En première page, une réflexion sur le temps qui passe. Le ton est donné, le récit s’annonce rempli de nostalgie, d’une tristesse diffuse. Celle des espoirs déchus, des amours non réciproques, des rêves brisées, des choses qui ne sont plus, de la jeunesse ou de l’innocence envolée. En effet l’histoire sera tout sauf joyeuse, l’orateur ne le cache d’ailleurs pas. Ce dernier, Oscar, est présenté comme un jeune homme avenant, sans histoire bien qu’un peu marginal, un garçon gentil mais qui a apparemment commis un acte ignoble. Dans quelles circonstances ? Comment un être bienveillant aurait pu se montrer capable d’un acte si choquant ? Et quel est cet acte exactement ? Est-il vraiment condamnable, ou s’agit-il de la culpabilité d’une personne impliquée dans une tragique affaire ? Le lecteur ne sait pas trop, au début de l’histoire, s’il doit compatir avec cet individu-là. L’emploi de la première personne fait néanmoins son œuvre.


L’affaire est présentée très rapidement : une disparition, et le cadavre d’une jeune fille retrouvée dans les bois. Dans un village sans histoire, cet événement ébranle tout le monde. Un inspecteur fraîchement promu, Poe, est frappé de plein fouet par ce qui constitue première affaire, qui le marquera à jamais, y compris des années plus tard lorsqu’il fondera une famille. Pour la mère, c’est tout un pan de son cœur qui vient d’être arraché. Pour un autre membre de la famille qui partage un secret avec la victime, Judith, son meurtre est devenu une obsession personnelle.
L’auteur fait varier les points de vue, et s’adapte à chacun, du cynisme du protagoniste, la tristesse sans fin de la mère, l’obsession du policier, les tourments de la jeune cousine traumatisée. D’autres personnages viennent se greffer à l’histoire de manière plus ou moins régulière, entre un avocat raté, une fille de parrain criminel, et un homme sorti d’asile.


A plusieurs reprises, le texte mentionne des événements qui se produiront des années plus tard, notamment comment la tragédie a durablement impacté chaque personnage, les conséquences de ces événements, ou par exemple comment après avoir évolué chacun de leur côté, ils seront à nouveau plongés dans cette sordide affaire. Ce qui nécessite parfois une certaine attention du lecteur. En effet certains éléments sont évoqués, et le livre n’y revient que plusieurs pages plus loin, tandis que d’autres sont seulement suggérés. Force est de constater toutefois, que l’ensemble est solide et montre une vraie cohérence, et ceux qui ont déjà tenté d’écrire ou de construire une histoire savent bien que cela peut être fragile.
Il y a une vraie maîtrise de la langue, l’expression est recherchée, même si certaines phrases pourront parfois paraître un peu tortueuses.


L’adhésion à l’histoire et aux personnages est rapide. D’une part, on a envie de savoir ce qu’il s’est exactement passé, d’autant que l’affaire semble assez complexe. Oscar s’incrimine lui-même, mais le père semble aussi avoir quelque chose à cacher. Il est d’ailleurs le premier suspect par la police. On compatit aux personnages, perdus dans leur souffrance et leurs interrogations. Des révélations sont données, mais certains mystères demeurent. Oscar ou la victime ne sont visiblement pas les seuls à avoir des secrets…


Après le drame, Oscar a fui. L’inspecteur et la cousine ont quitté le village tristement marqué, ont poursuivi leur vie mais sans avoir renoncé à avoir le fin mot de l’histoire. Marquée d’un fort sentiment de culpabilité qui l’empêche de vivre pleinement sa vie, Judith décide de mettre à profit ses nouvelles compétences de journalisme pour retrouver le jeune homme impliqué, et enfin tourner la page. Poe a déménagé, s’est marié et est l’heureux papa d’une petite fille, mais n’a pas oublié son premier cadavre découvert dans les bois. Il sent bien qu’il y a plus dans cette affaire que la culpabilité du père, et que le jeune homme enfui y est mêlé d’une manière ou d’une autre. Lui aussi marqué par le souvenir des derniers instants de Juliette qui ont profondément changé sa personnalité, mais décidé à ne pas se laisser retrouver, Oscar est devenu un marginal.


Il a côtoyé des SDF, mis au ban de la société et ignoré de tous, et s’est retrouvé lié à une organisation criminelle, ou sans se départir d’une certaine compassion à l’égard d’autrui, il y trouve l’occasion de libérer sa violence contenue.


« Ça ne peut se terminer ainsi » n’est que le premier tome d’une histoire plus vaste. C’est peut-être le principal reproche que l’on pourrait lui faire, celui de ne pas se suffire à lui-même, de finir un peu brusquement, pour une intrigue qui ne demande qu’à se poursuivre. Mais ce premier livre a toutefois réussi son but, nous donner envie de lire la suite, de savoir ce que deviennent les personnages.


Savoir si Poe et Judith parviendront à retrouver Oscar, et si c’est ce dernier va continuer sa fuite en avant, commettant de nouveaux délits. Et également de savoir ce qu’il s’est exactement passé au moment du drame.


En chipotant, on pourrait peut-être trouver que le rythme est un peu trop rapide, que l’auteur aurait gagné à se poser un peu, à développer un peu plus certains passages. Des points qui devraient facilement s’améliorer dans le tome suivant.


Mais ce sont sommes-toutes des imperfections bien dérisoires pour un premier roman d’un jeune écrivain, qui réussit le tour de force d’accrocher le lecteur, de lui faire aimer les personnages, le tout dans un ensemble cohérent, se permettant même de jouer avec la chronologie. Un premier essai qui ne demande qu’à être poursuivi.


PS : cette critique représente ma 500ème sur senscritique, et l’œuvre choisie est particulière pour moi puisque je connais personnellement l’auteur qui est un bon ami à moi… quoi de mieux donc que d’y consacrer cette critique pour ce chiffre symbolique !
J’ai essayé d’être aussi impartial que possible. Difficile de savoir en quoi mon ressenti et mon analyse auraient été différents si j’étais tombé par hasard sur ce livre, mais je pense (j’espère) avoir donné une analyse assez juste.

Enlak
7
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le 22 janv. 2020

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Enlak

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