Un livre sur le cannibalisme intitulé Cadavres exquis et paru aux éditions Fage (!), voilà qui laissait augurer de quelque intérêt.
Par ailleurs, l’ouvrage évite l’écueil du sensationnel, notamment parce qu’il laisse délibérément de côté les cas psychopathologiques (et individuels) de cannibalisme : il est question de préhistoire, d’archéologie funéraire et d’anthropologie, autrement dit d’un « anthropocannibalisme » social. Anthropocannibalisme ? Le mot est un choix de l’auteur, aux yeux duquel la distinction entre exocannibalisme et endocannibalisme n’est pas pertinente. Sur ce point, je ne lui dispute rien : c’est lui le doctorant en archéologie funéraire, c’est moi le lecteur.
De fait, l’ambition vulgarisatrice est assumée. C’est tout à l’honneur de Ian Gonzalez Alaña. Mais c’est là que le bât commence à blesser. Car si l’ouvrage manifeste toute l’humilité qu’implique une telle démarche, s’il propose des idées intéressantes (« Brandir la menace cannibale serait donc, aux yeux de certains, une vraie arme dissuasive pour éviter que les ennemis ne reviennent », p. 66-67), il manque aussi singulièrement de clarté.
Les bons ouvrages de vulgarisation commencent généralement par définir les termes de leur champ d’étude et par établir des lignes directrices – quitte à apporter par la suite toutes les nuances nécessaires. Or, ici, malgré la structure apparente, le propos est tellement confus qu’on peine à distinguer les idées importantes.


Et quand je lis « la consommation de l’humain par l’humain est un casse-tête conceptuel, où les frontières au niveau de sa définition sont mouvantes » (p. 19), je me dis qu’il aurait justement fallu éviter ce flou, ou le masquer – au moins temporairement.
Je me dis aussi que la syntaxe souffre dans Cadavres exquis : un volontaire pour expliquer la proposition subordonnée relative dans la citation ci-dessus ? Un autre pour dire ce qui ne va pas dans la construction de la phrase « À son ancien statut de personne puis de corps mort, va se succéder un nouveau statut donné par l’équarrissage » (p. 26, il est question d’un cadavre destiné à être mangé) ?
On aura remarqué que le propos enfonce parfois des portes ouvertes – il me semble évident qu’un individu vivant, un cadavre et un aliment n’ont pas le même statut… À cet égard, la précision selon laquelle « on est aujourd’hui d’accord pour dire que l’identification des traces de manducation humaine représente une preuve évidente d’anthropocannibalisme » (p. 73) aurait peut-être davantage eu sa place en introduction.
Le livre est bardé d’imprécisions de ce genre, qui touchent aussi le vocabulaire (mise à jour pour mise au jour, p. 75) et la géographie (« Puglia » n’est pas une ville, c’est la région des Pouilles, p. 69). Le correcteur des éditions Fage, s’il existe, a dû être cuit et mangé, lui aussi, dans la mesure où il y a encore des coquilles au large – trois dans les trois premières pages, par exemple.
Et ça me gêne vraiment de dire du mal de Cadavres exquis, parce que la générosité et la passion de son auteur sautent aux yeux. Je suis persuadé que Ian Gonzalez Alaña est meilleur en archéologie qu’en écriture et qu’en vulgarisation.

Alcofribas
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le 5 juil. 2020

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