Dans mes rêves, je trouve la tristesse que mes journées sont incapables de contacter.
"Pendant la nuit, défoncés, nous nous promettons d'arrêter. Puis le matin nous nous réveillons malades, et la peur est écrasante. Et d'une manière ou d'une autre, la première chose que nous devons faire est d'aller nous ravitailler. Plus tard nous pourrons penser à nos promesses."
Il y a bien des phrases, tirées d'une page au hasard, qui permettent de résumer l'ambiance globale que dégage ce livre. Ces ruminations internes du junkie en pleine introspection sur sa condition. Le voici quelque part, piégé entre sa réalité et son irréalité, dans le doux royaume de l'illusion.
Et pourtant pour moi, rien n'est plus parlant que la couverture française du roman, et c'est bien la première fois que j'ai ce sentiment. Une couverture sombre, noire, un univers peu accueillant, représentant sans aucun doute la malheureuse vie de ces drogués. Mais au milieu de toute cette noirceur, quelque chose vient éclaircir notre vision, une source de réassurance, quelque chose de blanc perce tout ce noir : la poudre d'héroïne. Ainsi la drogue apparaît comme ce qui nous délivre de la noirceur, le contraste noir/blanc est saisissant. Et pourtant, cette drogue ne semble pas tellement plus accueillante, tant sa chute m'évoque une douche froide, tellement froide qu'elle en est douloureuse.
Tout est résumé dans cette image criante d’ingéniosité. La drogue te sépare de ton mal-être, mais pour mieux te faire mal. Car si sa clarté se dégage de la noirceur, elle ne fait que renforcer celle-ci.
Candy, roman dont est tiré le film du même nom (et que j'aime beaucoup, c'est d'ailleurs pour ça que j'ai lu le livre), nous conte donc la vie de deux drogués : Candy, la petite-amie du narrateur, et ce-dernier (il n'a pas de nom). L'histoire se résume réellement à cela.
Les deux sont unis d'un amour très fort, et très vite leur relation va se nouer principalement autour de l'héroïne. Ce sont donc les dérives de ce couple atypique, mais pourtant loin d'être unique dans la vie réelle, que l'on va suivre.
Le livre n'a pas de fil conducteur si ce n'est celui du temps chronologique. C'est une succession de chapitre, de situations de vies, d'anecdotes, tirées çà et là de leur existence. Mais tout cela est logique : les jours des drogués se suivent et se ressemblent, ne sont que recherche active d'argent, recherche active de drogue, consommation active de drogue, défonçage et dérivations tranquilles dans un doux spleen mortifère.
Là où le roman va se révéler passionnant à mon sens, c'est que Luke Davies, son auteur, est lui-même un ancien junkie et qu'on sait que son livre est partiellement autobiographique. Il sait de quoi il parle, et les pensées du narrateur ont certainement été les siennes pendant ses années d'addiction.
Le voyage au pays de la poudre blanche est donc vraiment réaliste. Celui-ci est décrit avec beaucoup de sincérité, beaucoup de détails, et on ne peine jamais à croire que tout cela est réel. C'est passionnant quand cela dépeint un monde dont on est loin. Maintenant, grâce à ce livre, je sais beaucoup de choses sur le quotidien des addicts, et lire des descriptions sur ce que fait ressentir une telle addiction est saisissant. Il y a le bonheur, la jouissance, et le malaise constant.
C'est une triste illusion qui est dépeinte, un monde hors du monde, une réalité hors de la réalité. Difficile de s'identifier au narrateur, même s'il n'a pas de nom, quand nos yeux de lecteurs comprennent avant lui dans quoi il s'enfonce. Le livre joue d'ailleurs beaucoup sur ce contraste entre la réalité du héros et la réalité du lecteur. Le premier chapitre se nomme : " Exemple de bons moments : La première overdose de Candy". Comment, nous lecteurs, pouvons-nous décemment trouver que c'est un exemple de bon moment ?!!. Mais la première phrase du livre est " Putain, ce que tout est beau !". Et nous sommes déjà embarqué dans l'illusion de notre narrateur.
Le style est léger la plupart du temps, mais il est également parfois lyrique lors de quelques chapitres. Ces chapitres sont d'ailleurs à mes yeux les plus forts du roman, quand le héros se laisse emporter par la drogue et ses rêves pour réellement réfléchir sur sa vie. C'est vraiment là qu'on le sent méditer, alors que dans la plupart des autres moments, il se laisse simplement vivre sans réfléchir, sans jamais voir sur le long terme. Non, dans la vie du drogué, il n'y a que l'ici et le maintenant, le "combien me reste-t-il de drogue ?" et "comment vais-je faire pour en avoir à nouveau ?" qui priment. Le reste est secondaire.
