Poétesse passionnée de littérature et de cuisine, Ryoko Sekiguchi habite à Paris et écrit en Français. Elle a notamment publié aux éditions Argol en 2012 deux petits livres hautement recommandables, «L’astringent» et «Manger fantôme», qui évoque en conclusion la zone fantomatique établie après le désastre.


Fukushima a été une ligne de rupture pour de nombreux artistes japonais, à l’instar de Kenzaburô Ôé qui s’est remis à écrire. Happée à l’intérieur de la catastrophe malgré la distance, rivée aux images de son écran de télévision de manière obsessionnelle, Ryoko Sekiguchi a ressenti ce besoin d’enregistrer et d’énumérer les faits sous forme de chronique, à partir de la veille du désastre et pendant 49 jours, entre le 10 mars et le 30 avril.


«Étrange sensation, quasi schizophrénique, qu’il y a à se trouver dans un lieu si opposé à la réalité qui nous assaille.»


En contrepoint au récit de l’écrivain français installé au Japon, Michaël Ferrier, qui a eu envie d’écrire par îlots ou fragments après le désastre («Fukushima, récit d’un désastre» - éditions Gallimard, 2012), Ryoko Sekiguchi, également entre les deux cultures, rend compte de l’effet de la distance des deux côtés : elle est projetée dans les événements qui se déroulent là-bas, consigne leurs conséquences en chaîne souvent inattendues et se retrouve, comme tous les japonais, au centre des débats et des discours en France et ailleurs, avec les clichés sur le Japon et les japonais qui ressurgissent et pèsent comme des pierres.


«Être une minorité, c’est devenir l’objet des discours, de toutes sortes de discours que l’on peut faire sur vous. C’est être l’objet de ces regards que l’on se sent autorisé à porter sur vous.
Après une telle déferlante de commentaires dans les medias internationaux, le statut du Japon s’en trouvera-t-il déplacé ?»


Elle mène aussi une réflexion sur l’effet des images, sur le langage et la question de la temporalité pour dire une catastrophe durable, presque interminable.


«Pourquoi les témoignages des sinistrés, qui ont indiscutablement traversé une épreuve extrême, sonnent-ils faux alors même que ces mots doivent exprimer au plus près leurs sensations les plus intimes ?»


Cette chronique écrite au moment des événements n’est pas exempte de défauts mais réussit, dans un style extrêmement dépouillé, à capturer l’angoisse et la sidération, comme William T. Vollmann avait pu le faire, en se rendant sur place, dans «Fukushima, dans la zone interdite» (éditions Tristram, 2012). Haruki Murakami avait aussi su rendre remarquablement ce sentiment diffus et durable qui contamine après la catastrophe dans son recueil de nouvelles, «Après le tremblement de terre» (2000)


«La catastrophe semble en passe de devenir notre quotidien.»


Retrouvez cette note de lecture, et toutes celles de Charybde 2 et 7 sur leur blog ici :
https://charybde2.wordpress.com/2015/05/14/note-de-lecture-ce-nest-pas-un-hasard-ryoko-sekiguchi/

MarianneL
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le 14 mai 2015

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