour faire son menu quotidien, sans se lasser ni perdre le fil de notre lecture. A l'ère du numérique et de l'attention sans cesse sollicitée, importer des billets de blog dans un bouquin indexé à la lettre n'est finalement pas anachronique.
Apolitique, crachant sur la droite comme sur la gauche, Pierre Jourde est l'emblême du type luttant seul contre tous. A tel point qu'il peut être perçu comme dangereux, quand sa diatribe s'attache à démonter l'admission bien-pensante du « respect » universel, bienvenue mais traitée maladroitement, avec le flegme « bourre-pif » souligné par Garcin. Jourde rue dans les brancards, démantèle à tout va, et le fait avec un mauvais esprit qui flatte nos instincts belliqueux les plus bas. A ce titre, sa fronde contre les mi-figue mi-raisin Inrocks est jouissive, entre autres aspects critiquables de notre société qu'on s'est pour la plupart résignés à remettre en cause ou même remarquer. Et ce n'est pas pour me déplaire !
...Jusqu'à ce que les tares se fassent trop présentes, envahissantes même. D'une part, ce n'est pas peu dire que PJ se répète, voire radote, car après tout, les problèmes sociaux, politiques et culturelles restent toujours les mêmes lorsqu'ils sont irresponsablement confiés aux mains des politiques.
D'autre part, l'écrivain blogueur défend sa rébellion novatrice, et non pas réac', mot qu'il a en horreur. Un exemple : sa critique de l'ortho déliquescente est ponctuée d'une auto-défense avec laquelle il garde son texte d'être exempt de coquilles, qui sont en effet bel et bien là, et se comptent sur les doigts de plusieurs mains.
Un autre élément qui chagrine : Alors qu'il récuse le copinage, il en fait lui-même montre avec une sympathique préface de Jérôme Garcin du fameux Masque et la Plume de France Inter... Allez comprendre...
Comme les articles se lisent avec facilité, Jourde s'empresse de descendre, symétriquement, avec facilité. En tapant sur les supporters de foot, les illettrés, il ne prend pas trop de risque en attaquant un public qui ne le lira probablement pas (ohlala quel raccourci odieux !). Un peu sournoisement, savoir que le public ne lui en tiendra pas rigueur ne l'interdit pas pour autant de leur taper sur le nez avec le distingué de sa prose relevée. Seulement, on tombe vite dans les clichés et la rébellion de comptoir, entre son coup de gueule contre le journalisme télévisuel qui fait du « sensationnel », ou la bêtise des gens qui ne lisent pas mais consomment du Lévy ou du Musso. En se mettant dans cette position aigre-douce de l'amuseur, l'arroseur installe le lecteur dans une complaisance fort confortable mais tombe par la même occasion dans le piège de se faire arroser par une forme altérée de démagogie.
Mais ce qui est le plus désagréable, ce n'est pas tout ce que j'ai cité avant, c'est que Jourde est horriblement sympathique tout autant qu'horripilant. Du haut de sa chaire, il refuse toute institutionnalisation de son image. Pourtant, sa fausse modestie se dérobe vite sous son désir de faire valoir et reluire sa supériorité littéraire, intellectuelle et sociale. Taillant les première année de lettres (ça fait mal à mon peu d'amour propre...), les écrivaillons de tête de gondole (pourquoi pas), il donne le curieux sentiment d'être notre meilleur ami tout en se foutant royalement de notre gueule. Après ça, on adhère ou pas à ce qui ressemble, dans un style « autoritaire », à une forme de pensée totalisante, ayant un avis tranché de partout et sur tout. Un demi-dieu ? Peut-être bien. Mais en se refusant au pédantisme forcé et irréversible, il n'élimine pas pour autant l'envie irrépressible de le prendre pour un énième produit (ou succédané ?) à peine plus ouvert et tolérant de l'intelligentsia universitaire.
Et puis ce n'est pas que je suis savant de tout (ah tiens... je fais du Jourde), mais ses sujets d'occupation sont auto-centrés, refermés sur lui-même et son savoir cultivés depuis des siècles et des siècles (amen). Parce qu'après tout, tout ce qu'il dépeint sur la littérature en marge est valable aussi pour la musique, mais ce sont toujours les mêmes préoccupations casées dans le giron universitaire qui reviennent encore et encore. A force de taillader l'effet spectaculaire, la phrase du beau pyrotechnique, il finit par s'exclure lui-même du panthéon des bons auteurs, du fait même de la concision de ses bons mots et de l'effet d'esclandre suscité par certains des termes employés.
Alors, encore une fois (ah je radote... Jourde s'empare de moi), je ne suis moi-même pas tout à fait même de me faire critique de quoi que ce soit, et je dois bien avouer que je ne suis rien, en termes de nom et en termes de galons, mais mon avis m'importe, c'est déjà ça, en bon soldat de plomb du narcissisme que je suis... Et puis, comme je le fais avec Jourde, on trouvera toujours à redire sur moi, et ainsi de suite. Ca taillera pour vendre du papier et de l'attention et se donner l'impression d'exister quelque-part sur le net, ou d'occuper une place particulière (pas exposée mais élitiste) dans les librairies.
En bout de course, comme la quatrième de couverture le laissait présumer, Jourde décoche des poings et donne conséquemment l'envie d'en distribuer. Sa garde est friable, aléatoire. Quand il ne se défend pas d'être lui aussi exposé aux reproches, il rue aveuglément dans les côtes de son adversaire en piétinant toute démonstration de sympathie à son encontre.
Bien qu'à le lire, l'impression est forte que son pronostic vital est plutôt engagé, j'ai l'intuition qu'il est quasi-vital d'y jeter un oeil pour croiser le fer autant que les idées, tout autant que pour se faire une idée d'un point de vue en contre-pied qui force quand même la sympathie. Une mauvaise foi de bon goût, dira-t-on... Alors, mi-poivre mi-sel, j'apprécie ce bouquin pour sa valeur ajoutée en informations capitales, mais excusez encore, je ne peux me résoudre à l'adorer, ni même l'aimer comme il se doit, car après tout je n'ai pas de style, et je ne devrais donc même pas m'exprimer, ne faisant preuve d'aucun travail sur mes gribouillis...