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Le texte :
Second roman de Pascal Manoukian qui, après le merveilleux « Les échoués », roman sur les migrants, l’amitié et l’humanisme, s’attaque cette fois au périlleux sujet de la radicalisation.
Karim et Charlotte filent le parfait amour : elle est enceinte, leurs différences religieuses les réunissent au lieu de les séparer, la mosquée locale est allée jusqu’à conseiller à Karim de ne pas baptiser son futur enfant. Les familles s’apprécient. Rien ne semble pouvoir contrecarrer le bonheur en jachère entre Karim et Charlotte… à part Aurélien, récent radicalisé, qui va faire un carton sur la terrasse du 10ème arrondissement de Paris où Charlotte prend un verre avec ses amies en attendant Karim.
Ce soir-là Karim perd tout : sa vie, sa raison d’être. Alors il part. il quitte tout pour rejoindre la Syrie, Daesh et les terroristes, chercher vengeance. Il tient avec ce seul objectif : atteindre ceux qui ont favorisé la radicalisation d’Aurélien, son propre voisin dans la banlieue d’Aubervilliers.
Après avoir rencontré la mère d’Aurélien, Karim se sert de l’histoire du kamikaze pour entrer en contact avec les terroristes et rejoindre les rangs de Daesh.
Pascal Manoukian dresse bien le tableau d’une pieuvre tentaculaire qui puise dans le désarroi de ses proies les voies de la radicalisation. A travers une parole coranique corrompue et parcellaire, ils surfent sur les problèmes de société pour y apporter des réponses réconfortantes à des êtres fragilisés, à la marge, en porte à faux de leur famille, de leur vie.
Si Pascal Manoukian attire l’attention du lecteur sur les causes, il n’entrevoit pas de remèdes et c’est bien en cela que son roman manque de l’optimisme et de l’humanité qui faisaient la richesse de son précédent roman.
On s’attache pourtant passionnément au destin de Karim et des naufragés qu’il croise sur le chemin d’Alep. Sous la plume toujours aussi agréable de Pascal Manoukian, leurs vies prennent des dimensions aussi héroïques que tragiques.
Le fait que la religion musulmane, dévoyée par les terroristes, soit à même d’apporter des réponses, fausses mais réconfortantes, devrait nous interroger sur le silence abyssal des autres religions ou des contre-pouvoirs : comment et pourquoi les messages de paix des autres religions a-t-il pu perdre de sa valeur (je ne parle pas de sa force…) ?
Les pages relatant l’errance de Karim et de ses acolytes à travers les ruines syriennes sont particulièrement prenantes de justesse et de sensibilité, que ce soit à travers les histoires de Lila ou de la famille musulmane qui accompagnent Karim. Elles préparent le terrain à l’opposition frontale qui va frapper les protagonistes lors de leur embrigadement final. La violence des formateurs achèvera de tuer toute l’humanité qu’il restait dans ces âmes déjà perdues.
Il est donc juste dommage que Pascal Manoulian ne soit pas allé plus loin dans sa réflexion sur les mécanismes de la radicalisation pour essayer d’apporter des réponses aux messages de haine.
Sur le même thème, on lira aussi avec bonheur « Le français » de Julien Suaudeau. Les deux romans portent le même regard sur la radicalisation, partent d’histoires similaires et dressent le même bilan d’une radicalisation sournoise, fondée sur le désarroi de ses proies, leur rejet d’une société dans laquelle ils ne trouvent pas ou plus les raisons de la sauvegarder.