Inutile de tergiverser plus longtemps, j'ai trouvé ce livre vraiment très bon dans sa manière de dépeindre ce monde et de nous plonger dans la tête et les pensées d'un accro à l'héroïne. Le roman fourmille d'anecdotes, de détails sur cette vie pas comme les autres. Il y aura du sexe, beaucoup de sexe : parfois c'en est pornographique - je me sentais un peu mal de lire ça dans le cours ou dans le bus, entouré que j'étais de personnes qui devaient penser que je lisais un roman pour adolescentes puisque la 4ème de couverture est rose bonbon. Mais ce sexe n'est pas de trop, il tombe naturellement dans cet univers régit par le plaisir immédiat, le plaisir des sens, et s'il y a quelques scènes un peu chaudes la plupart du temps c'est soft. Faut pas être effarouché c'est certain. Mais leur relation, c'est aussi ça, et cette relation est vraiment très bien décrite, constamment.
Dans ce livre, on nous contera alors des arnaques, des deals plus ou moins réussi, des tentatives de décrochages, des échecs à répétition, des situations douloureuses, voire affreuses, des situations légères, très légères, comme quand Candy et le héros se mettent à élever des morpions (tout va bien), mais on nous parlera également de sujets difficiles comme la dépression ou la prostitution ; ou alors on nous fera part de la quête désespéré du héros pour trouver de nouvelles veines à utiliser sur son corps puisqu'il les a toutes défoncées avec les années (passage très marquant).
Bref, le seul truc que j'ai à reprocher finalement, c'est que parfois ça ne prend pas assez son temps. Certains chapitres auraient pour moi gagner à être un peu plus long, à nous détailler un peu plus les réflexions du personnage, pour nous immerger encore un peu plus. On peut presque sentir par moment un détachement dans cette manière de narrer que très rapidement certains passages badants, alors que des passages quelconques prennent plus de temps... Mais peut-être que c'est une manière de symboliser l'irresponsabilité de notre protagoniste ? Néanmoins, le roman dégage tout de même des émotions fortes, et c'est déjà important.
[Petit aparte sur l'adaptation en film, si ça vous intéresse, je ne spoile pas (ni le film, ni le livre) : Luke Davies est responsable de l'adaptation, donc les choix sont les siens. Ils sont surprenant d'ailleurs, mais particulièrement intelligents. Impossible de raconter le livre entier dans un film, il se passe trop de chose, et le manque de fil conducteur rendrait l'ensemble chiant. Davies a donc choisit de tout réorganiser et de découper. Dans le film, les passages du livre sont retranscrit au mot près, au dialogue près (je les connais par coeur, c'est facile), c'est impressionnant. Mais le livre a été complètement réorganisé : certains passages sont mis avant d'autres, le tout dans le but de créer un fil conducteur pour le film. C'est assez malin. Les passages choisis sont pertinents, ils permettent de bien résumer le livre, mais en même temps les deux sont quand même bien différents.
Les personnages du films sont tous dans le livre, mais ils ont des rôles très différents. Les plus récurrents dans le film sont Schummann et Casper. Schummann, on le voit une fois dans le livre, et dans le film il vient remplacer d'autres personnages en prenant leur place dans les scènes, comme le frère du héros (qui n'existe pas dans le film). Casper quant à lui a un rôle super mineur dans le livre, on le voit très peu, voire à peine. Il sert d'élément déclencheur à un truc, puis se casse et réapparaît vite fait plus tard. Tout ce qui le concerne dans le film a donc été écrit spécialement pour le film. C'est plutôt étonnant. En parallèle, on s'étonnera de constater que certains personnages très récurrents dans le livre ne sont jamais mentionnés dans le film.
La fin du film et la fin du livre ne sont pas la même en revanche. Enfin, des trucs se rejoignent, mais ça ne se déroule pas pareil. Choix surprenant aussi, mais les deux sont biens (préférence pour le film quand même).
Bref, en soi le film est une bonne adaptation, il rallonge certains passages du livre, les rendant plus forts, et retranscrit bien l'ambiance générale du livre. Mais les fans hardcore du bouquins ont pu être déçu de voir que tout n'y était pas, et que des choses ont été changées. ]
Candy est donc un livre qui m'a beaucoup plu. En lui-même, il n'est peut-être pas si excellent, mais je l'ai trouvé passionnant dans sa manière de dépeindre ce quotidien. Il y a des passages forts, très forts, qui marquent vraiment et sont douloureux à lire. D'autres légers, amusants, où on est emporté malgré nous dans cette fresque illusoire, et on se voit alors rire en contemplant nos héros. La relation amoureuse est belle, mais aussi très dure du fait qu'elle soit mise en ciment par l'héroïne qui les lie.
Un livre que je trouve très bon, rien que pour réussir à nous faire comprendre ce que c'est qu'être junkie, de penser comme un junkie, de vivre comme un junkie. Même si on peut se l'imaginer (parce qu'on est pas stupides non plus), c'est assez fort de le lire quand ces sensations sont aussi subtilement décrites et amenées au fil des pages que l'on tourne.
En plus ce livre m'a appris de manière très précise comment faire de l'héroïne. Que demander de plus ?